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Dans la forêt, suivez la belette (ou pas)

Voilà longtemps que je ne vous avais pas emmenés faire un tour du côté du Pays du Soleil Levant. J’ai trouvé l’occasion idéale car je voulais absolument vous faire découvrir cette œuvre de l’artiste japonais Katayama Bokuyo. Elle date de 1928 et s’intitule simplement « Mori » (Forêt en japonais). Suivons donc la belette qui semble vouloir nous entrainer entre les arbres !

Katayama Bokuyo, Mori (Forêt), Encre sur soie, 1928, 189,23 x 237,49 cm, Minneapolis Institute of Art (Etats-Unis).
Katayama Bokuyo, Mori (Forêt), Encre sur soie, 1928, 189,23 x 237,49 cm, Minneapolis Institute of Art (Etats-Unis).

Présentation de l’œuvre

Il s’agit d’un paravent composé de deux panneaux réalisés avec de l’encre et différents pigments sur soie.

Au premier regard, cette sombre forêt est à la fois intrigante et un peu inquiétante. Mais si vous vous approchez, apparaît une adorable belette dans la végétation.

On ne peut qu’admirer la délicatesse avec laquelle cette peinture a été réalisée, dans le style traditionnel japonais (Nihonga, 日本画). Les plantes qui dissimulent la belette sont peintes avec un grand souci du détail. Elle est presque invisible dans le camaïeu de vert que forme l’ensemble, constellé de points blancs qui s’avèrent être des fleurs. Le rouge de quelques fraises des bois vient ponctuer la scène.

Katayama Bokuyo, Mori (Forêt), Encre sur soie, 1928, 189,23 x 237,49 cm, Minneapolis Institute of Art (Etats-Unis).
Katayama Bokuyo, Mori (Forêt), Encre sur soie, 1928, 189,23 x 237,49 cm, Minneapolis Institute of Art (Etats-Unis).
Mais la belette ne nous défierait-elle pas d’oser la suivre dans la forêt ?

Au Japon, les croyances animistes et la religion Shintoïste n’ont pas encore totalement disparu. On croit encore aux esprits, fantômes et autres créatures étranges qui prennent le nom de Yokai. Ces êtres surnaturels sont parfois les gardiens d’un lieu : une montagne, un lac, un temple ou encore une forêt. Ils ne font pas que hanter un lieu, ils en sont parfois la personnification ; ils forment l’âme de l’endroit où ils vivent.

Un couple de Rokurokubi représenté sur une estampe réalisée par le célèbre artiste japonais Hokusai (1760-1849).
Un couple de Rokurokubi représenté sur une estampe réalisée par le célèbre artiste japonais Hokusai (1760-1849).

D’autres Yokai sont plus « ambulants ». Ils peuvent surgir à tout moment ou en des circonstances particulières. Par exemple, au crépuscule ou parce que vous avez oublié de couvrir votre nombril pendant la nuit.

Si certains Yokai peuvent avoir une apparence relativement « normale » (comme le Tengu qui ressemble à un corbeau) d’autres sont beaucoup plus étranges (comme Kasa-obake qui est une sorte d’ombrelle avec des dents), voire effrayants (comme Rokurokubi qui, le jour, ressemble à une personne tout-à-fait normale et qui, la nuit, se voit doter d’un cou immensément long destinée à effrayer ses victimes).

Cette belette qui nous fixe est-elle un Yokai ?

Selon les croyances animistes, ce serait possible. Selon elles, toute chose a une âme : de la moindre chose inanimée, comme une pierre, aux êtres vivants, humains comme animaux. C’est en partie pour cette raison que le Japon ne partage pas la même crainte que les Occidentaux à propos des robots, par exemple.

Les Yokai sont parfois des êtres facétieux. Ils peuvent jouer des tours mais aussi flanquer de sacrées frousses aux personnes qui ont le malheur de croiser leur chemin. De nombreuses traditions et rites japonais expliquent d’ailleurs comment purifier sa maison afin d’éviter que des Yokai malfaisants n’y élisent domicile. Ils sont un peu l’équivalent des démons, voire des diablotins que l’on trouve dans d’autres croyances.

Alors, est-ce un piège que nous tend cette belette ?

La beauté de la scène nous fait douter de la nature de cet animal. Peut-être est-ce une simple belette ? Peut-être a-t-elle seulement peur de nous ?

Ce serait sans compter sur l’importance des forêts dans la culture japonaise. Intimement liée à la vie des hommes depuis toujours (parce qu’elle abrite, notamment, de la nourriture et que son bois permet de construire des habitations ou de se chauffer) et occupant un vaste territoire (encore aujourd’hui, malgré la forte industrialisation du pays), la forêt est souvent considérée comme un lieu sacré. Les croyances japonaises disent qu’elle est le lieu de vie de certaines divinités et d’autres créatures surnaturelles. Cela participe de la relative préservation des forêts au Japon.

Cette belette est-elle l’une de ces créatures surnaturelles ?

En réalité, nous aurions bien du mal à suivre cette belette qui, finalement, nous tend peut-être bien un piège en nous regardant ainsi. En effet, elle se trouve en plein milieu de Dokudami : une plante aussi appelée Poivre de Chine ou Herbe à poivre qui aurait une odeur très désagréable.

Dokudami
Dokudami

Il faut dire que la belette japonaise (Mustela itatsi) est aussi surnommée… putois du Japon. Décidément, tout est ici une question d’odeur ! De quoi nous dissuader de suivre l’animal et même d’aller cueillir les jolies fraises des bois qui apparaissent çà et là dans la scène.

Alors, voudriez-vous suivre la belette, qui vous emmène peut-être de l’Autre Côté, dans le monde des Yokai ? Il semble en tout cas que cette œuvre, à la beauté indéniable avec sa forêt hypnotique, soit assez farceuse, comme les créatures du folklore nippon.


Sources :

Présentation de l’oeuvre sur le site du MiA (Minneapolis Institute of Art)
Présentation de la belette du Japon par Manimalworld
Les Yokai d’après « Le Site du Japon »

A Christmas Carol : Un conte de Noël toujours d’actualité !

Il y a un conte de Noël qui m’a toujours fascinée. Je l’ai lu étant enfant, j’ai vu des adaptations aussi et il n’a jamais cessé de me plaire. Il s’agit de A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens. C’est pourquoi j’ai décidé de lui dédier pour article de Noël, cette année.

Que raconte A Christmas Carol ?

Illustration de Roberto Innocenti pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de Roberto Innocenti pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.

Pour faire court, étant donné que nous y reviendrons et que, pour les personnes qui ne connaissent pas encore par cœur cette histoire, il existe un très bon résumé sur Wikipédia, A Christmas Carol se déroule une veille de Noël. On ne sait pas exactement en quelle année se déroule le conte (c’est souvent le cas des contes, me direz-vous), mais il est paru en 1843 donc nous sommes au début du XIXème siècle, à Londres. Nous savons juste que l’histoire se déroule tout juste sept ans après la mort de Jacob Marley, qui était l’associé du personnage principal. Le conte commence d’ailleurs par un long discours précisant bien que Jacob Marley est mort. « Mort comme un clou de porte », d’ailleurs, comme le précise longuement Dickens qui s’adresse au lecteur à la première personne du singulier. C’est donc lui qui raconte l’histoire.

Illustration de Roberto Innocenti pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de Roberto Innocenti pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
L’histoire raconte la nuit mouvementée du 24 décembre que va vivre le vieux Ebenezer Scrooge.

Comme une chanson, puisque le conte s’intitule A Christmas Carol (Un Chant de Noël), le texte est découpé en cinq couplets et non en chapitres.

Scrooge est décrit comme un homme glacial. Il est si froid qu’il semble rendre l’été plus froid et son cœur ne se réchauffe pas même pour Noël – fête qu’il déteste. Il semble que tout le monde le craigne, voire le déteste cordialement. On ne lui adresse pas la parole et même les chiens d’aveugles le fuient pour éviter à leur maître de croiser sa route. Bref, c’est un être pour le moins détestable.

Illustration de Ronald Searle pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de Ronald Searle pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.

Comme chaque année, il daigne quand même accorder sa journée à son employé, Bob Cratchit. Scrooge traite ce dernier comme il traite tout le monde : avec froideur, méchanceté et sans une once d’humanité. Par exemple, il ne lui donne qu’un petit morceau de charbon pour chauffer son bureau glacial, en cette veille de Noël ; le reste des morceaux de charbons se trouve bien à l’abri dans la chambre de Scrooge, dévoré par une avarice profonde. Il se permet d’ailleurs de traiter Cratchit de voleur : en effet, il ne viendra pas travailler le lendemain mais sera tout de même payé car, dit Scrooge, sinon ce serait lui qu’on traiterait de voleur. Il trouve cela anormal mais c’est la norme sociale en vigueur, il s’y plie donc bon gré, mal gré.

Une fois son employé parti, commence vraiment l’aventure de Ebenezer Scrooge.

A son retour chez lui, après un repas en solitaire dans une triste taverne, Scrooge a d’abord la surprise de voir apparaître… Jacob Marley ! Mais si, vous savez : son associé aussi mort qu’un clou de porte !

Illustration de Carter Goodrich pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de Carter Goodrich pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de Roberto Innocenti pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de Roberto Innocenti pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de Ronald Searle pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de Ronald Searle pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
 Illustration de Trina Schart Hyman pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.

Illustration de Trina Schart Hyman pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de P.J. Lynch pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de P.J. Lynch pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.

Marley porte de lourdes et longues chaines. Entre deux cris déchirants, il explique à Scrooge que celui-ci subira le même sort que lui s’il continue à vivre sa vie de manière si solitaire : il sera condamné à errer pour réparer toutes ses fautes et cela lui prendra au moins autant de temps que n’aura duré sa vie humaine.

Sa dernière chance, pour éviter ce funeste dessein ? Trois esprits qui vont lui rendre visite, à tour de rôle, au cours des trois nuits à venir.

A Christmas Carol : Un conte politique toujours d’actualité

Comme la plupart des contes, A Christmas Carol est en réalité bien plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord.

Enfant, on se réjouit que Scrooge (re)devienne petit à petit un homme bon, généreux et aimant Noël. Car l’on apprend, au fil du récit, qu’il n’est pas devenu un être exécrable du jour au lendemain : c’est finalement la vie qui l’a rendu ainsi, d’évènement en évènement, comme le révèle notamment le Fantôme des Noëls Passés.

Illustration de Libico Maraja pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de Libico Maraja pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.

Adulte, on se rend compte que le vrai problème de Scrooge n’était pas tant de ne pas aimer Noël que d’être d’un égoïsme assez maladif. Un égoïsme qui le conduit à penser, par exemple, que si, lui a réussi dans sa vie professionnelle, ceux qui n’y parviennent pas ne sont que des couards, des pleutres ou des paresseux.

Par exemple, à ceux qui viennent lui demander de faire un don pour les gens dans le besoin, Scrooge répond :

« N’y a-t-il pas de prisons ? (…) Et les maisons de refuge (…) ne sont-elles plus en activité ? (…) Le moulin de discipline et la loi des pauvres sont toujours en pleine vigueur, alors ? (…) Je désire qu’on me laisse en repos. Puisque vous me demandez ce que je désire, messieurs, voilà ma réponse. Je ne me réjouis pas moi-même à Noël, et je ne puis fournir aux paresseux les moyens de se réjouir. J’aide à soutenir les établissements dont je vous parlais tout à l’heure ; ils coûtent assez cher ; ceux qui ne se trouvent pas bien ailleurs n’ont qu’à y aller. (…) S’ils aiment mieux mourir, reprit Scrooge, ils feraient très bien de suivre cette idée et de diminuer l’excédent de la population. »

Hum ? Drôlement d’actualité, vous ne trouvez pas ?

Oh je sens que ton œil tilte, toi, français derrière ton écran, à la lecture de cette description de Scrooge. Vous rappellerait-il quelqu’un ? Ou peut-être avez-vous déjà, simplement, lu ce genre de propos sur les réseaux sociaux ? Un simple détour dans l’espace commentaire des journaux, sur Facebook par exemple, et vous voilà plongé dans l’antre du plus abominable des Scrooge.

Il faut dire que si le personnage de Scrooge est un vrai personnage de conte il est aussi, dans le même temps, un être tellement terre-à-terre, qu’il est étrangement très humain. Sa description physique mais aussi certaines choses qu’il semble provoquer autour de lui (le froid par exemple), en font un personnage fantastique. Mais tout fantastique qu’il est, il est pris d’une terreur bien humaine face aux esprits qui viennent tout-à-coup hanter ses nuits. Il n’est jamais plus humain que lorsqu’il déambule avec les différents fantômes de Noël. Car avant et après eux, il est un être fantastique : d’abord pour sa détestabilité légendaire puis, tout au contraire, pour son altruisme sans faille, faisant presque de lui un Saint. Quand il se promène dans le temps, par contre, il s’émeut tant et tellement que son émotion transparaît dans les mots de Dickens.

Illustration de P.J. Lynch pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de P.J. Lynch pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Pourtant, au début du récit, pour Scrooge, l’Humain passe après, biennnn après le profit.

Un profit qui est exclusivement financier, car il ne tire aucun profit sur le plan personnel : il est très riche mais aussi très seul. Il n’est pas marié (même s’il a failli l’être) et n’a pas d’enfant. Sa seule famille semble être son neveu. D’ailleurs, cet échange avec ce personnage qui est presque son antithèse en dit long sur la personnalité de Scrooge :

« Noël, une sottise, mon oncle ! dit le neveu de Scrooge ; ce n’est pas là ce que vous voulez dire sans doute ?
– Si fait, répondit Scrooge. Un gai Noël ! Quel droit avez-vous d’être gai ? Quelle raison auriez-vous de vous livrer à des gaietés ruineuses ? Vous êtes déjà bien assez pauvre !
– Allons, allons ! reprit gaiement le neveu, quel droit avez-vous dêtre triste ? Quelle raison avez-vous de vous livrer à vos chiffres moroses ? Vous êtes déjà bien assez riche ! »

Pour Scrooge, la richesse est synonyme d’argent. Et cet argent, on ne l’obtient qu’en travaillant encore et encore, en économisant, en faisant uniquement de bons placements, en ne dépassant que le strict nécessaire pour réinvestir le reste de manière à faire encore plus d’argent. Scrooge a tout de la personnification du Capitalisme. Comme un robot, dépourvu d’esprit d’initiative, d’imagination, de créativité mais aussi d’envies, de rêves, de désirs, Scrooge tourne en boucle dans son monde où, parce qu’il est riche et fait tous ces efforts pour l’être, il est forcément au-dessus des petites gens qu’il juge, au mieux, comme frivoles.

« Voilà un autre fou, murmura Scrooge, qui l’entendit de sa place : mon commis, avec quinze schellings par semaine, une femme et des enfants, parlant d’un gai Noël. Il y a de quoi se retirer aux petites maisons. »

Illustration de P.J. Lynch pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de P.J. Lynch pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Scrooge est incapable de comprendre Noël car il perçoit cette fête comme quelque chose de coûteux qui ne rapporte rien en retour.

Or, ce « retour sur investissement », Scrooge ne l’entend que d’une façon : pécuniairement parlant.

Scrooge ne peut pas admettre, au début du récit, qu’il puisse exister d’autres formes de richesses. Des richesses qui ne sont pas pécuniaires, voire ne sont même pas palpables. C’est là, en particulier, que son neveu s’inscrit vraiment comme son opposé : ce qu’il retient de Noël est une richesse bien plus grande que celle, bassement matérielle, de l’argent. Sa richesse à lui est intérieure. Ce sont les joies simples de Noël (puisqu’il s’agit d’un conte de Noël, mais cela s’applique bien sûr au quotidien) : le fait d’être en famille, entre amis, entre personnes qui s’apprécient ; c’est le partage, la générosité que chacun porte en lui, à sa façon ; c’est la bonne humeur communicative, des gens qui se souhaitent le bonjour dans la rue ou s’échangent un sourire sans rien attendre en retour.

« Il y a quantité de choses, je l’avoue, dont j’aurais pu retirer quelque bien, sans en avoir profité néanmoins, répondit le neveu ; Noël entre autres. Mais au moins ai-je toujours regardé le jour de Noël quand il est revenu (…), comme un beau, un jour de bienveillance, de pardon, de charité, de plaisir, le seul, dans le long calendrier de l’année, où je sache que tous, hommes et femmes, semblent, par un consentement unanime, ouvrir librement les secrets de leurs coeurs et voir dans les gens au-dessous d’eux de vrais compagnons de voyage sur le chemin du tombeau, et non pas une autre race de oréatures marchant vers un autre but. C’est pourquoi, mon oncle, quoiqu’il n’ait jamais mis dans ma poche la moindre pièce d’or ou d’argent, je crois que Noël m’a fait vraiment du bien et qu’il m’en fera encore ; aussi je répète : Vive Noël ! »

Illustration de Roberto Innocenti pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de Roberto Innocenti pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Pour Scrooge, cela n’a aucune valeur marchande donc cela n’a aucune valeur du tout.

C’est en cela que A Christmas Carol est un conte politique et qu’il est toujours follement d’actualité. Il y est question de remettre au centre de l’attention des choses qui ne s’achètent et ne se vendent pas, dans notre société, et qui peuvent pourtant valoir tout l’or du monde aux yeux d’une personne, d’une famille, d’une communauté, etc.

« L’histoire rend également compte de la misère et des fortes inégalités, exacerbées dans cette Angleterre de la Révolution industrielle, que l’auteur dépeint également dans Oliver Twist. En situant son histoire à Noël, Charles Dickens souhaite marquer les esprits et ouvrir les yeux de chacun sur les problèmes sociaux de son pays. Le succès est au rendez-vous, l’ouvrage, épuisé encore et encore, étant alors édité sept fois en moins de six mois. La réussite est telle que le terme Scrooge est devenu dans la langue de Shakespeare un nom commun pour qualifier les personnes avare et misanthrope. »

Source : Chronique Disney – Ebenezer Scrooge

Les adaptations de A Christmas Carol : ma sélection

Comme ce conte est toujours d’actualité, il ne cesse de se réinventer. Les adaptations de A Christmas Carol sont très nombreuses ! Tellement que je ne vais pas toutes les citer, évidemment. Nous allons voir, en tout cas, que A Christmas Carol traverse le temps et ne prend pas une ride. A croire que nous sommes encore nombreux à avoir besoin d’en tirer un enseignement !

It's a Wonderful Life, film de Frank Capra, 1946
It’s a Wonderful Life, film de Frank Capra, 1946
Au cinéma, on peut commencer par citer un classique : It’s a Wonderful Life.

Le film prend le parti de mettre en lumière, non pas un être détestable comme Scrooge mais, au contraire, un honnête homme, plein de bonté, George Bailey, auquel il n’arrive pourtant que de mauvaises choses. Alors qu’il pense à se suicider, persuadé que le monde se porterait mieux sans lui, un ange apparaît pour lui montrer ce que serait vraiment le monde sans lui.

J’aime placer It’s a Wonderful Life dans les adaptations de A Christmas Carol parce que je trouve qu’il forme un joli contre-pied au conte de Dickens.  Un peu comme A Family Man, film plus récent avec Nicolas Cage, où un homme, cette fois plutôt de la trempe de Scrooge, se retrouve à vivre la vie qu’il aurait pu avoir s’il avait fait d’autres choix dans son passé.

Les deux films présentent, à leur façon, des personnages qui sont poussés à se questionner sur leur existence passée et donc future. La morale est plus ou moins la même : prêtons davantage attention aux gens que l’on aime et aux gens, aux êtres en général, parce que le vrai bonheur et le futur sont là.

Les séries ne sont bien sûr pas en reste quand il s’agit d’adapter A Christmas Carol.

Là encore, il y aurait des tas de choses à dire mais je suis une fangirl et en bonne fangirl j’ai choisi de m’arrêter sur l’une de mes séries favorites : Doctor Who. La sixième saison de la série (la nouvelle série, pas l’ancienne, enfin, vous voyez, celle de 2005, non mais, histoire de ne fâcher aucun puriste) s’ouvre sur un épisode de Noël (comme toujours) intitulé Le Fantôme des Noëls passés en français et… A Christmas Carol en anglais.

Cette fois, c’est le Docteur qui joue le rôle du fantôme et fait voyager le « méchant » de l’intrigue, Kazran, dans son passé et son futur pour le faire devenir meilleur. Kazran est une sorte de Scrooge vivant sur une autre planète. Et ce qui fait encore une fois le charme de cette adaptation, ce sont les nombreuses manières originales dont elle modifie le conte de Dickens pour le faire parfaitement coller à l’univers de Doctor Who. Requin volant, chants de Noël et cryogénisation autour d’une belle histoire d’amour : un épisode vraiment plein de magie et de péripéties. Un de mes épisodes préférés de Doctor Who (non, je ne dis pas ça de 90% des épisodes de Doctor Who), idéal pour les Fêtes.

Enfin, on ne peut évidemment pas parler des adaptations de A Christmas Carol sans parler du Drôle de Noël de Scrooge.

Ca n’est pas la première fois que Disney adapte le conte puisque ce bon vieil oncle Picsou avait déjà endossé le rôle de Scrooge dans le court métrage du studio, Le Noël de Mickey, en 1983.

Mais cette fois, Disney fait le choix d’une adaptation très fidèle au conte originel. Tellement fidèle que je me suis un peu émerveillée, je l’avoue, en voyant prendre vie des choses que j’avais imaginées en lisant l’histoire de Dickens. J’ai apprécié, notamment, qu’on retrouve l’apparence effroyable de certains fantômes. En effet, sur ce point, A Christmas Carol fait froid dans le dos quand on est enfant. Pourtant, on perd parfois un peu cet aspect dans les adaptations, je trouve. J’ai pourtant un souvenir très net de l’arrivée du fantôme de Marley, l’ancien associé de Scrooge, qui me faisait très peur avec ses chaines et ses cris déchirants.

Précisons que nous devons cette grande ressemblance entre le film et le conte, aux illustrations de John Leech. Celui-ci fut le premier à mettre en images A Christmas Carol lors de sa sortie en 1843. Ce sont bien souvent ses illustrations que nous avons en tête, à l’évocation du conte de Charles Dickens, car elles sont entrées depuis longtemps dans notre inconscient collectif. Je vous laisse en juger au travers de ces quelques exemples, ci-dessous. Vous pouvez vous amuser à les comparer avec les travaux des autres illustrateurs, du XXème et du XXIème siècle, qui ponctuent l’article.

Bref, réalisé entièrement en 3D (en motion capture, pour être exacte : c’est-à-dire que les acteurs ont été filmés sur fond vert puis les décors, les costumes, etc, ont été créés par ordinateur), Le Drôle de Noël de Scrooge met en scène Jim Carrey sous les traits de Scrooge. A mon sens, si vous cherchez un film fidèle au livre, je pense que vous pouvez vous tourner sans trop de crainte vers celui-là.

Peut-on vraiment pardonner Scrooge ?

Illustration de Roberto Innocenti pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de Roberto Innocenti pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.

Pour conclure, il me semble légitime que nous nous posions quand même la question : peut-on vraiment pardonner Scrooge à la fin de A Christmas Carol ? Après tout, il a quand même été un être détestable pendant de très nombreuses années.

Scrooge est devenu méchant à causes des affres de la vie : sa solitude sur les bancs de l’école, la mort de sa sœur, sa rupture brutale avec Belle, sa carrière envahissante… En cela, le personnage de Scrooge s’inscrit dans la veine d’autres méchants réduits à cela par la vie. (…) Le personnage est donc complexe. Sa méchanceté pourrait même s’expliquer, voire se justifier.

Source : Chronique Disney – Ebenezer Scrooge

N’est-ce pas un peu facile de simplement le pardonner, parce qu’il prend finalement conscience de son comportement ? Peut-on d’ailleurs justifier sa méchanceté par son enfance malheureuse ? Ce serait injuste envers les gens qui, malgré ça, sont restés bons dans leur vie, non ?

Illustration de Roberto Innocenti pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de Roberto Innocenti pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.

Ma foi, il est légitime de se poser ces questions, oui. L’on pourrait d’ailleurs disserter des heures sur la morale chrétienne que cherche également à transmettre Dickens, à travers ses écrits (et celui-ci en particulier). C’est sans doute cette morale qui pousse le croyant à pardonner un être comme Scrooge. Pourtant, je suis athée et je pardonnerais Scrooge également, s’il existait. Car si l’on ne pardonne pas durant la période de Noël, le fera-t-on jamais ? Il me semble que, comme Scrooge, au fil de l’histoire, la morale qui nous est transmise est bien celle-ci : soyez humains, ayez du cœur et partagez-le tant que possible pour faire des émules.

Illustration de Roberto Innocenti pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de Roberto Innocenti pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.

La morale de A Christmas Carol n’est pas, pour moi, uniquement chrétienne ou liée à Noël : elle est universelle et j’espère vous l’avoir transmise un peu, à travers cet article.

Joyeux Noël ! Joyeuses Fêtes !

Illustration de Harold Copping pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Illustration de Harold Copping pour A Christmas Carol (Un Chant de Noël) de Charles Dickens.
Sources

Scan de A Christmas Carol sur Google Books
Un chant de Noël – Wikipédia
Ebenezer Scrooge – Chronique Disney
A Gallery of John Leech’s Illustrations for Dickens’s A Christmas Carol

Inktober 2018 – Mes dessins

Pour la deuxième année consécutive, j’ai décidé de participer à l’Inktober ! Pour ceux qui ne sauraient pas de quoi il s’agit, je vous avais fait un petit topo sur le sujet dans l’article qui présentait mes dessins, l’année dernière.

Comment s’est passé l’Inktober cette année ?

Cette année, j’ai décidé de prendre mon courage à deux mains et de passer du noir et blanc à la couleur. J’ai enfin ressorti mes aquarelles et mes pinceaux, ça m’a fait beaucoup de bien. Mais, évidemment, j’ai eu beaucoup plus de mal à tenir le rythme d’un dessin par jour pendant trente et un jours.

Au final, il me manque deux dessins et certains ne sont pas colorés (c’est voulu pour le 19ème mais pas pour les autres). Mais, bon, je suis quand même très fière de moi parce que ça représente un sacré progrès par rapport à l’année dernière déjà. Et par rapport à mon état de santé et à ma confiance en moi et en mes capacités, surtout.

Je vous laisse découvrir mes dessins ci-dessous. Quant à ceux qui voudraient en savoir encore plus à leur sujet, sachez que j’ai détaillé mon travail au jour le jour sur Instagram. Vous y trouverez aussi des photographies de ces dessins en cours de réalisation, des anecdotes, leur petite histoire à chacun.

Mon Inktober 2018 :

Thèmes de l'Inktober 2018
Thèmes de l’Inktober 2018

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Nick Cave : Des costumes qui dansent, chantent et font de la musique

Nick Cave ou Nick Cave ?

L'artiste Nick Cave posant avec l'un de ses Soundsuits.
L’artiste Nick Cave posant avec l’un de ses Soundsuits.

Nicholas Edward Cave, dit Nick Cave, est un artiste australien, chanteur du groupe Nick Cave and the Bad Seeds… FAUX ! Ca n’est pas de ce Nick Cave là dont nous allons parler mais de son homonyme, Nick Cave, artiste américain, à la fois plasticien, danseur et directeur de la section mode de la School of art Institute de Chicago. Plus particulièrement, nous allons nous intéresser à ses Soundsuits (costumes sonores). Et oui, c’est Mardi Gras, l’occasion idéale pour parler costumes et déguisements !

Les Soundsuits de Nick Cave : Présentation

Les Soundsuits sont des déguisements, des costumes que crée Nick Cave. Ils sont fabriqués à partir d’éléments hétéroclites qui, par leur association, transforment plus ou moins les formes du corps de celui qui porte le costume, lui donnant une allure étrange de créature venue d’ailleurs.

Mais ce qui fait vraiment la particularité de ces déguisements, comme l’indique leur nom, c’est qu’ils produisent du son. En bougeant, en remuant, le porteur du costume crée du bruit grâce à la friction ou au mouvement des différents éléments qui composent son Soundsuit.

Chaque Soundsuit est différent et produit plus ou moins de son. Cela dépend du mouvement du danseur qui le porte ou de ce dont il est fait.

Pour réaliser ces œuvres fantasmagoriques, Nick Cave utilise essentiellement des matériaux et des objets de récupération.

Généralement, les Soundsuits sont présentés comme des sculptures dans les différentes expositions (les costumes sont portés par des mannequins comme dans une boutique de prêt-à-porter), accompagnées de vidéos mettant en scène les costumes. Plus rarement, il est possible de les voir « en live ». Ce fut le cas en France lors de la parade d’ouverture de Lille 3000 en 2012.

Les Soundsuits de Nick Cave : Inspirations

Mais à quoi peuvent bien servir ces costumes bruyants et loufoques ? On ne va quand même pas porter ça ? Sinon, en quoi c’est de l’art ? C’est généralement les premières questions qui viennent à l’esprit du spectateur qui découvre les Soundsuits. Est-ce que c’est juste pour le fun ?

Des costumes de carnaval ?

On peut en effet penser aux costumes bariolés et amusants des carnavals en voyant les Soundsuits. Les gens s’amusent ainsi avec des accoutrements plus ou moins étranges depuis des siècles. Revêtir un costume, c’est devenir quelqu’un d’autre, c’est devenir qui l’on veut ou n’importe qui. Cela est particulièrement libérateur et c’est pourquoi le déguisement est souvent synonyme de fête, de plus ou moins de débauche, mais aussi de bien des mystères (mais qui se cache sous ce masque ? Hum…).

Albert Lynch, Le Bal Masqué, Peinture à l'huile sur bois, 61 x 49,5 cm, 1851-1912
Albert Lynch, Le Bal Masqué, Peinture à l’huile sur bois, 61 x 49,5 cm, 1851-1912

A priori, le carnaval de Rio n’a rien à voir avec celui de Venise, tout comme aucun d’eux n’a à voir avec celui de Dunkerque, en terme de costumes. Pourtant, reste la même idée de se travestir, de se dissimuler sous un masque, un maquillage ou un costume et de faire la fête. C’était déjà le cas dans les bals masqués d’antan, où l’on s’amusait volontiers à faire semblant d’être une déesse de la mythologie gréco-romaine alors qu’on était en réalité une femme de la Cour – ou au XIXème siècle, quand un simple masque suffisait à tromper son épouse en toute liberté sans pourtant duper quiconque, en réalité. Le port du costume est l’occasion de devenir quelqu’un d’autre et donc de pouvoir faire des choses que l’on ne s’autoriserait pas habituellement.

Si le costume est donc souvent synonyme de fête, d’amusement, de « fun », il n’en possède pas moins un intérêt plus profond, qui dit beaucoup sur la nature de l’Homme. Étrangement, dissimuler notre corps ou notre visage nous permet de montrer des choses de nous-mêmes que nous ne montrerions pas sous notre véritable apparence. Et, en effet, « il y a certaines choses que l’on cache pour les montrer », comme le disait Montaigne.

Des costumes rituels ?

Créer des costumes, c’est forcément s’ancrer dans la longue histoire des déguisements en tout genre. C’est aussi tisser des liens avec tous les costumes sacrés, rituels, traditionnels… qui ont accompagné l’histoire de notre civilisation et existé chez tous les peuples du monde jusqu’à nos jours. Nick Cave n’échappe pas à cette règle.

Les costumes de Nick Cave transforment ceux qui les portent en créatures étranges, au visage le plus souvent masqué qui les rendent anonymes. Les porteurs deviennent dès lors plus humanoïdes qu’humains et suscitent alors le sentiment d’une inquiétante-étrangeté : leurs couleurs vives, pop, lumineuses, sont attirantes, attrayantes, tandis que la forme globale des costumes brouille les formes du corps, le rendant étrange, inhabituel, difforme parfois. Nous sommes dans un entre-deux qui n’est pas sans rappeler celui des rêves, de l’imaginaire, du fantastique où tout est à la fois possible et un peu bizarre.

Le bruit produit par les costumes n’a pas un but mélodique : c’est seulement du bruit, une cacophonie plus ou moins forte en fonction des costumes. Ce sont des bruits qu’un corps humain est incapable de produire de lui-même, sans accessoire. Les costumes demandent d’être portés en bougeant, en remuant, en dansant… Cela a quelque chose de festif (comme dans le cas de Lille 3000 où les costumes de Nick Cave furent d’abord présentés pour l’ouverture des expositions, sous la forme d’un défilé qui évoquait à la fois le monde de la mode mais aussi les carnavals dont la région est friande) mais évoque aussi certaines danses rituelles aux rythmes entêtants qui, à nos yeux d’occidentaux, peuvent paraître presque inquiétantes. Est-on face à une sorte de rituel vaudou ? Quelle puissance supérieure ces danseurs sont-ils en train d’invoquer ? A moins qu’ils ne soient, eux-mêmes, les créatures d’un mythe inconnu dans nos contrées ? On peut se poser la question devant certains costumes faits de branchages et qui peuvent faire penser à des monstres de la culture populaire comme le Bigfoot ou le Yeti. Quand d’autres costumes, eux, ont tout du Cousin Machin multicolore à la silhouette déformée. Les Soundsuits semblent appartenir à plusieurs époques et cultures, et ne s’attacher véritablement à aucune au final en les réunissant toutes à la fois.

L'artiste Nick Cave posant avec ses Soundsuits.
L’artiste Nick Cave posant avec ses Soundsuits.

Heureusement, les couleurs pimpantes des costumes font surtout naître un sentiment de joie chez les spectateurs. Et elles s’entremêlent gaiement au rythme des danses qu’interprètent leurs porteurs. Nous sommes en présence de monstres-gentils, comme sortis d’un cartoon qui aurait trop forcé sur le LSD. On assiste à un spectacle aux tendances psychédéliques qui peut évoquer la période Hippie et ses danses destructurées, bercées par une musique devenue parfois étrange pour nos oreilles contemporaines. Les couleurs utilisées et les motifs des costumes ne sont pas non plus sans rappeler la période fantasque des seventies où toutes les folies semblaient possibles. Les Soundsuits fonctionnent alors comme un exutoire, probablement autant pour l’artiste, le porteur du costume et le spectateur.

Peace and love, alors, les costumes de Nick Cave ?

Des costumes pour dénoncer ?

Pas tout-à-fait. Car dans les années 1990, Nick Cave crée son premier « Soundsuit » en réponse au passage à tabac par des policiers que subit Rodney King en 1991 et qui est suivi d’un épisode de violentes émeutes aux États-Unis. Rodney King est afro-américain et les violences que lui infligent les policiers sont aussitôt considérées comme une attaque raciste tandis que la vidéo de son arrestation musclée fait le tour des télévisions américaines. Cela fait écho à des histoires bien plus récentes que celle-ci. Le problème ne date donc pas d’hier et n’est toujours pas prêt d’être réglé…

Nick Cave est particulièrement marqué par cette histoire. D’autant plus qu’il est lui aussi afro-américain.

Or, l’artiste décrit ses Soundsuits comme une « seconde peau ou une armure » qui invoque le pouvoir transformateur et libérateur de la musique et de la danse. Les Soundsuits recouvrent complètement le corps et le déforment. Les matières, les matériaux, les objets qu’utilise Nick Cave pour les fabriquer, transforment presque le danseur en forme abstraite lorsqu’il bouge. Il suffit de faire un arrêt sur image d’une vidéo mettant en scène ses costumes pour en avoir le cœur net (je vous mets deux de ces vidéos ci-dessous). Peu importe finalement le danseur : il est tout le monde et n’importe qui ; il n’a plus d’origine, de statut social, d’âge, de sexe… Il devient autre chose. Une créature dansante. Une masse de couleurs, de bruits, de matières qui bougent. Une sculpture mouvante. Une performance mêlant différents arts visuels, différentes cultures, évoquant le passé, l’imaginaire, la fête… Il devient œuvre. Il devient art.

Plus que des costumes pour dénoncer, ce sont donc davantage des costumes pour rassembler et libérer ; pour montrer le monstre que nous avons tous en nous et qui, finalement, ne demande qu’à être libéré de temps en temps dans la joie et la bonne humeur.


Sources :
Lille 3000, le Nord en version FAntAstic avec le plasticien Nick Cave
Soundsuit, Nick Cave | Mia
Les soundsuits de Nick Cave – Le Beau Bug
Nick Cave – Collectif Textile

Franz Xaver Messerschmitt et ses têtes mystérieuses

Fraîchement de retour de Vienne avec, dans mes bagages, de bien belles découvertes artistiques. L’une d’elles est l’occasion idéale pour moi de vous proposer mon traditionnel article d’Halloween : nous allons aujourd’hui parler de l’artiste autrichien Franz Xaver Messerschmitt. Plus exactement, nous allons le découvrir à travers une de ses œuvres, particulièrement intrigante : Character Heads (qu’on peut traduire par « têtes de caractère » en français).

L’œuvre de Franz Xaver Messerschmitt qui fait tourner les têtes !

Ah, Halloween… La fête des monstres en tout genre, des histoires d’horreur, des déguisements et des bonbons… Mais aussi des farces ! Combien d’enfants dans le monde vont, le jour d’Halloween, aller sonner chez leurs voisins pour réclamer des friandises en s’écriant avec leur plus belle grimace : « Des bonbons ou un sort !!! »
Et oui, aujourd’hui, on va parler grimaces.

L’œuvre qui va nous intéresser s’intitule Character Heads et a été réalisée par Franz Xaver Messerschmitt vers 1771. C’est une série de sculptures — des bustes, pour être exacte — de têtes grimaçantes. Elles sont une quarantaine et chacune est différente de l’autre. Le personnage n’est pas toujours le même et les expressions faciales sont toutes différentes.

Cette œuvre de Franz Xaver Messerschmitt est aujourd’hui exposée au Palais du Belvédère à Vienne. Une salle lui est consacrée dans une des ailes de cette ancienne demeure impériale, tant elle intrigue encore aujourd’hui. Il faut tout de même savoir que Messerschmitt n’était pas n’importe quel artiste : c’était un célèbre portraitiste de la cour de Vienne, qui a aussi bien représenté les membres de l’aristocratie que les intellectuels de l’époque. Il fut aussi professeur-adjoint à l’Académie royale de Vienne.

Alors, certes, cette œuvre semble surtout fun à première vue mais est-ce seulement ça ? Voyons voir ce qui la rend plus énigmatique.

Franz Xaver Messerschmitt avait-il perdu la tête ?

Cartel des Character Heads de Franz Xaver Messerschmitt au palais du Belvédère (Vienne).
Cartel des Character Heads de Franz Xaver Messerschmitt au palais du Belvédère (Vienne).

C’est la question que se sont posés les historiens si l’on en croit le cartel du musée du Belvédère (voir ci-contre) qui se trouve à l’entrée de la salle des bustes. On y évoque la possibilité que Messerschmitt ait pu développer une certaine forme de folie, une maladie mentale ou une dystonie (« trouble moteur caractérisé par des contractions musculaires intenses et involontaires, prolongées, qui provoquent des attitudes et des postures anormales, de tout ou partie du corps » nous indique Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Dystonie_(trouble_moteur)). Et c’est ce qui rend intrigantes ses têtes caractérielles. On pense que Messerschmitt a pu souhaiter représenter les expressions que son visage prenait lors de crises provoquées par des troubles psychiques.

Quand ton pote te dit qu'il a l'impression d'être persécuté par des esprits, OKLM.
Quand ton pote te dit qu’il a l’impression d’être persécuté par des esprits, OKLM.

Il semble que ce sont ces troubles qui l’empêcheront d’obtenir le poste de professeur qui devait lui revenir, à la mort de son prédécesseur. « Son ami Friedrich Nicolai, écrivain et philosophe, (…) écrit que l’artiste se disait persécuté par des esprits qui le faisaient souffrir moralement et physiquement, notamment dans le bas-ventre et les cuisses. » (Source)

Étonnant ? Inquiétant ? Pas tant que ça quand on sait que même les cauchemars ont longtemps été attribués à des attaques d’esprits et autres démons nocturnes. J’avais d’ailleurs écrit un article sur ce sujet que je vous invite à redécouvrir ici. Messerschmitt  pouvait donc être bel et bien malade tout en pensant être persécuté par quelque créature démoniaque.

Le cartel du palais du Belvédère évoque aussi l’influence d’un certain Franz Anton Mesmer, qu’on peut considérer comme l’ancêtre de ce que nous appelons aujourd’hui l’hypnose (en anglais, le lien entre Mesmer et l’hypnose est encore plus clair car le mot « mesmerizing » qui signifie « hypnotisant » a été créé à partir du nom de ce médecin du XVIIIème siècle). D’après les témoignages de l’époque, et qui ont notamment apporté des problèmes à Mesmer en France, les séances de ce qu’on appelait alors « le magnétisme animal » pouvaient provoquer une perte plus ou moins importante de contrôle du corps. Cela pourrait avoir inspiré Messerschmitt car les pratiques de Mesmer faisaient alors beaucoup parler d’elles à travers l’Europe.

Franz Xaver Messerschmitt à l’heure de Snapchat

Alors, finalement, Messerschmitt était-il fou ou non ? Difficile à dire avec certitude. Comme tout artiste de son temps, on peut penser qu’il cherchait surtout à représenter le monde et à améliorer encore et encore sa technique. D’autant plus qu’il eut à traverser des périodes difficiles où le travail manquait drastiquement.

Son travail portait surtout autour des expressions faciales car il était portraitiste. Pas facile, en effet, de rendre une expression juste. Plus difficile encore à une époque où s’exprimer de façon trop forte est vite perçu comme déplacé. La grimace n’est pas belle ; or, l’Art, c’est le Beau. Mais comment distinguer le Beau si le Laid n’existe pas ? Et n’existe-t-il pas une certaine beauté dans la laideur ? De plus, le Laid intéresse aussi les artistes depuis bien longtemps : nombre de têtes et de gargouilles grimaçantes ornent les cathédrales et autres constructions d’Europe depuis le Moyen-Âge (on appelle d’ailleurs ces sculptures de façades des « grimaces »). Mais on peut aussi penser aux nombreuses représentations d’Héphaïstos, dieu de la forge dont la laideur et la difformité ont souvent été peintes ou sculptées par les artistes, de façon plus ou moins grotesque. Tout ça avant que ne se développe, au XIXème, un véritable engouement pour la caricature de presse où les expressions exagérées et les traits grossiers prennent alors toute leur place.

On trouve d’ailleurs dans ces bustes une certaines exagération des formes comme dans les caricatures. Peut-être était-ce pour Messerschmitt une sorte de jeu ou un intérêt pour les capacités du visage à bouger, se plier, se déformer, se métamorphoser et, finalement, exprimer quelque chose. Il est d’ailleurs intéressant de souligner qu’un visage excessivement souriant peut provoquer un certain malaise alors qu’un autre, pourtant plus triste, nous semblera plus amusant. Était-ce ces variations qui intéressaient Messerschmitt ?

On constate en tout cas que les visiteurs du Belvédère prennent plaisir à traverser cette salle. Mon copain et moi avons pu constater que nous n’étions pas les seuls à nous amuser (je vous laisse juger le tweet qu’en a tiré mon chéri, ci-dessous) de ces visages difformes. Avec notre regard d’aujourd’hui, nous y voyons des grimaces amusantes et plutôt étonnantes dans un musée comme celui-là, situé dans un palais magnifique. Cela nous fait plutôt sourire. Peut-être que cela faisait aussi rire Messerschmitt autant que cela lui permettait de travailler diverses expressions pas forcément communes et pas forcément simples à représenter. C’est en tout cas une belle galerie de grimaces qu’il a ainsi léguée à la postérité. Et il est plutôt amusant de patienter un peu dans cette salle du Belvédère pour observer les visiteurs qui s’amusent à imiter ces têtes pour leurs futures photos Instagram ou Snapchat. Je me demande ce que Messerschmitt aurait pensé de ce drôle de spectacle. En tout cas, cela m’a plutôt amusé pour ma part et a rendu plus populaire l’imposante bâtisse impériale ou nous nous trouvions.

Dernière petite anecdote pour la route : vous pouvez voir une réplique d’une des têtes de Messerschmitt dans le décor des vidéos de la chaine Youtube « Et tout le monde s’en fout ». Je vous le dis, comme ça, en passant, parce que j’aime beaucoup leur chaine.


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