
Photomontage
2012
Voici ce à quoi ressemblerait le Baron Humbert von Gikkingen, célèbre personnage des studios d’animation Ghibli, dans la « vraie » vie. L’artiste Andrew Michael Golden s’est amusé à transposer les personnages du studio japonais (dont fait notamment partie Hayao Miyazaki) dans des vraies-fausses photographies « vintages ».
Mais ça n’est pas l’œuvre de Andrew Michael Golden qui va nous intéresser ici. En fait, j’ai choisi de vous parler du Baron parce que l’histoire de ce chat fictif est une de celles qui me tient le plus à cœur. Et elle fait l’objet de deux films d’animation à la fois différents et complémentaires : Si tu tends l’oreille et Le Royaume des chats.

(Si tu tends l’oreille, 1990)
Le Baron Humbert von Gikkingen apparaît d’abord dans le très touchant Si tu tends l’oreille en 1990. Dans ce film d’animation, il n’est qu’une statuette qu’un vieil homme garde précieusement en souvenir de l’amour de sa vie, perdu de vue durant la guerre.

(Si tu tends l’oreille, 1990)

On apprend que la statuette du Baron formait en réalité un duo avec une autre figurine (représentant sa compagne). Cette dernière a été emportée par la femme perdue de vue par le grand-père.
Les retrouvailles de ces deux chats sculptés auraient symboliquement scellé celles de quatre amoureux mais elles n’auront jamais lieu.
A la place, la jeune héroïne du film, Shizuku, décide de s’inspirer de l’histoire du Baron et se met à écrire un roman dans lequel tout est bien qui finit bien. Elle trouve ainsi sa voie : l’écriture.

(Si tu tends l’oreille, 1990)
L’histoire qu’invente Shizuku dans ce roman est très proche de celle que raconte Le Royaume des Chats (2002), l’autre film d’animation dans lequel le Baron apparaît. Cette fois, il est l’un des personnages principaux.
Il n’est pas dit clairement que Le Royaume des Chats est l’histoire inventée par l’héroïne de Si tu tends l’oreille mais cela tiendrait la route.
Toutefois, les deux films ont beau se compléter, ils sont aussi très différents : Si tu tends l’oreille se voulait réaliste, racontant une période de la vie d’une jeune fille en quête de ses rêves d’avenir, Le Royaume des Chats est, lui, totalement fantastique.
En effet, l’héroïne, nommé Haru, se retrouve propulsée dans un monde parallèle uniquement habité par des chats (évidemment !).
A mes yeux, Le Royaume des Chats est une sorte d’Alice au pays des Merveilles revisité. Nous en avons tous les ingrédients : des animaux qui parlent, des tunnels menant d’un monde à l’autre, des personnages qui grandissent ou rapetissent, des souverains fous dangereux et une aventure qui joue souvent le loufoque de façon pas toujours très sympathique, voire un peu inquiétante.

(Le Royaume des chats, 2002)




Et puis, je ne sais pas vous, mais pour moi, la tenue bleue et blanche de l’héroïne, rappelle quand même sacrément celle de la Alice de Disney. Non ?
Sans compter que, comme par hasard, le style du Baron et celui de sa maison, notamment, rappellent vraiment la mode du XIXe siècle (époque où Alice au pays des Merveilles a été écrit par Lewis Carroll, puisque le roman date de 1865).
De plus, dans les deux œuvres, il est difficile de savoir si l’héroïne n’est pas seulement en train de rêver. Alice et Haru sont, en tout cas, propulsées dans une aventure rocambolesque qui les amènera à grandir.
Au milieu de tout ça, le Baron est un Chapelier pas si fou, qui tente, tant bien que mal, de sauver Haru. Dans Si tu tends l’oreille, il sauve également Shizuku, d’une certaine façon, en devenant sa source d’inspiration : elle découvre ainsi qu’elle rêve de devenir écrivain.

L’autre personnage qui fait le lien entre Le Royaume des chats et Si tu tends l’oreille, est le gros chat blanc à l’oreille sombre nommé Mouta (ou Muta). Dans Si tu tends l’oreille, c’est lui qui guide, sans le faire exprès (ou peut-être pas tout à fait, allez savoir !) la jeune Shizuku jusqu’à la demeure du vieil homme possédant la statuette du Baron.
Étrange coïncidence (ou peut-être pas, une fois encore) : la maison du grand-père est étrangement semblable à celle du Baron dans Le Royaume des chats. N’est-il pas un peu le Lapin Blanc de l’histoire ? A la différence qu’il se distingue plutôt par son flegme de grincheux paresseux, là où le Lapin, lui, est sans cesse en mouvement et plein d’énergie puisqu’il est en retard.
On peut se demander si Shizuku écrit donc bel et bien son roman ou si elle n’est pas inconsciemment guidée par une magie qui lui échappe (celle des chats, ndlr). La question reste en suspend, bien sûr, après visionnage des deux films. Et c’est là que l’imagination prend le relais.

En bas : Muta tournant le dos à Haru dans Le Royaume des chats (2002)

En bas : devanture de la maison du grand-père. (Si tu tends l’oreille, 1990)
Enfin, des chats qui se mettent à marcher sur deux pattes, à parler et se conduire comme des hommes, c’est une chose, mais j’ai surtout retenu que, dans Le Royaume des chats, cela se passait la nuit : ainsi, quand Haru arrive devant la maison du Baron, il fait encore jour et, en regardant par la petite fenêtre, la jeune fille ne voit qu’une statuette de chat inanimée. Le soleil se couche, ensuite, et la figurine prend vie.

Curieusement, je trouve que la peinture de Théophile-Alexandre Steinlen, intitulée L’Apothéose des chats à Montmartre, montre quelque chose d’assez semblable, à sa façon.
En effet, tous les chats de la fameuse butte parisienne semblent s’être réunis afin d’élire leur chef suprême. Il faut savoir que le mot « apothéose » marquait l’admission d’un mortel parmi les dieux en Grèce et en Rome antiques. Or, en sauvant un chat au début du film (et pas n’importe lequel), la jeune Haru a droit, elle aussi, à son apothéose : c’est ainsi que, la nuit venue, une procession de chats (avec, parmi eux, leur roi) vient chez elle pour la remercier et la couvrir de cadeaux. Malheureusement, tout cela va lui apporter plus d’ennuis qu’autre chose !

Théophile-Alexandre Steinlen – 1885
Huile sur toile, 164,5 x 300 cm
Musée de Montmartre
(Cette toile monumentale se trouvait initialement au Chat Noir, ancien célèbre cabaret parisien.)


Soyons clairs, toutefois : Le Royaume des chats peut sembler moins ambitieux que la plupart des films d’animation du studio Ghibli. Certains diront qu’il est même raté. Je ne suis pas d’accord. Je le vois davantage comme un Disney : divertissant avant tout, bien que non dénué de sens (ni de scènes violentes, que le réalisateur a choisi de faire passer grâce à l’humour omniprésent dans le film). Il est également moins fouillé visuellement que les autres films du studio. Mais le budget qui lui fut alloué, durant sa réalisation, était aussi plus maigre : Le Royaume des chats devait, à l’origine, être un court métrage destiné uniquement au format DVD. Les mauvaises langues diront qu’il aurait dû le rester. Mais, en ce qui me concerne, j’ai apprécié ce bol d’air frais au milieu du sérieux parfois un peu trop pesant et prôné par les films Ghibli (que j’apprécie aussi, là n’est pas la question, mais j’aime aussi regarder des films d’animation japonais sans finir en larmes ou subir une dépression de sept jours après visionnage). Faire simple, ça n’est pas forcément faire mal. De même que divertissant ne rime pas toujours avec dépourvu de sens ou d’intérêt (la preuve, ça ne rime pas en fait !…).

Si tu tends l’oreille, lui, est un petit bijou mais le public qu’il vise n’est pas nécessairement le même : plus contemplatif, il plaira davantage à un public capable de comprendre toutes ses subtilités. Pourtant, je trouve que les deux films se complètent bien, à leur façon. En ce qui me concerne, je les ai aimés tous les deux pour différentes raisons.
Pause précision : Si tu tends l’oreille fut réalisé par Yoshifumi Kondo qui, à l’époque, était pressenti pour succéder au maître incontesté des Studios Ghibli : Hayao Miyazaki. Malheureusement, Si tu tends l’oreille fut son unique film car il mourut trois ans plus tard d’une rupture d’anévrisme. La même année, Hayao Miyazaki décida même de prendre sa retraite… Mais il revint finalement pour réaliser Le Voyage de Chihiro (2001). Sources : |


Ces deux films racontent en tout cas de très touchantes histoires d’amour et bénéficient, en plus, de dessins magnifiques qui sauront, j’en suis sûre, vous transporter. Pour ma part, le Baron est depuis longtemps l’un de mes personnages de fiction favoris et ce sont ses histoires, quand j’ai un coup de mou ou une baisse de moral, qui me donnent envie de me remettre à créer. Ce qui tombe plutôt bien puisque Si tu tends l’oreille raconte finalement l’histoire de deux jeunes gens qui se démènent pour réaliser leurs rêves et leurs arts. Et avec Le Royaume des Chats, il forme un duo de films célébrant joliment les bienfaits de l’imagination et de l’imaginaire pour qui les nourrit avec passion.

* Site web de Andrew Michael Golden : http://andrewmichaelgolden.com/
* Article dédié aux chats noirs dans la peinture : http://echos-de-mon-grenier.blogspot.fr/2013/10/lapotheose-des-chats-noirs.html
* Analyse de Si tu tends l’oreille : http://www.kanpai.fr/culture-japonaise/si-tu-tends-loreille-analyse
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Moi j’aime les dessins animés japonais pour leurs décors qui sont toujours formidables.
J’ai adoré le Royaume des chats mais je ne connaissais pas Si tu tends l’oreille. Ça me donne envie de le voir ! Merci pour la découverte !
Article brillant! bravo
Merci beaucoup ! Vos commentaires me touchent beaucoup et me font très plaisir !
Bonjour, je viens de regarder « si tu tends l’oreille » et j’ai été très surpris de voir que la statuette du vieil homme bougeait! Ais-je été le seul à remarquer cela ? Les deux premières fois ou la statuette apparaît elle est identique mais la troisième fois le chapeau et la canne sont inversés. Une erreur de dessin ? J’en serai surpris ! En tout cas les univers de ces aimés Japonais sont formidables.
Oui jai remarqué le changement de la statue. Je me suis dit qu’il changeait de position car la nuit tomber , il bougeait et sortait faire ses aventures. Mais un moment donner il change de position alors qu’il y a juste un changement d’angle de la « caméra » … donc bizarre
Hello, je tombe sur ton article suite à une petite recherche sur l’éventuel lien entre Si je tends l’oreille et le Royaume des chats. Je suis entrain de regarder Si je tends l’oreille (car je ne connaissais pas son existence) et étant une très grande fan du Royaume des chats revoir les personnages du Baron et de Muta m’ont interloquées et je me demandais si il y avait bien un lien etc… Du coup ton article est tombé à pic et je l’ai beaucoup aimé!
Chapeau grâce à ton article brillant j’ai pu comprendre le lien entre les 2 et maintenant je sais que l’imagination est rôle clé dans les 2 histoires ! Je me suis fais les 2 films à la suite et à la fin du royaume des chats je me suis imaginé plein de choses, je suis content d’apprendre que l’imagination est la solution :)
Très belle description, je regarde des Ghibli depuis toute petite. J’aime ce sérieux, et cette magie qu’arrive à mettre les japonnais dans leurs œuvres. Le royaume des chats je l’ai découvert il y a longtemps, j’étais plus jeune et je sais que je me suis toujours demandée, pourquoi pas plus d’approfondir dans leurs histoires » d’amour » . Parce que en soit elle n’a rien à faire dans ce film, en effet Haru tombe amoureuse du Baron pour qu’elle perde d’avantage son identité. Et à la fin, elle prône ces sentiments sans honte et en fait part au Baron ( qui la repousse tout gentiment d’ailleurs ) je crois que c’est cela le raisonnement. Mais une part de moi aurai voulu plus d’amour je l’avoue, le Baron est beau et charismatique ! Il devrait en faire d’avantage des films sur ce personnage.
Merci beaucoup !
C’est vrai que la romantique que je suis aurais aussi aimé une autre fin pour Haru et le Baron. Mais je vois leur relation un peu comme celle de Alice et du Chapelier Fou dans les récentes adaptations de Disney/Tim Burton : l’un vit dans le « vrai » monde, l’autre dans un monde « imaginaire ». Si le Baron laisse partir Haru, c’est pour qu’elle vive sa vraie vie mais il lui laisse le plus beau cadeau du monde : savoir qu’il y a un autre monde, dans notre cœur et notre esprit, dans lequel on peut s’évader à loisir, pour peu qu’on connaisse le chemin. Même si, parfois, on y croise des cauchemars, on peut aussi y vivre des choses merveilleuses et cela n’en reste pas moins « vrai », d’une certaine façon. Paul Eluard disait : « Il y a un autre monde, mais il est dans celui-ci. »
Je suis parfaitement d’accord, en tout cas : plus de films sur le Baron et ses aventures, je serais preneuse !
Bonjour,
Jaimerai faire une remarque . Le royaume des chats et si tu tend l’oreille me semblent plus mystérieux que sa en a l’air.
On mélange clairement le monde des chats et le monde humain dans « si tu tend l’oreille » comme si c’était déjà prévu l’arrivée du royaume des chats. Pourquoi?
Jai constaté que la statue du Baron avait à chaque fois une position différente ( ce n’ai pas un hasard). Le soir venu, le Baron devait prendre vie . Et je pense qu’on nous a laissé ce petit indice volontairement.
J’aimerais partager cette hypothèse avec vous .
Cordialement
Mathias
Bonjour !
D’après mes recherches, « Le Royaume des Chats » est un hommage au réalisateur décédé de « Si tu tends l’oreille ».
En fait, « Si tu tends l’oreille » est inspiré d’un manga de Aoi Hiiragi, à la base. Du coup, après le décès du réalisateur du film et parce qu’il avait eu beaucoup de succès, Hayao Miyazaki a demandé à Aoi Hiiragi d’écrire une nouvelle histoire basée sur le Baron. Ca devait être une série de courts métrages. Mais comme l’histoire était finalement plus longue que prévue, c’est un film qui a été créé.
Il semble bien que le Baron de « Si tu tends l’oreille » était déjà un personnage « fantastique » et non pas une simple statuette. On peut penser que, poétiquement, cela sert à refléter les sentiments de son propriétaire, dans le film. C’est une jolie histoire que celle de ces deux figurines.
Et puis, dans « Si tu tends l’oreille », Shizuku écrit une histoire inspirée de la statuette du Baron. On peut imaginer que c’est « Le royaume des chats ». Auquel cas, c’est une sorte d’histoire dans l’histoire. Et c’est un bel hommage, je trouve.
Cet article est extra !
Je viens de regarder Si tu tends l’oreille, ce film est vraiment un chef d’œuvre.
Il est très émouvant et le lien evec le Royaume des chats m’a beaucoup touché, car ce dernier fais partis de mes films d’animation préféré et bien qu’il soit beaucoup critiqué, ce film est extraordinaire et reste pour moi un chef d’œuvre également.
Merci beaucoup ! Ca me fait très plaisir !
Ce sont deux de mes films préférés également. Je sais que beaucoup de gens trouvent que « Le Royaume des chats » est moins bon que « Si tu tends l’oreille » mais je trouve qu’ils gagnent vraiment à être vus ensemble. Les deux histoires du Baron sont si touchantes que ce serait dommage de passer à côté !
Merci beaucoup pour cet article très documenté, qui répond à mes questions sur le Baron.
Intéressante critique. Bien documentée .le film me laissz sur une sensation de malaise.Cette jeune fille est-elle victime d’abus, qui la structureraient, un comble. Certes on la prend pour une idiote et elle est trop gentille.Je n’ai pas aimé.
J’ai beaucoup aimé votre article, il est passionnant et enrichissant après avoir regardé « Si tu tends l’oreille ». Je voulais savoir quel film des studios Ghibli vous avez préféré ?
Bonne journée à vous :)
Merci beaucoup ! Je suis très contente que mon article vous ait plu !
Difficile de choisir mon Ghibli préféré mais je dirais quand même Le Château dans le Ciel parce qu’il regroupe beaucoup des sujets qui m’intéressent :)