Archives par mot-clé : suisse

Coronamaison : notre foyer à l’heure du Coronavirus (Partie 2)

Le confinement se poursuit. Et ce long article sur nos lieux de vie, nos maisons, nos foyers lui aussi.

Aujourd’hui, nous allons voir que les maisons sont différentes d’une classe sociale à une autre depuis très longtemps. A travers cet état de fait, nous pourrons évoquer les inégalités sociales qui ont accompagné l’évolution de nos logements jusqu’à nos jours. Car si nous sommes nombreux à déplorer que nous ne sommes pas tous égaux face au confinement (déjà, une pensée pour ceux qui, comme moi, vivent dans un appartement sans aucun extérieur…) nous verrons que nos maisons se sont très tôt différenciées les unes des autres selon notre rang dans la société et/ou notre porte-monnaie.

Comme dans notre précédent article, nous nous concentrerons essentiellement sur l’Europe à partir du Moyen-Age. Mais, promis, nous irons faire un petit tour ailleurs et après le début du XXème siècle dans notre troisième et dernière partie !

Maisons et classes sociales

« Les pauvres, c’est fait pour être très pauvre et les riches pour être très riche » fait dire Gérard Oury à l’acteur Louis de Funès dans La Folie des Grandeurs (film qui, notons d’ailleurs, est programmé sur les écrans français à la moindre occasion de confinement : vacances, canicule et maintenant Coronavirus… Là où je veux en venir, c’est qu’on a jamais vu De Funès et le Père Noël dans la même pièce. Coïncidence ? Je ne crois pas.). Selon leur richesse, leur pouvoir, leurs activités, les gens n’ont jamais habité les mêmes maisons. A travers le temps, les habitations ont changé et sont devenues globalement plus confortables, même pour les classes populaires. Néanmoins, le creuset entre les maisons riches et pauvres ne s’est jamais refermé, atteignant même souvent des proportions démesurées.

Nous allons faire un petit tour des propriétaires pour s’en rendre compte. Encore une fois, nous ne nous arrêterons pas sur des châteaux ou palais royaux, qu’un véritable gouffre sépare de nos foyers à nous. Vous verrez néanmoins que nous n’en aurons pas besoin pour goûter à l’exubérance du luxe !

La maison bourgeoise

Avec l’apparition et le développement de la bourgeoisie, avoir une belle et grande maison va devenir un signe extérieur de richesse.

Les beaux salons, les salles de réception et autres pièces dévolues aux loisirs vont commencer à trouver leur place dans les hôtels particuliers de Paris. Leurs propriétaires rivalisent alors pour avoir la plus belle décoration et se distinguer du voisin. Il s’agit de faire de leur maison « the place to be ». Ces endroits deviennent davantage des lieux de rencontre que des demeures familiales. Même si elles restent des foyers où il fait bon vivre, étant donné le luxe dont bénéficient certaines d’entre elles, elles sont aussi pensées pour en mettre plein les yeux aux convives. Il s’agit alors de démontrer que l’on a le goût des belles choses mais aussi un certain talent pour découvrir les nouvelles tendances avant les autres.

Un appartement oublié depuis 70 ans
Appartement abandonné à Paris depuis 70 ans

Pour se rendre compte de ce à quoi pouvait ressembler un logement bourgeois « classique », l’on peut se tourner vers l’appartement de Mme de Florian à Paris. Je lui avais dédié un petit article il y a quelques années car ce logement avait été oublié de tous depuis 70 ans, époque où sa propriétaire (la petite-fille de Mme de Florian) avait quitté la Capitale pour ne plus jamais y revenir. Sans le vouloir, cette dame nous a laissé une véritable capsule temporelle !

Et puis, durant l’été qui s’accroche aux persiennes,
Dans la chambre, pendant les chauds après-midi,
Tout ce que tu disais et tout ce que j’ai dit…
-La poussière dorée au plafond voltigeait,
Je t’expliquais parfois cette peine que j’ai
Quand le jour est trop tendre ou bien la nuit trop belle
Nous menions lentement nos deux âmes rebelles
A la sournoise, amère et rude tentative
D’être le corps en qui le cœur de l’autre vive;
Et puis un soir, sans voix, sans force et sans raison,
Nous nous sommes quittés; ah! l’air de ma maison,
L’air de ma maison morne et dolente sans toi,
Et mon grand désespoir étonné sous son toit1!

James Tissot, Hide and seek (Cache-cache), Huile sur toile, 73,4 x 53,9 cm, v.1877, National Gallery of Art, Washington.
James Tissot, Hide and seek (Cache-cache), Huile sur toile, 73,4 x 53,9 cm, v.1877, National Gallery of Art, Washington.
James Tissot, October (Octobre), Huile sur toile, 216,5 x 108,7 cm, 1877, Musée des Beaux-Arts, Montréal. "Octobre" est une des plus célèbres peintures de James Tissot. On y voit Kathleen Newton, sa compagne, dans une superbe robe noire, qui tranche sur le fond orangé par les feuilles d'automne.
James Tissot, October (Octobre), Huile sur toile, 216,5 x 108,7 cm, 1877, Musée des Beaux-Arts, Montréal.
« Octobre » est une des plus célèbres peintures de James Tissot. On y voit Kathleen Newton, sa compagne, dans une superbe robe noire, qui tranche sur le fond orangé par les feuilles d’automne.

Le français James Tissot (de son vrai nom Jacques-Joseph Tissot) est un des plus célèbres peintres de la deuxième partie du XIXème siècle. Il passe une partie de sa vie en Angleterre où il tombe amoureux de Kathleen Newton dont il fera de nombreux portraits restés célèbres dans l’Histoire de l’Art. « Déshonorée pour avoir donné naissance à un enfant illégitime, la jeune divorcée vient habiter la luxueuse demeure du peintre à Saint John’s Wood, de 1876 jusqu’à sa mort en 1882, nous explique-t-on dans le hors série de Beaux-Arts Magazine, consacré à l’artiste2. « Les portraits de la Kathleen, au cadrage très serré, reflètent (inconsciemment ?) cette mise au ban de la société, le couple ne pouvant s’afficher au grand jour. Mais la sphère domestique donne également lieu à des scènes familiales sereines et tendres, à l’image de Hide and Seek (vers 1877), où l’on jurerait entendre les gloussements irrépressibles des jeunes enfants jouant à cache-cache, tandis que leur mère est plongée dans son journal. »

L’hôtel particulier de la Païva

L’appartement de Marthe de Florian est déjà impressionnant mais il ne peut guère lutter contre celui d’une autre courtisane, devenue marquise, à peu près à la même époque : la Païva. D’ailleurs, ce n’est même pas un appartement mais un hôtel particulier qu’elle fait construire !

Vue en coupe d'un hôtel particulier. Planche issue des "Besoins de la vie et les éléments du bien-être : Traité pratique de la vie matérielle et morale de l'Homme dans la famille et dans la société" (1887) du Docteur J. Rengade.
Vue en coupe d’un hôtel particulier.
Planche issue des « Besoins de la vie et les éléments du bien-être : Traité pratique de la vie matérielle et morale de l’Homme dans la famille et dans la société » (1887) du Docteur J. Rengade.

Un hôtel particulier est un immeuble ou une construction domestique située en ville (et particulièrement à Paris, qui en comptait jusqu’à 2000 à une époque) et destiné à n’être habité que par une seule famille (et son personnel de maison, qui occupe généralement les « chambres de bonnes » sous les combles).

La Païva, de son vrai nom Esther Lachmann. Photographie de 1850 environ.
La Païva, de son vrai nom Esther Lachmann. Photographie de 1850 environ.

Un des plus incroyables hôtels particuliers de Paris est celui de la courtisane que l’on surnommait La Païva, Esther Lachmann de son vrai nom. On raconte qu’elle l’aurait fait construire à l’emplacement où l’un de ses clients l’aurait jetée de voiture, alors qu’elle vendait ses charmes pour survivre. Elle se serait alors promis de se venger en y construisant la maison la plus extraordinaire de Paris. Avant de parvenir à ses fins, elle se marie trois fois et hérite du titre de marquise de Païva. Sa fortune désormais colossale lui permet de faire construire de véritables folies parmi lesquelles un escalier en onyx ou encore une baignoire aux trois robinets dont l’un, dit-on, distribuait du champagne.

Après avoir observé la magnificence des lieux, le poète Emile Augier écrit : « Ainsi que la vertu, le vice a ses degrés ».

C’est l’architecte Pierre Manguin qui est en charge de la construction. Quant aux décors peints, ce n’est autre que Paul Baudry, peintre de l’Opéra Garnier, qui les réalise. L’architecte met une dizaine d’années à construire cette demeure qui, au total, aurait coûté 10 millions de francs de l’époque3.

Les résidences secondaires

Il n’est pas étonnant que les résidences secondaires bourgeoises aient commencé à voir le jour à peu près à la même époque, au cours du XVIIIème siècle. Elles permettent d’étendre son patrimoine mais aussi de s’éloigner des grandes villes.

Ces maisons se situent généralement à la campagne, non loin des premières lignes de chemin de fer afin de s’y rendre facilement. Juste assez loin pour être au calme et se sentir dépaysé ; juste assez proches pour pouvoir y aller rapidement et revenir tout aussi vite.

Les résidences secondaires sont celles où l’on passe ses week-ends ou des séjours de vacances. Elles sont parfois des maisons de famille où différentes générations se rassemblent. On y invite plus volontiers ses proches et ses amis que le gratin mondain.

La résidence secondaire de… Frankenstein ?

Une résidence secondaire est entrée dans l’Histoire pour avoir abritée, au cours de l’été 1816, Lord Byron, Mary Shelley, Percy Shelley, John Polidori et Caire Clairmont : la villa Diodati. Elle est aujourd’hui inscrite comme bien culturel suisse d’importance nationale.

"<yoastmark

Cette année-là, le groupe de jeunes gens se retrouvent dans la villa qui appartient à Lord Byron, au bord du lac Léman. Ils y passent leur temps à se raconter des histoires d’horreur.

Il faut dire que 1816 est connue comme « l’année sans été4« . Mary Shelley décrira plus tard ses souvenirs d’une pluie incessante, d’un temps froid et gris5. Une atmosphère sombre à laquelle s’ajoutent des orages. Une ambiance idéale pour se conter des récits horrifiques entre amis !

Cela finit par inspirer à Mary Shelley son fameux Frankenstein. Polidori, lui, y crée Le Vampire.

La villa Diodati de nos jours.
La villa Diodati de nos jours.
Tourisme et maisons de famille

De nos jours, les résidences secondaires se situent surtout dans les zones les plus touristiques (bord de mer, montagne, campagne…). Elles sont un pied-à-terre qui permet d’être chez soi plutôt qu’à l’hôtel. Et elles restent souvent l’occasion de se retrouver entre proches dans un même lieu, au moins une fois par an, à l’heure où les membres d’une famille vivent de plus en plus aux quatre coins de la France, voire du monde, le reste de l’année. Quand ces résidences occupent le rôle de maison de famille, elles peuvent permettre de reformer pour un temps le cocon familial. Mais nous reviendrons sur l’idée du « cocon » dans notre troisième article.

Ainsi, les résidences secondaires sont plus volontiers d’un style rustique, se voulant un retour à la nature et aux plaisirs simples de la vie. Même si, demeures bourgeoises obligent, elles restent des lieux d’exception que le commun des mortels, d’hier comme d’aujourd’hui, ne peut s’offrir.

Passons donc de l’autre côté du miroir maintenant : du côté des maisons de Monsieur et Madame Tout-le-Monde, des maisons des classes populaires, modestes, voire pauvres, en commençant par un bond dans le temps, au Moyen-Âge.

La maison du peuple

Du côté des classes populaires, la maison est souvent liée au métier exercé par la famille. Plus modeste, elle est souvent proche, voire attenante au lieu de travail des gens qui l’occupent. Ainsi, la ferme est non loin des champs, le meunier habite son moulin et l’artisan a son atelier, son échoppe et son logis dans un même immeuble.

La rue marchande au XVe siècle Gilles de Rome, XVe siècle. Le livre du gouvernement des princes BnF, Arsenal, ms 5062, f° 149 v° © Bibliothèque nationale de France
La rue marchande au XVe siècle
Gilles de Rome, XVe siècle.
Le livre du gouvernement des princes
BnF, Arsenal, ms 5062, f° 149 v°

« La ville étant dédiée au commerce, les maisons de marchands constituent l’icône de l’habitation urbaine. L’espace de vente est situé au niveau de la rue ; la boutique est appelée « ouvroir », car elle ouvre sur la rue par l’intermédiaire d’une large ouverture dotée d’une arcature à travers laquelle les passants peuvent vérifier de visu la qualité des produits exposés et celle du travail artisanal qui s’effectue dans l’atelier ou la boutique. Une planche de bois, à usage de volet, est rabattue pendant la journée pour servir de comptoir. Cette planche, débordant et empiétant sur la rue, est soutenue par un ou plusieurs piquets. La localisation des lieux de travail au rez-de-chaussée, alors que les espaces de vie sont aux étages, caractérise la maison du marchand et de l’artisan. Mais ces deux registres s’interpénètrent : on sait, grâce à des documents appelés inventaires après décès, qui listent les biens des familles après la mort d’un des membres, que les chambres servent aussi de lieux de travail et que les stocks de denrées ou de biens destinés à la vente sont rangés un peu partout dans la maison, de la cave au grenier en passant par la cuisine et les chambres à coucher6. »

Si l’atelier-boutique qui sert aussi de maison à l’artisan est souvent situé en ville, pour des raisons commerciales, la ferme (et donc l’habitation paysanne) se trouve plus logiquement à la campagne, plus loin des grands centres urbains. C’est toujours le cas aujourd’hui. Tout bêtement parce qu’il faut des champs ou de la place pour les élevages ; et il faut des acheteurs pour les commerçants et artisans. La maison est donc le lieu qui abrite le travailleur et son emplacement dépend du travail que l’on exerce.

Saurait-on être plus loin des cités-dortoirs d’aujourd’hui ? Je n’en suis pas sûre.

La vie à la ferme
James de Rijk, Intérieur de paysan, Huile sur toile, 58 x 72 cm, v.1830-1860, Rijksmuseum, Amsterdam, Pays-Bas.
James de Rijk, Intérieur de paysan, Huile sur toile, 58 x 72 cm, v.1830-1860, Rijksmuseum, Amsterdam, Pays-Bas.

Nous en parlions dans le premier article de cette série, « dans les campagnes au Moyen Âge, on construit sa maison en utilisant les matériaux les plus accessibles. La maison rurale est généralement faite de terre, de bois ou de pierre. Elle ne comporte souvent que deux pièces et très peu d’ouvertures à part la porte, afin de conserver la chaleur. Les techniques de construction varient néanmoins selon l’époque, la région et le niveau de vie des habitants7. »

"Cette enluminure représente la veillée. À la nuit tombée, la famille est réunie autour du feu qui permet de se chauffer, d’éclairer et de faire la cuisine. Le jour, la porte reste généralement ouverte pour éclairer la pièce à vivre. On utilise aussi d’autres moyens de chauffage plus simples et mobiles, tels les braseros, récipients creux en terre cuite ou en métal qui contiennent les braises. Pour éviter les incendies, la cuisine est souvent construite à part, de même que la boulangerie ou la laiterie."
« Cette enluminure représente la veillée. À la nuit tombée, la famille est réunie autour du feu qui permet de se chauffer, d’éclairer et de faire la cuisine. Le jour, la porte reste généralement ouverte pour éclairer la pièce à vivre.
On utilise aussi d’autres moyens de chauffage plus simples et mobiles, tels les braseros, récipients creux en terre cuite ou en métal qui contiennent les braises.
Pour éviter les incendies, la cuisine est souvent construite à part, de même que la boulangerie ou la laiterie8. »

La pièce centrale de la maison est construite autour du foyer de la cheminée. Elle sert de cuisine et de principal lieu de vie pour les membres de la famille. On y pratique la veillée, la nuit venue, où l’on se réunit autour du feu pour manger, discuter mais aussi parce qu’il représente la seule source de chaleur et de lumière lors des longues nuits.

N’est-ce pas le lieu idéal pour se raconter des histoires ? En tout cas, je me plais à imaginer que de nombreux contes ont vu le jour autour de ces feux. Surtout quand on voit avec quel plaisir nous nous racontons toujours des histoires autour des feux de camps, par exemple, aujourd’hui.

Dans certaines demeures, on vit près de ses animaux afin qu’ils nous procurent un peu de chaleur. Il arrive alors que la maison soit séparée d’un simple mur de ce que nous appellerions plus volontiers l’étable, aujourd’hui. (Ça ne vous rappelle pas l’histoire de la naissance d’un certain Jésus, ça ? Ça fait sens quand on se dit que les animaux n’étaient pas forcément mis en dehors de la maison, à une époque, non ?)

Vincent van Gogh et la vie paysanne

Vincent Van Gogh fait partie des artistes qui ont cherché à représenter la vie paysanne et, notamment, leur vie « en dehors » du travail mais finalement toujours liée à lui. Ainsi, quand il peint Les Mangeurs de Pomme de Terre, il peint précédemment Les Planteurs de Pomme de Terre. Il fait également de nombreuses autres études avant de peindre le dit tableau ; il réalise des natures mortes, montrant des patates ou d’autres légumes. Et il travaille longuement les expressions du visage, faisant de nombreux portraits de paysans, pour arriver au résultat qui le satisfera le plus.

Dans une lettre écrite à son frère, il écrit :

« J’ai voulu, tout en travaillant, faire en sorte qu’on ait une idée que ces petites gens, qui, à la clarté de leur lampe, mangent leur pommes de terre en puisant à même le plat avec les mains, ont eux-mêmes bêché la terre où les patates ont poussé ; ce tableau, donc, évoque le travail manuel et suggère que ces paysans ont honnêtement mérité de manger ce qu’ils mangent. […] Pour la même raison, on aurait tort, selon moi, de donner à un tableau de paysans un certain poli conventionnel. Si une peinture de paysans sent le lard, la fumée, la vapeur qui monte des pommes de terre, tant mieux ! Ce n’est pas malsain. Si une étable sent le fumier, bon! Une étable doit sentir le fumier. Si un champ exhale l’odeur de blé mûr, de pommes de terre, d’engrais, de fumier, cela est sain, surtout pour les citadins. Par de tels tableaux, ils acquièrent quelque chose d’utile. Mais un tableau de paysans ne doit pas sentir le parfum9. »

"<yoastmark

On retrouve l’idée de la veillée, déjà représentée dans l’enluminure du Moyen-Âge que je vous montrais plus avant. Les visages sont marqués, très exagérés par Van Gogh qui semble avoir voulu montrer à quel point ces gens étaient marqués physiquement par leur travail. Il fait plus que partie d’eux : ces paysans sont leur travail, ils l’incarnent. On s’éclaire désormais à l’aide d’une lampe à huile qui sert de plafonnier mais l’idée du feu, du foyer, reste là à travers sa faible flamme. La première Révolution Industrielle est déjà passée par là et l’électricité, son déploiement, sa popularisation, commencent à lancer celle qui va suivre mais la vie de ceux qui nourrissent les pays n’a pas beaucoup changé, au fil des siècles.

C’est un peu comme si le temps s’écoulait différemment pour une partie de la population. Et c’est plutôt amusant de noter que c’est justement à la fin du XIXème siècle que naît celui qui va théoriser l’idée de la relativité du temps : Albert Einstein (1879-1955).

La maison ouvrière

Mais les maisons qu’habitent Monsieur et Madame Tout-le-Monde ne vont pas toutes rester figées dans le temps. Celles des ouvriers, dont le nombre ne va cesser de croître au cours de la première Révolution Industrielle, vont beaucoup changer dès le XIXème siècle.

Les premières maisons ouvrières vont apparaître avec les premières usines de production de masse. Le travail commence à se concentrer autour de ces pôles d’attraction, généralement aux abords des villes. Les gens quittent parfois leur région d’origine et, en particulier, les campagnes et leur famille pour aller vivre aux abords des usines qui pourront les employer.

Il va s’agir de loger (parfois d’urgence) des populations qui arrivent en masse et peuvent aussi venir de pays étrangers. L’idée de la « gestion des ressources humaines » va commencer à voir le jour à la même époque : il faut des ouvriers pour faire tourner les usines et il faut qu’ils soient aussi efficaces que possible au travail. Il faut donc au moins assurer leurs besoins de base : de la nourriture et un toit.

Les Cités Ouvrières

A force de se multiplier et parce qu’il faut construire rapidement, les premières cités ouvrières apparaissent. Ce sont des rassemblement de logements quasi identiques, agglutinés les uns à côté des autres. Mais ce ne sont pas encore les cités pavillonnaires que nous pouvons connaître aujourd’hui : pas de voiture à l’époque (ou excessivement peu et trop chères pour les ouvriers d’alors) donc l’usine dans laquelle travaillent les employés doit se trouver à proximité du quartier ou être spécifiquement desservie par des trains ou des bus en quantité suffisante.

Pour l’anecdote, à Douchy-les-Mines (59), petite ville située près de chez moi (qui, comme son nom l’indique, était une cité minière) on raconte que le bruit des pas que faisaient les nombreux ouvriers, qui partaient tous à la même heure en marchant silencieusement dans la rue, ressemblait au bruit d’un bourdon. Dans notre patois Ch’ti, le « bourdon » est appelé le « pipi malo » et cela a donné son nom au carnaval qui a toujours lieu de nos jours (bon, sauf en 2020, vous vous doutez bien…).

A cette époque, on est encore assez loin de la cité dortoir d’aujourd’hui, néanmoins. Il n’est pas rare, en effet, que les constructeurs et propriétaires de ces logements soient les entreprises mêmes qui emploient les ouvriers. Or, il faut garder ces employés, surtout quand ils ont de l’expérience ou sont qualifiés, afin de ne pas avoir à en former d’autres, ce qui serait coûteux. Il faut donc en prendre (plus ou moins relativement) soin.

En ce sens, certains patrons n’hésitent pas à créer des écoles, des garderies ou encore des centres de loisirs. L’idée n’est pas philanthropique mais consiste bien à contrôler la vie de ses ouvriers pour assurer, voire améliorer la rentabilité de l’entreprise. C’est ainsi que vont apparaître de véritable quartiers « clos » pour garder la main sur les ouvriers (et leur famille : les enfants représentent les potentiels ouvriers de demain).

L’exemple de la Cité des Électriciens

Comme je suis actuellement doctorante et que mes recherches portent sur le patrimoine industriel des Hauts-de-France (et le Steampunk, pour ceux qui ne sauraient pas encore, même si je le crie littéralement sur tous les toits, je plaide coupable), en août 2019, peu après son ouverture, j’ai eu l’occasion de visiter la Cité des Électriciens à Bruay-la-Buissière (62). Contrairement à ce que semble indiquer son nom de prime abord, c’est une ancienne cité minière.

Vue aérienne de la Cité des Electriciens à Bruay-la-Buissière (62).
Vue aérienne de la Cité des Electriciens à Bruay-la-Buissière (62).

En effet, les gens qui vivaient dans la Cité des Électriciens se voyaient fournir un logement par la Compagnie des Mines de Bruay. Toute la vie des mineurs était alors régie par les Houillères, jusque dans leurs loisirs. En visitant le musée, accolé à la Cité rénovée, j’ai notamment relevé le témoignage d’une fille de mineur : elle expliquait avoir eu une enfance heureuse dans la Cité mais lui avoir trouvé des airs de ghetto avec le recul. En effet, elle explique que personne ne sortait de la Cité. Et les gens qui n’y habitaient pas (venant d’autres quartiers de la ville, tout simplement) n’en connaissaient que l’arrêt de bus, jouxtant les lieux.

Car c’est un des mauvais côtés de ce genre d’endroit : la population peut se renfermer sur elle-même avec le temps. Tout étant à portée de main, il n’est plus nécessaire de s’éloigner de son domicile pour faire ses courses ou se détendre. Même les amis sont en fait nos voisins. A force, le communautarisme peut se développer au sein de ces quartiers. Un communautarisme qui n’a pas que des aspects négatifs, d’ailleurs, car c’est aussi lui qui génère un fort sentiment d’appartenance au quartier (donc à l’entreprise) et une forte coopération.

L’entraide est une valeur centrale dans le milieu ouvrier : on se soutient les uns, les autres. C’est aussi dans cet état d’esprit que se développe le concept du Prolétariat (la classe sociale prolétaire, qui crée, travaille, produit mais ne possède rien, en opposition à la classe capitaliste qui possède, exploite, s’enrichit) ou les premiers syndicats.

Une illusion de liberté ?
Les façades en briques rouges de la Cité des Electriciens à Bruay-la-Buissière (62).
Les façades en briques rouges de la Cité des Electriciens à Bruay-la-Buissière (62).

Au sein de la Cité des Électriciens, comme dans d’autres villes minières composées de corons, les gens se voient dotés d’une maison avec un petit jardin qui occupe une place importante dans la vie des familles de mineurs. Les voisins rivalisent d’ingéniosité pour avoir le plus beau jardin.

Les jardins occupent encore une place très importante dans la scénographie de la Cité des Électriciens aujourd’hui. Une citation de Arthur Choquet, ancien élève de l’École nationale d’horticulture de Versailles, nommé chef des jardins et plantations de la compagnie minière de Lens avec le grade d’ingénieur horticole après la Première Guerre Mondiale, est d’ailleurs inscrite sur un des murs qui clôturent les larges espaces verts : « Le jardin tient son homme, l’homme tient à son jardin. »

En revanche, si les gens peuvent égayer leur intérieur en le décorant comme ils le souhaitent, il est interdit de repeindre les façades. Tout juste peut-on installer des jardinières aux fenêtres. Des gardes, employés eux aussi par la Compagnie des Mines, veillent au grain.

Tout cela n’est évidemment pas gratuit : les mineurs qui travaillent pour la Compagnie se voient attribuer une maison pour eux et leur famille mais ils doivent malgré tout s’acquitter de taxes, prélevées directement sur leur salaire.

Notons également que ce type de Cité a souvent été construit le plus rapidement possible, avec des matériaux disponibles à proximité et avec la volonté de dépenser le moins d’argent possible. Il faudra attendre des décennies avant que ces habitations n’aient accès à l’eau courante et disposent enfin de toilettes intérieures et de salles de bain modernes. Derrière l’idéal de la Cité Ouvrière où chacun a un toit au-dessus de la tête, la réalité est souvent moins rose qu’on ne le pense.

Certains projets se montrent néanmoins plus utopiques que d’autres.

Les Familistères
Vue du Familistère de Guise
Vue du Familistère de Guise

En 1859, l’industriel Jean-Baptiste André Godin, crée le familistère de Guise (02). Il est le fondateur de la fonderie Godin, à l’origine des célèbres poêles en fonte Godin.

Parfois surnommé le « palais social », le familistère de Guise s’inscrit dans l’idéologie socialiste utopique en laquelle croit Godin. Ancien ouvrier lui-même, il explique se souvenir des conditions de vie difficile des salariés de l’industrie. Il ne veut pas reproduire un tel modèle socio-économique dans son usine. Il s’engage donc à redistribuer les richesses produites par son entreprise à ses employés en créant le familistère. L’idée est que des conditions de vie meilleures seront un investissement pour l’avenir.

Le familistère disposera donc d’équipements dont seuls les logements bourgeois pouvaient bénéficier jusqu’alors. D’abord, ils sont salubres et bien éclairés mais, surtout, l’eau potable est disponible à tous les étages, ainsi que des toilettes ou des salles de bain. S’ajoutent à cela tout un tas d’équipements communs : buanderie, piscine (couverte et chauffée déjà à l’époque), cinéma, magasins ou encore un jardin d’agrément où l’on se plaît à se détendre, se promener, jouer à la pétanque ou simplement se rencontrer.

Le familistère a également son école. Elle est gratuite, laïque et obligatoire jusqu’à 14 ans.

En Belgique, un autre familistère de ce genre existe et peut être visité également : le Grand Hornu.

Conclusion : De l’art d’habiter sa maison

Dans L’Architecture du bonheur, le philosophe Alain de Botton explique que « nos murs reflètent notre idéal10« . Un idéal qui varie d’une personne à une autre ; si, pour certain, par exemple, se retrouver de temps en temps dans le cocon familial est indispensable, pour d’autres, c’est une véritable torture, inenvisageable.

En tout cas, l’on se rend vite compte, à la lecture de l’ouvrage, qu’avoir une belle maison n’est pas forcément synonyme de bonheur. Plus encore, De Botton s’interroge sur les liens qui existeraient entre notre aptitude au bonheur et notre lieu de vie. « La plus noble architecture peut parfois faire moins pour nous qu’une sieste ou un cachet d’aspirine11« , explique-t-il.

En ces temps de confinement, il paraît que nous sommes nombreux à chercher comment habiter notre propre maison. Un véritable art (de vivre) qui semble s’apprendre et dont dépend de nombreux facteurs. La salubrité des lieux, leurs tailles, leurs équipements, leurs localisations… ou même ceux avec qui on les occupe avec nous,  sont évidemment les critères qui nous préoccupent en premier lieu. Mais une composante nous passe souvent au-dessus de la tête alors qu’elle est primordiale : nous.

Les meilleures conditions matérielles possibles sont une choses pour bien vivre, c’est indéniable et nous avons pu en voir quelques exemples ici. Mais nous oublions trop souvent que nous devons aussi apprendre à vivre avec nous-mêmes. Nous retrouver cloîtrés chez nous actuellement nous pousse parfois dans nos retranchements, vis-à-vis de cette problématique. On nous apprend très tôt à vivre en société, à vivre avec les autres mais comment vivre avec soi-même ? Nous essaierons de répondre à cette question dans notre troisième et dernier article sur les Coronamaisons !


Sources :

1 Anna de Noailles, « L’adolescence« , dans L’Ombre des jours, 1902.
2 Joséphine Kraft, « De Paris à Londres, portraitiste et peintre de genre : une précision quasi photographique« , dans « Le Narrateur d’une époque« , dans James Tissots : l’ambigu moderne, Beaux Arts, Hors Séries, Avril 2020, p.24.
3 Paris Promeneurs : « L’hôtel de la Païva »
4 Wikipédia, « L’année sans été » (Year Without a Summer)
5 Mary Shelley, paragraphe 6, Introduction de l’édition de 1831 de Frankenstein.
6 Passerelle(s), « La maison de marchand« , dans La Maison urbaine au Moyen-Âge, la BNF
7 Passerelle(s), La Maison Médéviale Rurale, la BNF
8 Lettre 404 N à Théo, Nuenen, 30 avril 1885
9 Passerelle(s), « Le feu au centre de la maison », dans La Maison Médéviale Rurale, la BNF
1 Le Figaro Magazine –  » Alain de Botton : ‘Nos murs reflètent notre idéal’ « 
11 Psychologies : « Le bonheur à la maison, les joies de l’intérieur »

Egon Schiele ou l’art de la mort

Tout d’abord, je dédie cet article à mon n’amoureux qui a découvert Egon Schiele lors de notre voyage à Vienne, en 2017, et a tout de suite adoré ses peintures (et qui me tanne depuis pour que j’écrive cet article).

Je préfère prévenir tout de suite : âmes sensibles s’abstenir. Nos allons parler d’érotisme, de la mort, de la dépression aussi, sans doute. Nous allons même parler d’Hitler et ça ne sera même pas un point Godwin. Bref, si vous préférez les jolies œuvres zen et fleuries, mignonnes et colorées, je vous invite a vous rediriger plutôt vers cet article ou cet autre.

L’œuvre d’Egon Schiele : la rencontre entre Eros et Thanatos

Egon Schiele est un artiste autrichien du début du XXème siècle (1890-1918). Contemporain de Gustav Klimt, qu’il considère comme son mentor. Son style est pourtant très différent de celui du maître viennois de l’Art Nouveau et de la Sécession Viennoise.

On lui connaît des centaines de peintures, des milliers de dessins et d’aquarelles, des sculptures et des gravures. Mais ce qui est étonnant avec cet artiste, c’est que ses travaux ne cessent de faire polémique, encore aujourd’hui. Le principal reproche qu’on leur fait ? Ils sont d’un érotisme sans fard et, dans le même temps, dépeignent des corps désarticulés, quelque part entre la vie et la mort. Les marionnettes que peint Egon Schiele semblent évoluer entre le plaisir et la souffrance ; entre Eros et Thanatos.

Ses nombreux autoportraits ne sont pas en reste : Egon Schiele se représente tout aussi difforme que ses autres modèles, avec des membres démesurés mais squelettiques, la peau blafarde, parfois sale, dans des postures folles, douloureuses. Si ses autoportraits représentaient son état d’esprit, on peut penser que Schiele était bel et bien un de ces fameux « artistes maudits » ; de ceux-là même qui font aussi les grands génies.

Egon Schiele, l’artiste avant-gardiste
Egon Schiele, Femme assise genoux pliés, Crayon, aquarelle, gouache, 46 x 30,5 cm, 1917, Galerie nationale de Prague.
Egon Schiele, Femme assise genoux pliés, Crayon, aquarelle, gouache, 46 x 30,5 cm, 1917, Galerie nationale de Prague.

En fait, la première fois que l’on voit une œuvre d’Egon Schiele, il est difficile de la dater. Son travail est très différent de ce qui se fait alors à l’époque. Ses peintures sont très avant-gardistes et semblent beaucoup plus récentes qu’elles ne le sont en réalité.

En 1906, Egon Schiele entre à l’Ecole des Beaux-Arts de Vienne. Mais ne supportant plus les règles et l’académisme, il décide de quitter l’école pour fonder le Seukunstgruppe (Groupe pour le nouvel art) avec quelques amis.

Si Gustav Klimt et Egon Schiele pratiquent très différemment leur Art, ils éprouvent l’un pour l’autre un respect mutuel. Egon Schiele voit un maître en Gustav Klimt qui a 45 ans à leur rencontre quand lui n’en a encore que 17. En 1911, une des modèles de Klimt, Wally Neuzil, devient d’ailleurs sa compagne et sa muse.

Si l’artiste ne peine pas à être exposé dans les galeries et les expositions de son époque, pour certains critiques, les œuvres d’Egon Schiele sont les « excès d’un cerveau perdu ». D’ailleurs, alors qu’il s’installe avec sa femme à Krumlov, en Bohème du Sud, et que la ville met à sa disposition sa plus grande salle pour qu’il puisse y réaliser ses grands formats, les habitants n’hésitent pas à exprimer leur antipathie à son sujet, les poussant à déménager. Mais de retour dans les environs de Vienne, l’accueil n’est guère plus accueillant.

Le problème est toujours le même : les peintures d’Egon Schiele choquent par leur caractère étrange et érotique. On l’accuse même de détournement de mineurs, ce qui le conduit à effectuer vingt-quatre jours de prison. Certaines de ses œuvres sont confisquées par le tribunal départemental. On l’accuse d’outrage à la morale publique.

Une de ses œuvres les plus célèbres à l’époque est Le Cardinal et la nonne, hommage clair mais surtout extrêmement provocateur à l’œuvre emblématique de Gustav Klimt, Le Baiser.
Le message semble clair : l’amour et le sexe sont partout, y compris au sein même de l’Église et chez ceux qui se prétendent plus purs qu’aucun autre.

Est-ce une condamnation ? Sans doute pas car Egon Schiele peint également de très nombreux autoportraits. L’artiste dépeint seulement à sa manière un mariage que bien d’autres ont illustré avant lui : celui d’Eros et de Thanatos, celui de l’amour et de la mort, ces deux états par lesquels tous les êtres passent un jour ou l’autre.

Eros et Thanatos dans l’œuvre d’Egon Schiele

On associe particulièrement ces deux dieux grecs depuis Sigmund Freud et son fameux « complexe d’Œdipe ». Or, Freud est autrichien et contemporain d’Egon Schiele mais aussi de Gustav Klimt et de beaucoup d’artistes viennois (en particulier les avant-gardistes) de cette époque. Ses théories psychanalytiques vont inspirer tout ce petit monde, ainsi que beaucoup d’autres créateurs en Europe.

Toutefois, les artistes s’intéressent en fait depuis toujours à ces deux figures : l’amour (et plus exactement l’acte d’amour, le sexe, qui représente « la pulsion de vie » et l’acte créatif) et la mort (ou « la pulsion de mort », l’acte de destruction). Ce sont deux grands tabous (les plus grands ?) de l’humanité mais pour Freud elles sont constitutives de l’être humain et le fondement même de nos sociétés.

Egon Schiele, Portrait de Karl Zakovsek, Huile sur toile, 100 x 90 cm, 1910, Collection particulière, New-York.
Egon Schiele, Portrait de Karl Zakovsek, Huile sur toile, 100 x 90 cm, 1910, Collection particulière, New-York.

Un des poèmes qui illustre peut-être le mieux cet étrange couple Eros/Thanatos, est celui de Charles Baudelaire, Une Charogne. Alors que le poète nous parle ici d’une femme qu’il aime, il nous dépeint l’ensemble comme une « charogne », une viande morte, un cadavre en putréfaction.

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d’été si doux :
Au détour d’un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Rembrandt, Le Boeuf écorché, 1655, Musée du Louvre, Paris.
Rembrandt, Le Boeuf écorché, 1655, Musée du Louvre, Paris.

Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d’exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu’ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s’épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l’herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D’où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Chaïm Soutine, Le Boeuf écorché, 1925, Musée de Grenoble.
Chaïm Soutine, Le Boeuf écorché, 1925, Musée de Grenoble.

Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s’élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l’eau courante et le vent,
Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d’un oeil fâché,
Epiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu’elle avait lâché.

Egon Schiele, Nu masculin assis (Autoportrait), huile sur toile, 1910, Musée Leopold, Vienne.
Egon Schiele, Nu masculin assis (Autoportrait), huile sur toile, 1910, Musée Leopold, Vienne.

– Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés !

Charles Baudelaire, « Une Charogne« , in Les Fleurs du Mal, 1857.

Il y a quelque chose de très semblable dans l’œuvre d’Egon Schiele. (D’ailleurs, Les Fleurs du Mal firent également scandale au moment de leur publication, en 1857.) On ne saurait dire si son œuvre est belle ou laide. N’est-elle pas belle par sa laideur ? Ses corps décharnés nous fascinent et nous révulsent à la fois. Le choc des contraires, où se mêlent le plaisir et la douleur ainsi que, souvent, les regards de ses modèles, nous agrippent dans son univers torturé. Leurs attitudes et leurs postures, entre orgasme et folie, nous interrogent sur nos propres sentiments et sensations, si humains et pourtant si tabous. Schiele nous met face à nos propres contradictions, qui sont souvent l’œuvre de la société dans laquelle nous vivons.

C’est probablement une des raisons pour lesquelles son œuvre a fait et fait encore l’objet de nombreuses polémiques, parfois très violentes ; le temps passe mais les choses changent peu. Egon Schiele était en avance sur son temps – peut-être y compris sur le nôtre. Il en pâtira mais ne cessera jamais de créer jusqu’à sa mort prématurée, emporté par la grippe espagnole à l’âge de 28 ans seulement. (Il dépasse de peu le Club des 27, dommage… attendez, suis-je en train de regretter qu’il ait vécu un an de plus, le pauvre ? Meh. C’est pas ma faute, la légende aurait apprécié c’est tout).

Egon Schiele, La Famille, huile sur toile, 1918, 150 x 160,8 cm, Österreichische Galerie Belvedere, Vienne.
Egon Schiele, La Famille, huile sur toile, 1918, 150 x 160,8 cm, Österreichische Galerie Belvedere, Vienne.

Sa dernière oeuvre, La Famille, est dramatique car elle montre le jeune homme se projeter dans l’avenir. Il se représente avec sa femme et imagine son enfant à naître. Néanmoins, son épouse, Edith, enceinte de six mois, mourra elle aussi de la grippe espagnole, quelques jours avant lui.

Ni Klimt, ni Klee : le style inclassable d’Egon Schiele

Egon Schiele fut proche de Gustav Klimt, comme nous l’avons vu, mais il rencontra aussi un autre grand artiste de son temps, Paul Klee, en rejoignant le groupe « Sema » de Munich. Pourtant, les œuvres d’Egon Schiele ne ressemblent ni à celles de Klimt, ni à celles de Klee. Ils comptaient pourtant tous deux parmi ses modèles et, surtout, furent tous deux de grands innovateurs et deux grands noms de l’Art Moderne au cours de la courte vie d’Egon Schiele.

Egon Schiele, Autoportrait avec un récipient noir, huile sur panneau, 1911, Kunsthistorisches Museum, Vienne.
Egon Schiele, Autoportrait avec un récipient noir, huile sur panneau, 1911, Kunsthistorisches Museum, Vienne.

Néanmoins, on constate rapidement, en observant ses œuvres, qu’Egon Schiele, malgré le caractère unique de ses travaux, s’inspirait beaucoup de ceux qu’il admirait.

Admiration mutuelle et inspiration partagée

C’est ainsi que l’on trouve des hommages mais aussi des airs de famille entre ses œuvres et celles, notamment, de Klimt ou de Klee. C’est le cas pour Le Cardinal et la nonne dont nous avons parlé plus avant et qui est directement inspiré par Le Baiser de Klimt. Mais c’est aussi le cas de certaines scènes où Egon Schiele délaisse un peu ses portraits pour peindre des bâtiments, des façades étrangement géométriques, comme Klee (même si, en regardant bien certaines dates, l’inspiration semblait mutuelle, d’autant plus que Klee survécu à Schiele). Ou encore quand il réalise des paysages presque abstraits, comme Soleil d’Automne.

Egon Schiele, Façade sur la rivière, huile sur toile, 1915, Leopold Museum, Vienne.
Egon Schiele, Façade sur la rivière, huile sur toile, 1915, Leopold Museum, Vienne.
Paul Klee, Petit village sous le soleil d'automne, Huile sur carton, 1925, Musée d'art du comté de Los Angeles (LACMA), Etats-Unis.
Paul Klee, Petit village sous le soleil d’automne, Huile sur carton, 1925, Musée d’art du comté de Los Angeles (LACMA), Etats-Unis.
Egon Schiele, Soleil d'automne I (Lever de soleil), huile sur toile, 1912, 80,2 x 80,2 cm, Collection privée, New-York.
Egon Schiele, Soleil d’automne I (Lever de soleil), huile sur toile, 1912, 80,2 x 80,2 cm, Collection privée, New-York.
Egon Schiele, Arbre d'automne dans le vent, Huile sur toile, 1912n Leopold Museum, Vienne.
Egon Schiele, Arbre d’automne dans le vent, Huile sur toile, 1912n Leopold Museum, Vienne.

Comme ce dernier, Egon Schiele est d’ailleurs souvent rattaché à l’Expressionnisme. Leurs styles sont pourtant très différents. Au premier abord, la première chose qui nous frappe, est que les œuvres d’Egon Schiele sont, en comparaison, plus figuratives que celle de Paul Klee. Celui-ci tend vers l’abstraction, comme son ami Vassily Kandinsky. De plus, Paul Klee use d’une palette aux couleurs plus vives et chatoyantes que Schiele. Étant d’abord musicien, quand il laisse place au vide, ça n’est pas pour autant le silence qui nous assourdit. Ses œuvres semblent fourmiller de vie (de « pulsion de vie », comme dirait Freud). Celles de Schiele, avec ses corps fragiles, désarticulés comme des marionnettes aux fils détendus, incapables de se tenir correctement, évoquent la mort – y compris la « petite mort », autre nom de l’orgasme.

Il faut croire que les contraires s’attirent bel et bien.

« On peut y voir aussi la représentation de la condition humaine entre deux morts : la « petite mort » de l’acte d’amour d’où renaît la vie et la seconde mort, la mort réelle, d’où l’on ne revient plus et par laquelle on disparaît définitivement. »

Jean-Marie Nicolle, « Orphée« , in L’indispensable en culture générale, 2008, p.17.

Egon Schiele, Faire l'amour, Gouache et craie noire sur papier, 49,6 × 31,7 cm, 1915, Leopold Museum, Vienne.
Egon Schiele, Faire l’amour, Gouache et craie noire sur papier, 49,6 × 31,7 cm, 1915, Leopold Museum, Vienne.

Toutefois, ils semblent partager une soif créatrice inextinguible, se délectant de pouvoir représenter ce qu’ils voient mais surtout ce qu’ils ressentent, perçoivent, éprouvent…

« Si tous deux sont particulièrement préoccupés par l’esthétique de l’érotisme, d’un point de vue stylistique, le travail de Gustav Klimt est formellement ordonné et décoratif, tandis que celui d’Egon Schiele est plus torturé et plus expressif. Le premier s’efforce d’atteindre, par des moyens formels, un ordre qui, comme c’est le cas chez le peintre hollandais Piet Mondrian (1872-1944) s’adapte à l’ensemble de la collectivité. Egon Schiele, plus proche en revanche du peintre allemand Paul Klee (1879-1940), transcrit des idées très personnelles qui ont le pouvoir d’évoquer des expériences communes. Singulièrement, Gustav Klimt peut être considéré comme un artiste emblématique d’un style de fin de siècle, tandis que Schiele incarne la prise de conscience nouvellement acquise de l’homme du XXème siècle. Ensemble, les deux artistes représentent l’incroyable richesse créative des années 1900. »

Nadège Durant, « Gustav Klimt et la sensualité féminine: Entre symbolisme et Art nouveau« , in 50 Minutes, p.31-32.

Klimt, le maître viennois

Evidemment, Klimt est un modèle pour la plupart des artistes viennois et européens de son époque et est encore aujourd’hui connu partout dans le monde. Pourtant, nombre de ses œuvres ont été détruites pendant la guerre. De certaines, il ne nous reste que des photographies en noir et blanc qui ne sauraient rendre justice à son art. Mais si Klimt reste aussi admiré et respecté de nos jours, c’est aussi parce que nombre d’artistes se sont depuis inspirés de son travail. Schiele en fit partie.

On retrouve le fond d’or, cher à Gustav Klimt, dans Mère avec deux enfants. Il représente ici une étrange Madonne au visage squelettique, semblant bercer deux enfants – ou deux poupons – dont tout laisse penser que l’un d’eux est mort. Dans Mère Morte (voir ci-dessous), peinture très sombre qui contraste énormément avec Mère avec deux enfants, Schiele semble évoquer le décès d’un de ses frères, mort-né. L’enfant, les yeux vides, est encerclé par un grand châle noir qui évoque le ventre de sa mère.

Egon Schiele, Mère avec deux enfants, huile sur toile, 1915, Leopold Museum, Vienne.
Egon Schiele, Mère avec deux enfants, huile sur toile, 1915, Leopold Museum, Vienne.

Ceci étant dit, si Gustav Klimt détestait le vide, Egon Schiele semble s’en délecter. Il place rarement ses personnages dans un décor, préférant généralement un fond dépouillé et vitreux. Ses nus provocateurs, cernés d’épais contours, semblent ressortir encore davantage au milieu de cette absence, nous poussant à les regarder, à rougir de leur posture et de leurs activités ; leur chair tuméfiée contrastant avec l’aspect livide de leur toile de fond.

Egon Schiele, Mère morte (Tote Mutter), 32,1 × 25,8 cm, 1910, Leopold Museum, Vienne.

Comme Klimt, pourtant, Schiele manie à merveille l’art de transformer les corps à sa manière. Il les déforme, creuse ou allonge par endroits. Certains visages n’ont plus rien d’humain (voir ci-dessous), plus proches de la marionnette, cet étrange objet qui nous laisse toujours un sentiment d’inquiétante-étrangeté (encore une idée de Freud, tiens !) Parfois, il peint même des parties du squelette de ses modèles (voir le portrait de Karl Zakovsek, plus haut, dont la main est particulièrement osseuse et les proportions très déformées, caricaturales).

De son côté, Klimt peint des corps longilignes et élégants, très séduisants et d’une grande beauté. C’est d’autant plus vrai que l’habilité de l’artiste pour l’art décoratif est aussi brillant que ses œuvres (lâche un commentaire si tu penses que je ne manque pas d’humour, jeune freluquet).

Il partage en tout cas le même intérêt que Klimt pour les femmes. Elles semblent beaucoup l’inspirer et sont au centre de nombre de ses travaux. Il peint aussi beaucoup l’amour lesbien.

Egon Schiele, Couple de femmes amoureuses, crayon et aquarelle, 32,5 × 49,5 cm, 1912, Palais Albertina, Vienne.
Egon Schiele, Couple de femmes amoureuses, crayon et aquarelle, 32,5 × 49,5 cm, 1912, Palais Albertina, Vienne.

Mais les toiles de Schiele sont loin d’être les quasi-icônes peintes par Klimt, dans un style rappelant beaucoup l’art chrétien byzantin et ses fonds d’or à la fois décoratifs et symboles divins. Malgré leur amitié et leur respect mutuel, leurs préoccupations semblent diamétralement opposées. L’un semble être le peintre de la beauté ; l’autre de la laideur. Comme les deux faces d’une même pièce, unies et à la fois à jamais opposées.

Gustav Klimt, Adèle Bloch-Bauer I, Huile et feuille d'or sur toile, 138 x 138 cm, 1907, Neue Galerie, New York.
Gustav Klimt, Adèle Bloch-Bauer I, Huile et feuille d’or sur toile, 138 x 138 cm, 1907, Neue Galerie, New York.

Egon Schiele et Adolf Hitler : ont-ils pu se croiser ?

Sensiblement à la même période, les deux hommes postulent aux Beaux Arts de Vienne. L’un y sera accepté, l’autre pas. Drôle de destin croisé.

Egon Schiele, Prisonnier de guerre russe, 1915.
Egon Schiele, Prisonnier de guerre russe, 1915.

Egon Schiele et Adolf Hitler n’ont qu’un an de différence : le premier est né en 1890, l’autre en 1889. Tous deux se rêvent artiste et se retrouvent sur le chemin de l’Académie des Beaux-Arts de Vienne. Egon Schiele, nous l’avons vu, parviendra à y entrer mais pliera bagage rapidement. Profondément avant-gardiste, il ne pouvait supporter les règles imposées par ses maîtres. Adolf Hitler, lui, sera plusieurs fois refusé au concours d’entrée de l’Ecole (la seconde fois, il ne sera même pas autorisé à passer le concours d’entrée !). Au contraire d’Egon Schiele, il est jugé trop conventionnel. Il manque de talent.

Il m’était impossible de ne pas comparer leurs histoires tant elles me semblent paradoxales. Egon Schiele mourra bien avant qu’Hitler ne parvienne au pouvoir mais il aura le temps de croiser la route de nombreux artistes que le régime nazi nommera « dégénérés« . Au cours de sa carrière, Egon Schiele, lui, s’inspirera des déments – les vrais, les malades – internés en asile psychiatrique. Il les observera pour réaliser ses œuvres et travailler les postures, les attitudes si expressives et désarticulées de ses portraits. Il percevra l’intérêt et la beauté (au sens esthétique du terme) dans cette apparente laideur – dans la maladie, dans l’ombre des instituts fermés, cachés aux yeux du monde, dans ce que d’aucuns appelleraient la monstruosité, ou simplement dans la différence, dans l’altérité. Il faut dire qu’il est confronté très tôt à la folie car son père est atteint par la syphilis.

En bref, tout ce qu’Hitler cherchera à détruire, quelques années plus tard, Schiele aura essayé de le mettre en lumière et s’en servira pour créer. Pulsion de vie et pulsion de mort ; création et destruction ; Eros et Thanatos réunis une fois encore par un étrange lien, presque imperceptible.

Egon Schiele, Autoportrait debout avec un gilet au motif paon, Huile sur toile, 1911, Collection Ernest Ploil, Vienne.
Egon Schiele, Autoportrait debout avec un gilet au motif paon, Huile sur toile, 1911, Collection Ernest Ploil, Vienne.

[wysija_form id= »2″]

Sources :

Egon Schiele, Article Wikipédia
Egon Schiele, la vérité nue de l’expressionnisme viennois – France TV Education
5 faits méconnus sur Egon Schiele – BeauxArts
Egon Schiele vs Jean-Michel Basquiat, les enfants terribles du XXe siècle
Egon Schiele – Vikidia
Egon Schiele (1890-1918), génie provocateur – Danube Culture
Harry Bellet, « Egon Schiele, le renégat », in Le Monde, 2018.

JE SUIS CHARLIE !

… Comment commencer un article comme celui-là ?
Je me suis longuement posée la question mais je n’ai pas trouvé de réponse adéquate. D’autant plus que la plupart de mes amis blogueurs ont préféré s’abstenir de s’exprimer sur ce qui s’est produit (ce que je comprends et respecte tout à fait, d’ailleurs). Je ne peux donc pas vraiment m’inspirer de leur propre réaction.
Quoi qu’il en soit, je ne voulais pas rester silencieuse. Je ne voulais pas non plus m’exprimer dès le premier jour, comme beaucoup l’ont fait. Pas que je n’avais rien à dire mais la tristesse et la colère auraient probablement déformé mes mots. Mercredi 7 janvier, je n’ai donc fait qu’un malheureux dessin. Et je ne suis vraiment pas douée pour ce genre de dessin. Mais j’y tenais. On essaie de faire ce qu’on peut, dans ces cas-là, j’imagine.

Aujourd’hui, je suis toujours triste, toujours en colère aussi, même si les raisons commencent à se répandre différemment. Mais je tiens à publier cet article, consacré aux très nombreux dessins et créations qui ont émergé de ce désastre.
Ils illustrent tellement bien l’adage qui veut que « rien ne se perd, tout se transforme ». Cette phrase n’en finit par d’être vraie. Heureusement ? Malheureusement ? Je ne sais pas.

Les articles que je publie sur mon blog sont généralement consacrés à l’art et à la culture. Je prends régulièrement plaisir à vous raconter pourquoi telle œuvre est ainsi faite et ce qu’elle raconte. Je fais de mon mieux. Et je voudrais faire de mon mieux, aujourd’hui encore, pour vous présenter la myriade de dessins que j’ai récolté sur la toile et qui portent tous le même étendard : Je suis Charlie.

Beaucoup de « cartoons » dans les dessins qui ne cessent de fleurir depuis mercredi. Des bandes dessinées, des caricatures. Certaines témoignent clairement du chagrin laissé dans son sillage par l’attentat meurtrier. D’autres ont préféré miser sur l’humour. Parce que Charlie Hebdo, c’était l’art de rire de tout, de tout le monde, tout le temps. « Comme des enfants » ont pu témoigner certains rescapés du journal, qui connaissaient très bien les dessinateurs disparus tragiquement. On perçoit également l’amertume chez beaucoup. Comme le sentiment d’un énorme gâchis. Pourquoi eux ? Pourquoi comme ça ? Et pourquoi a-t-il fallu qu’un tel évènement survienne pour que la France apparaisse plus soudée qu’elle ne l’avait été depuis bien longtemps ?
Certains noms d’artistes, dans cette liste, ne vous diront sûrement rien. Il faut dire que même les dessinateurs en herbe et ceux dont ça n’est pas forcément le métier ont pris la plume et l’encre pour mettre de la couleur et quelques mots (ou pas) sur ces atrocités. Il y a aussi des noms bien célèbres comme Uderzo (le papa d’Astérix), Zep (celui de Tifeuf) le caricaturiste et dessinateur de presse Plantu ou encore Philippe Geluck (le bédéiste belge créateur du Chat).
Il y a tous les styles, toutes les pattes. Il y a même des artistes du monde entier (comme les américains Nick Anderson, Rick McKee, Gary Varvel, l’Espagnole Ana Juan, en une du New Yorker, l’égyptien Mazen Kerbaj, l’iranien Mana Neyestani, le grec Alecos Papadatos, le suisse Chappatte). Pourtant, tous ces dessins sont d’une grande clarté.

Les images ont bel et bien un pouvoir, qui dépasse peut-être même celui des mots : elles ont la capacité d’être compréhensibles par tous. La lecture des images est universelle.
C’est donc d’autant plus tragique que ce soit précisément notre capacité à dessiner, développée par les hommes depuis la nuit des temps (les hommes préhistoriques dessinaient déjà !) qui ait été attaquée ce mercredi. D’autant plus qu’il s’agissait de dessins humoristiques. Or, l’humour est également le propre de l’être humain.
Quant à défendre notre liberté d’expression, je crois que vous avez été assez nombreux à le faire ce week-end, en descendant dans la rue. Je n’en ajouterai pas davantage (pas dans cet article, en tout cas) car c’était bien assez beau comme ça, quoiqu’en disent certains (que ce soit par bêtise ou pour tout autre raison, je préfère vous ignorer aujourd’hui). Toutefois, avant de passer aux dessins, je publierai seulement cette photographie, de Martin Argyroglo digne héritière de La Liberté guidant le Peuple et justement prise dimanche, Place de la République à Paris :

Martin Argyroglo
Martin Argyroglo

Passons aux dessins.
Cliquez sur un des dessins pour l’agrandir.


Si d’autres dessins vous ont plu, vous ont marqué par leur humour ou leur émotion, par leur pertinence ou leur beauté et qu’ils n’apparaissent pas dans la galerie que j’ai dressée ici (je n’ai probablement pas pu tout voir), n’hésitez pas à en parler et à partager les liens dans les commentaires, ci-dessous.

Je consacrerai également un article, dans la même veine que celui-ci, aux pancartes qui ont pu être brandies pendant les marches républicaines de samedi et dimanche, à Paris, en France et partout ailleurs. Certains des slogans qui y étaient brandis méritent d’être vus, encore et encore.

La montre Poétique Midnight Planétarium de Van Cleef & Arpels

La montre Poétique Midnight Planétarium de Van Cleef & Arpels  Salon International de la Haute Horlogerie (SIHH), Genève, 2014
La montre Poétique Midnight Planétarium de Van Cleef & Arpels
Salon International de la Haute Horlogerie (SIHH), Genève, 2014

 

Je plaide coupable : j’ai tendance à être un peu geek sur les bords… Okay, c’est grave incrusté en fait, bien en profondeur. Alors, quand j’ai vu cette montre, j’ai évidemment craqué. Que dis-je ! Je suis tombée follement amoureuse ! (bah oui, les mécanismes, les machines, tout ça, ça me fascine) Même si, il faut bien que je me l’avoue, je n’aurai jamais les $245,000 qu’elle coûte pour me l’offrir (oui, je me montre lucide, parfois).

Il n’empêche que voilà une petite merveille. Présentée au Salon International de la Haute Horlogerie (SIHH) à Genève, cette montre n’est ni plus ni moins qu’une création de Van Cleef & Arpel, l’entreprise de joaillerie franco-suisse. Et vous allez voir qu’elle mérite bien un petit descriptif, car c’est un objet plutôt magique.

 

Montre Van Cleef & Arpel
La montre Poétique Midnight Planétarium de Van Cleef & Arpels
Salon International de la Haute Horlogerie (SIHH), Genève, 2014

 

Montre Van Cleef & Arpel
La montre Poétique Midnight Planétarium de Van Cleef & Arpels
Salon International de la Haute Horlogerie (SIHH), Genève, 2014

 

Montre Van Cleef & Arpel
La montre Poétique Midnight Planétarium de Van Cleef & Arpels
Salon International de la Haute Horlogerie (SIHH), Genève, 2014

 

En effet, en plus de lire l’heure au moyen d’une étoile filante qui tourne le long de son cadran, la montre affiche la rotation précise de la Terre et des cinq autres planètes de notre système solaire. Ainsi, Mercure effectue sa rotation autour du Soleil en 88 jours, Vénus en 224, la Terre en un an, Mars en 687 jours, Jupiter en 12 ans et, enfin, Saturne en 29 ans !

Cette montre n’est donc pas seulement très belle, elle renferme aussi un dispositif d’horlogerie très complexe.
Rappelons que l’horlogerie s’est souvent inspirée des cieux et a longtemps été fascinée par le mouvement des planètes. Ainsi, certaines horloges astronomiques sont de vraies merveilles d’ingéniosité (par exemple, celle de Strasbourg, dont je vous ai déjà parlé). Cette montre en est la digne héritière. Elle est peut-être d’autant plus fascinante qu’elle tient au poignet alors que ses descendantes prennent généralement une place énorme (celle de Strasbourg se situe dans la Cathédrale de la ville !).
Autre détail technique qui s’inscrit dans l’ambition poétique des créations Van Cleef & Arpels depuis quelques années, l’idée d’intégrer un système de « jour de chance » à cette montre. Il est défini par le propriétaire de l’objet et, quand arrive ce jour, la Terre vient se placer sous la petite étoile du cadran.

Enfin, notons pour le détail de la chose que chaque planète est représentée par une pierre précieuse. De fait, il s’agit tout de même de la création d’une joaillerie ! Une version plus extravagante encore est même sertie de diamants… Quant au bracelet, il s’agit de cuir d’alligator noir (rien que ça !).

Montre Van Cleef & Arpel
La montre Poétique Midnight Planétarium de Van Cleef & Arpels
Salon International de la Haute Horlogerie (SIHH), Genève, 2014

 

guillemet« Après avoir mis l’accent sur les constellations, Van Cleef & Arpels place sa collection Midnight in Paris en orbite et fait danser le système solaire sur le cadran de sa nouvelle montre Poétique Midnight Planétarium. Aventurine, turquoise, jaspe rouge, agate bleue, serpentine… Symbolisés par ces pierres fines, ces astres évoluent à leur propre rythme et dissimulent un mouvement mécanique à remontage automatique, équipé d’un module Christiaan van der Klaauw spécialement développé pour la maison Van Cleef & Arpels. Une complication aussi spectaculaire qu’envoûtante, qui a su attirer tous les regards du dernier SIHH. »

[Source]

Cette montre n’étant pas la première ni la seule magnifique création de la joaillerie en matière de montre, je vous propose de découvrir ci-dessous quelques-uns de mes coups de coeur. Je m’intéresse en particulier à la série s’inspirant des romans de Jules Verne car je travaille actuellement sur le Steampunk, alors vous vous doutez sûrement à quel point ça peut me plaire. Ces montres témoignent non seulement d’un savoir-faire mais mettent aussi en scène une esthétique romantique bien française (bien que surtout parisienne). Quelque chose qui tient de la Belle Epoque qui fait encore rêver le monde entier aujourd’hui. Voici les merveilles :

 

Cinq semaines en ballon, Van Cleef & Arpels
Cinq semaines en ballon, Van Cleef & Arpels
Inspiré du roman de Jules Verne
2011

 

Vingt-milles lieues sous les mers, Van Cleef & Arpels
Vingt-milles lieues sous les mers, Van Cleef & Arpels
Inspiré du roman de Jules Verne
2011
Boîtier en or blanc. Email paillonné translucide. Mouvement 800P automatique. Bracelet en alligator avec boucle déployante. Edition limitée à 22 exemplaires.

 

De la Terre à la Lune, Van Cleef & Arpels
De la Terre à la Lune, Van Cleef & Arpels
Inspiré du roman de Jules Verne
2011
Boîtier en or blanc. Email paillonné translucide. Mouvement 800P automatique. Bracelet en alligator avec boucle déployante. Edition limitée à 22 exemplaires.

 

Montre Midnight in Paris, Van Cleef & Arpels Or blanc "La montre Midnight in Paris de Van Cleef & Arpels permet aux passionnés d’horlogerie, où qu’ils soient dans le monde, de voir la position exacte des étoiles dans le ciel de Paris. Ainsi, celui qui porte cette montre possède non seulement une fenêtre sur la voûte céleste mais aussi un peu de la magie de la ville lumière. Les étoiles scintillent sur un cadran en verre aventurine bleu nuit. Le mouvement assure leur rotation quasi-imperceptible sur un cycle de 365 jours, dévoilant ainsi leur position exacte dans le ciel de Paris. Le calendrier situé sur le fond du boîtier en or blanc est serti de véritable météorite. Diamètre : 41mm. Mouvement : Mécanique suisse adapté d’un mouvement Jaeger LeCoultre 849." [Source]
Montre Midnight in Paris, Van Cleef & Arpels
Or blanc
« La montre Midnight in Paris de Van Cleef & Arpels permet aux passionnés d’horlogerie, où qu’ils soient dans le monde, de voir la position exacte des étoiles dans le ciel de Paris. Ainsi, celui qui porte cette montre possède non seulement une fenêtre sur la voûte céleste mais aussi un peu de la magie de la ville lumière. Les étoiles scintillent sur un cadran en verre aventurine bleu nuit. Le mouvement assure leur rotation quasi-imperceptible sur un cycle de 365 jours, dévoilant ainsi leur position exacte dans le ciel de Paris. Le calendrier situé sur le fond du boîtier en or blanc est serti de véritable météorite. » [Source]
Montre Pont des Amoureux, Van Cleef & Arpels
Montre Pont des Amoureux, Van Cleef & Arpels
Or blanc, Diamant
« Grâce à son mouvement rétrograde, les deux amoureux de la montre Pont des Amoureux se retrouvent à minuit sur le célèbre Pont des Arts à Paris. Cette rencontre romantique symbolise les moments les plus heureux d’une vie : ceux de l’amour. Sur un cadran en émail contre-jour, la montre Le Pont des Amoureux met en scène deux amoureux dont la promenade romantique marque le temps qui passe jusqu’au rendez-vous tant attendu. Mus par un mouvement rétrograde, les personnages avancent l’un vers l’autre et se retrouvent à midi et minuit pour un baiser, chérissant leur amour pour l’éternité. » [Source]
Lady Arpels Poetic Wish et Midnight Poetic Wish, Van Cleef & Arpels  2012 [ Plus d'informations ]
Lady Arpels Poetic Wish et Midnight Poetic Wish, Van Cleef & Arpels
2012
[ Plus d’informations ]
Montre Lady Arpels Une journée à Paris, Van Cleef & Arpels
Montre Lady Arpels Une journée à Paris, Van Cleef & Arpels
Or blanc / Or rose

 

Lady Arpels Polar Landscape Seal Deco, Van Cleef & Arpels
Lady Arpels Polar Landscape Seal Deco, Van Cleef & Arpels
Prix de la montre Joaillerie et Métiers d’Art
Grand Prix d’Horlogerie de Genève (GPHG), 2011

 

Butterfly Symphony , Van Cleef & Arpels
Butterfly Symphony , Van Cleef & Arpels
Prix de la Montre Dame du Grand Prix du Public, Genève, 2011
[ Plus d’informations ]

Sources :
Site Officiel de Van Cleef & Arpels
Précieux Conseils : Conseil privé en joaillerie
Cool Hunting