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Sintra, la suite : La ville aux palais merveilleux

Dans le précédent article, je vous ai emmenés à la découverte de Sintra et d’un de ses palais, mon coup de cœur de la journée, la Quinta da Regaleira. Vous pouvez retrouver cet article en cliquant ici. J’ai décidé de découper notre escapade en deux parties pour qu’elle soit plus lisible pour vous. Cette fois, je vous emmène à la découverte de deux autres palais qu’abrite Sintra : le Palais National de Sintra et le Palais de Pena (Palacio da Pena).

Sommaire de l’article :

  1. Le Palais de Pena : si Walt Disney avait créé son palais idéal à Sintra
    1. Origines : le palais multiculturel du Roi Artiste
    2. Un palais tout aussi dingue à l’intérieur...
    3. … qu’à l’extérieur !
  2. Le Palais national de Sintra : le symbole de la ville
    1. Le Palais National de Sintra et ses milles vies
    2. Les trésors cachés du Palais National de Sintra
  3. Conclusion

Le Palais de Pena : si Walt Disney avait créé son palais idéal à Sintra

En premier lieu, il faut savoir que nous avons pu accéder au Palais de Pena en tuk-tuk, les voiturettes à trois roues que vous trouverez partout lors d’un séjour à Lisbonne et alentours. Et ça valait sacrément le coup de monter à toute allure les routes sinueuses de Sintra, sous cette épaisse brume ! La preuve en image :

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L’Amazonie n’avait qu’à bien se tenir, ce jour-là, car Sintra jouait à merveille les imitatrices.

Si vous êtes plutôt du genre aventurier de l’extrême (marcheur/sportif, c’est plutôt aventurier de l’extrême pour moi), vous pouvez aussi accéder au palais à pieds.

Bref, arrivé en haut grâce à vos petites jambes ou à un tuk-tuk, il vous restera encore une belle montée et un escalier pentus à gravir pour enfin arriver jusqu’au palais (à ce moment de la visite, personnellement, je me suis échouée sur un banc, comme une baleine sur une plage). Heureusement, les efforts en valent la peine ! Car à votre arrivée sur place, voici ce que vous verrez enfin se dessiner sous vos yeux ébahis :

L'un des murs extérieurs du palais, recouvert d'azulejos.
L’un des murs extérieurs du palais, recouvert d’azulejos.

Jaune, rouge, orange ou recouvert d’azulejos (= carreaux de faïence décorés qu’on trouve beaucoup au Portugal et en Espagne), le Palais de Pena vous en met immédiatement plein les yeux. Un instant, nous voilà transportés à Disneyland, quelque part entre Fantasy land et le royaume d’Aladdin.  Et, ma foi, nous ne sommes pas si loin de la vérité quand on apprend à quelles cultures le palais emprunte ses origines.

Origines : le palais multiculturel du Roi Artiste

On doit le Palacio da Pena au prince Ferdinand de Saxe-Cobourg-Gotha, roi consort du Portugal de 1837 à 1853, et connu là-bas comme « le Roi Artiste ».

Il confie l’édification de son palais d’été au baron Ludwig von Eschwege qui, sur les ruines d’un monastère hiéronymite du XVème siècle, va édifier le palais que nous connaissons aujourd’hui. Un palais qui mêlera les styles architecturaux les plus divers : mauresque, baroque, gothique, Renaissance ou encore manuélin.
(Dans le précédent article sur Sintra, je vous expliquais ce qu’était le style manuélin, si vous ne le saviez pas.)

Toutefois, le Roi n’aura guère le temps de voir son palais terminé car il meurt en 1885, année de son achèvement. Reste son exubérante demeure aux couleurs vives, perchée sur les hauteurs de Sintra.

Coup de cœur pour ce Triton néo-manuélin, une des attractions de la façade du palais.
Coup de cœur pour ce Triton néo-manuélin, une des attractions de la façade du palais.

Un palais tout aussi dingue à l’intérieur…

L’intérieur du palais est tout aussi richement décoré que ses extérieurs. J’avoue que je me suis prise d’une passion pour ses fauteuils, qui avaient l’air tous plus confortables les uns que les autres ! Surtout, certains tissus étaient vraiment superbes, ce que n’a pas pu retranscrire l’appareil photo de mon téléphone, malheureusement (comprenez-moi : porter un reflex quand on a déjà du mal à se porter soi-même, c’est dur).

Encore une fois, les éléments de décoration faisaient la part belle à une multitude de cultures différentes. Parfois jusqu’au kitsch le plus complet, pour nos yeux de visiteurs contemporains. Il est indéniable, toutefois, que la demeure était des plus luxueuses. Et il n’était pas désagréable de découvrir, pour une fois, un intérieur vraiment différent de ceux que l’on peut voir dans les châteaux français, par exemple.

… qu’à l’extérieur !

Au final, nous n’avons encore une fois pas pu visiter tout le domaine entourant le palais car le parc qui l’entoure est véritablement immense ! Un coup d’œil sur la carte vous donnera un petit aperçu de la chose :

Carte du Palais de Pena et du parc du même nom.
Carte du Palais de Pena et du parc du même nom.

Encore une fois, comme c’était aussi le cas pour le Palais de la Regaleira, on voit vite que la nature occupe une place très importante à Sintra. Les palais sont somptueux mais ce qui les entoure l’est tout autant. D’autant plus que tout est un mariage très réussi entre les constructions humaines et la nature. Je n’ai pas eu l’impression que l’un prenait le pas sur l’autre, au contraire. Au final, la seule chose regrettable (et, nous en faisions partie) était le trop (mais vraiment trop !) grand nombre de touristes. Difficile de découvrir tranquillement le lieu dans ces conditions, c’est dommage. Mais comme la Pena est vraiment emblématique du pays, il est compréhensible que le lieu attire tant de monde. C’est la rançon de la gloire !

Comment voulez-vous que je n'aime pas un palais où les rampes sont des tentacules de pieuvre ?
Comment voulez-vous que je n’aime pas un palais où les rampes sont des tentacules de pieuvre ?

Le Palais national de Sintra : le symbole de la ville

Le Palais national de Sintra, aussi surnommé Palácio da Vila (Palais du Bourg) est le premier des trois palais que nous avons visités lors de notre escale à Sintra.

Sa particularité ? Il possède deux cheminées de 33 mètres de haut qui sont le symbole de la ville. Ces cheminées sont celles des cuisines du palais et elles sont effectivement impressionnantes !

Je vous ai même préparé une petite vidéo pour vous donner une meilleure idée de la grandeur de ces cheminées car on ne s’en rend pas bien compte sur les photographies :

Le Palais National de Sintra et ses milles vies

Le palais est très ancien puisqu’il est fondé au Xème siècle, alors que le Portugal se trouve sous domination arabe. Il servira d’abord de résidence au gouvernement maure puis sera habité par les rois portugais durant près de huit siècles. Cela explique les différents styles architecturaux et décoratifs qu’on peut y admirer. Décidément, voilà une des caractéristiques des palais de Sintra : le mélange des genres, tout-à-fait réussi à chaque fois, par ailleurs.

Contrairement à ce que vous pouviez voir sur les premières photos que j’ai postées du lieu, quand nous sommes allés à Sintra, le temps était beaucoup (BEAUCOUP !) plus brumeux et particulièrement humide. Mon panorama, ci-dessus, suffit à vous en donner un petit aperçu. C’était comme si cette atmosphère pénétrait jusqu’entre les murs du palais. Comme si le brouillard était si épais que les murs ne pouvaient l’empêcher de passer, qu’il se faufilait partout. Du coup, la plupart de mes photos sont bizarrement floues à ce moment-là de la journée : pas parce que je bougeais en les prenant mais parce que je n’arrivais simplement pas à faire mieux. C’était assez perturbant.

 

Les trésors cachés du Palais National de Sintra

On pourrait croire que le Palais National de Sintra est moins majestueux que ses voisins. En réalité, c’est seulement qu’il cache bien son jeu !

En effet, au cours de la visite, deux pièces se détachent vraiment du lot. La première est la salle des blasons. Une salle immense que l’on ne s’attend pas à découvrir après avoir traversé plusieurs salles de tailles plus modestes. Son plafond à caissons, couvert de blasons, est superbe. Mais c’est surtout le contraste avec les azulejos bleus, qui ornent les murs, qui fait toute la splendeur de cette salle. Elle fut difficile à photographier alors certaines des photographies que je vous propose de découvrir ne sont pas de moi. En revanche, j’ai tâché de la filmer pour vous donner une idée de sa taille.

La seconde « pièce » est un peu particulière. Il s’agit, en fait, d’une salle d’eau. Elle a tout de la salle de thalasso moderne puisque des jets d’eau sortaient des murs pour « masser » ses utilisateurs. Mais elle est bien plus belle avec ses magnifiques faïences bleues dont les scènes font très françaises avec leur style rococo.

Conclusion

Vous l’aurez compris, visiter Sintra, c’est d’abord s’armer d’une bonne paire de chaussures et ne pas espérer pouvoir tout voir en un jour. J’espère sincèrement que j’aurai la chance, un jour, d’y retourner pour voir tout ce que nous avons pu manquer. Les jardins, les autres palais et les secrets que doit encore abriter cette ville, en dehors de ses sentiers touristiques. J’aurais adoré voir le Palais de Monserrate, par exemple, et ses jardins qu’on dit magnifiques. Ou alors jusqu’à la mer pour voir les falaises qui bordent Sintra.

J’espère surtout que cette escale bloguesque vous aura plu. N’hésitez pas à me le faire savoir en commentaire ! Et si vous avez raté l’article précédent, je vous remets le lien juste ici, là, vous pouvez cliquez, bim, bam, boum.

Enfin, si vous voulez découvrir encore plus de choses sur Lisbonne et notre séjour là-bas, vous pouvez vous rendre sur mon compte Instagram où j’essaye de résumer ces quelques jours magiques en sélectionnant mes photos préférées.


Sources :

Visite de Sintra : attractions et choses à voir
Palais national de Sintra — Wikipédia
Palais national de Pena — Wikipédia
Sintra : Romantisme au Palais de Pena
Nos Racines sur 4 Continents « Le Palais national de Sintra, un château médiéval emblématique »
Miles and Love « A la découverte des palais de Sintra »

Joseph Ferdinand Cheval : un Facteur pas comme les autres

Aujourd’hui, je vous emmène sur les traces d’un artiste méconnu. Un artiste qui, d’ailleurs, ne fut pas reconnu comme un « vrai artiste » (comme cette expression est laide…) avant un certain temps après sa mort. Et pour cause : Joseph Ferdinand Cheval était… facteur ! C’est d’ailleurs pour cette raison que nous le connaissons  le plus souvent sous le nom de Facteur Cheval.


Sommaire de l’article :

Joseph Ferdinand Cheval : le plus extraordinaire des facteurs
Le Palais du Facteur : une incroyable maison inhabitable
L’Art brut : art des fous ou des esprits purs ?


Joseph Ferdinand Cheval : le plus extraordinaire des facteurs

Portrait du Facteur Cheval en uniforme
Portrait du Facteur Cheval en uniforme.

Ferdinand Cheval est facteur. Il a pourtant une formation de boulanger, métier qu’il exerce jusqu’à la mort de son premier fils et après avoir obtenu, dans sa jeunesse, un Certificat d’études primaires (diplôme que l’on obtenait, à l’époque, entre 11 et 13 ans, grosso-modo à la fin de la primaire, donc). Originellement, il vient d’une famille paysanne plutôt pauvre de la Drôme. Pendant un temps, il travaille d’ailleurs auprès de son père, au sein de la ferme familiale que finira par reprendre son frère.
Rien ne le prédestine, à première vue, à devenir artiste. D’autant plus qu’il naît en 1836 et meurt en 1924, une époque où il est difficile, voire impossible (on ne va pas se mentir) de modifier à ce point son « destin ».

guillemet« L’époque est rude. Les disettes et épidémies sont fréquentes. Beaucoup de paysans ne portent pas de souliers, ne mangent presque jamais de viande et n’ont pas de draps. Ils dorment le plus souvent dans des lits de feuilles, volées à leur chute dans les forêts communales. »

Pierre Chazaud, Le Facteur Cheval : Un rêve de pierre, Collection les patrimoines, ed. Le Dauphiné, mars 2008.

Et pourtant !
C’est bien son métier de facteur qui va faire de ce brave homme un artiste.
En effet, il effectue chaque jour à pied un trajet d’une trentaine de kilomètres pour desservir Hauterives, village de la Drôme, et ses proches environs. Pour occuper ses longues journées de marche, l’homme rêvasse et dresse peu à peu dans son esprit les plans d’un « palais idéal ». Il s’agit pour lui d’un endroit où il peut s’évader quand il le souhaite d’un quotidien qui n’a rien de bien palpitant.

guillemet« Que faire en marchant perpétuellement dans le même décor, à moins que l’on ne songe. Pour distraire mes pensées, je construisais en rêve, un palais féerique… »

Citation du Facteur Cheval, Source : Site officiel du Palais idéal du Facteur Cheval

Et pendant dix à quinze ans (selon les sources), ce palais reste bel et bien un simple rêve.

Pause précision :
Mads Mikkelsen dans le rôle d'Hannibal dans la série éponyme.
Mads Mikkelsen dans le rôle d’Hannibal dans la série éponyme.

Le fait d’imaginer une architecture complète (un palais, par exemple) dans son esprit n’est pas courant mais n’est pas nécessairement quelque chose d’extraordinaire. Cela peut, en effet, rappeler un procédé mnémotechnique utilisé depuis l’Antiquité et surnommé l’Art de la Mémoire (Ars memoriae, en latin). Cet « art » est principalement utilisé pour mémoriser de longues listes de choses.
Thomas Harris rend son personnage d’Hannibal Lecter capable de pratiquer cet art. L’auteur décrit ainsi comment le tueur en série parvient à dresser dans son esprit un « château mental », un « palais de la mémoire, un édifice qui recèle plus de beauté que de laideur ». Le livre décrit ainsi que « le palais de la mémoire [était] un procédé mnémotechnique bien connu des savants antiques [qui permit] de préserver de multiples connaissances tout au long de l’ère de déclin où les Vandales brûlaient les livres. Comme les érudits qui l’ont précédé, le docteur Lecter conserve une énorme quantité d’informations liées à chaque ornement, chaque ouverture et chacune des mille pièces de son édifice, mais contrairement à eux il lui réserve encore une autre fonction : il part y vivre de temps à autre. » C’est en cela qu’on peut, peut-être, comparer le Palais idéal du Facteur Cheval à ce procédé. Ceci dit, le Facteur, lui, n’était pas un tueur en série mangeur de chair humaine, en plus d’avoir véritablement existé !

(Oh et, ça n’a rien à voir – ou presque- mais la série Hannibal est très bien et je vous encourage vivement à la regarder si ça n’est pas déjà fait.)

La pierre d'achoppement, à l'origine du Palais. Emplacement : sur la terrasse, façade ouest.
La pierre d’achoppement, c’est-à-dire la pierre sur laquelle aurait trébuché le Facteur Cheval et qui serait à l’origine du Palais.
Emplacement : sur la terrasse, façade ouest.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là et devient même, à mon sens, bien plus incroyable. Le Facteur Cheval a presque oublié son palais imaginaire quand il raconte avoir trébuché par hasard sur une pierre (que vous pouvez voir ci-contre, car elle fait maintenant partie intégrante du Palais idéal) pendant l’une de ses tournées. Romance ou réalité ? Allez savoir. Il n’empêche que c’est cet évènement, dit-il, qui le pousse à commencer la construction de ce qui n’était alors qu’un rêve pour passer le temps. Un rêve qu’il gardait d’ailleurs pour lui de peur qu’on le prenne pour un fou. Ce qui arrivera, bien malheureusement.

Dans « L’histoire du Palais Cheval édifié à Hauterives-Drôme, écrite par son auteur monsieur Ferdinand Cheval » et relatée par la Vie illustrée du 10 novembre 1905, voici comment le Facteur-artiste raconte son histoire :

guillemet« Un jour du mois d’avril en 1879, en faisant ma tournée de facteur rural, à un quart de lieue avant d’arriver à Tersanne, je marchais très vite lorsque mon pied accrocha quelque chose qui m’envoya rouler quelques mètres plus loin, je voulus en connaitre la cause. J’avais bâti dans un rêve un palais, un château ou des grottes, je ne peux pas bien vous l’exprimer… Je ne le disais à personne par crainte d’être tourné en ridicule et je me trouvais ridicule moi-même. Voilà qu’au bout de quinze ans, au moment où j’avais à peu près oublié mon rêve, que je n’y pensais le moins du monde, c’est mon pied qui me le fait rappeler. Mon pied avait accroché une pierre qui faillit me faire tomber. J’ai voulu savoir ce que c’était… C’était une pierre de forme si bizarre que je l’ai mise dans ma poche pour l’admirer à mon aise. Le lendemain, je suis repassé au même endroit . J’en ai encore trouvé de plus belles, je les ai rassemblées sur place et j’en suis resté ravi… C’est une pierre molasse travaillée par les eaux et endurcie par la force des temps. Elle devient aussi dure que les cailloux. Elle représente une sculpture aussi bizarre qu’il est impossible à l’homme de l’imiter, elle représente toute espèce d’animaux, toute espèce de caricatures. […] »

Une des phrases du Facteur Cheval résume parfaitement ce qu’il entreprend alors de faire : « Je me suis dit : puisque la Nature veut faire la sculpture, moi je ferai la maçonnerie et l’architecture. » (Pierre Chazaud, Le Facteur Cheval : Un rêve de pierre, op.cit.)

Le Palais du facteur : l’incroyable maison inhabitable

Avant de vous en dire plus sur ce Palais idéal, je vous laisse le découvrir en images si vous ne l’aviez encore jamais vu :

Le Palais du Facteur Cheval se situe dans la Drôme, à Hauterives. Il mesure 12 mètres de hauteur et 26 mètres de long. Les pierres qui le compose furent assemblées avec de la chaux, du mortier et du ciment. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il porte admirablement bien son nom de « Palais idéal ».

Premièrement, parce que le Facteur Cheval a fait de son Palais une architecture unique en son genre, mêlant des éléments de provenance très diverses. Les cultures auxquelles ils empruntent appartiennent à différents continents, ce qui en fait un bâtiment qu’on pourrait qualifier d’universel. C’est déjà un sacré bel exploit !
Un incroyable bestiaire décore l’ensemble : pieuvre, biche, cerf, caïman, éléphant, pélican, loutre, dromadaire, ours, oiseaux… Mais aussi des géants, des fées, des personnages mythologiques ou encore des cascades. Sur une des façades, il fait même référence à Allah ! Le Facteur puise son inspiration dans la Bible (Grottes de Saint-Amédée et de la Vierge Marie, un calvaire, les évangélistes…) ainsi que dans la mythologie hindoue et égyptienne, notamment. Il faut dire qu’à une époque où se développe la carte postale, le livreur de courriers a de quoi trouver largement de quoi alimenter son imagination fertile !
L’ensemble m’évoque une sorte de Palais des Mille et Une Nuits qui aurait été construit hors du temps, hors de toute époque précise ou, au contraire, au croisement de tous les possibles. Une fantastique aberration. Le résultat d’un rêve, c’est à n’en plus douter !

La façade Est est surnommée le « Temple de la Nature ». Sur la façade Ouest, on trouve plusieurs architectures miniatures, inspirées de créations du monde entier comme une mosquée, un temple Hindou, un chalet suisse, la Maison Carrée d’Alger ou encore un château du Moyen Âge. C’est également par là qu’on accède à une galerie d’une vingtaine de mètres, également ornée de sculptures. On peut aussi accéder à une terrasse par des escaliers.
La façade Nord semble être une prolongation du Temple de la Nature. On y trouve des grottes et toutes sortes d’animaux. La façade Sud, elle, se compose d’un musée antédiluvien (c’est-à-dire un musée d' »avant le Déluge », autrement dit une référence biblique).

Palais idéal du Facteur Cheval, Hauterives, Drôme, France.  Détail : Le Temple Hindou
Palais idéal du Facteur Cheval,
Hauterives, Drôme, France.
Détail : Le Temple Hindou

Deuxièmement, je trouve ça incroyable qu’un homme seul, qui plus est une personne sur laquelle personne n’aurait parié, ait réussi à réaliser quelque chose d’aussi imposant, beau et unique en son genre. Le Facteur Cheval mettra 33 ans à bâtir sa forteresse de rêve. Quand il commence sa construction, il a déjà 43 ans (on est aux alentours de 1880 et l’espérance de vie d’un facteur de la Drôme n’est pas la même que de nos jours…). Quand il l’achève, en 1912, il prend soin d’y inscrire « Travail d’un seul homme ». Peut-être pour se rassurer lui-même : solitaire, traité de fou, il a tout de même réussi à bâtir cette incroyable maison tout seul, de ses propres mains, en total autodidacte. Et le résultat est incroyable !

Mais l’histoire ne s’arrête pas tout à fait là car après l’achèvement de son Palais en 1912, le facteur repart à la recherche de nouvelles pierres à l’aide sa fidèle brouette. Son but ? Construire ce qui deviendra, finalement, sa maison éternelle : son tombeau.

En fait, le Palais idéal devait être la dernière demeure du facteur mais la loi Française alors en vigueur n’autorise pas ce dernier à y être enterré sans avoir été d’abord incinéré (allez savoir pourquoi…). Une pratique encore peu en vogue à l’époque. Le facteur décide donc de construire sa propre tombe dans le proche cimetière. Il raconte :

guillemet« Après avoir terminé mon Palais de rêve à l’âge de soixante dix-sept ans et trente-trois ans de travail opiniâtre je me suis trouvé encore assez courageux pour aller faire mon tombeau au cimetière de la Paroisse.
Là encore j’ai travaillé 8 années d’un dur labeur. J’ai eu le bonheur d’avoir la santé pour achever ce tombeau appelé « Le Tombeau du silence et du repos sans fin » – à l’âge de 86 ans.
Ce tombeau se trouve à un petit kilomètre du village d’Hauterives. Son genre de travail le rend très original, à peu près unique au monde, en réalité c’est l’originalité qui fait sa beauté.
Grand nombre de visiteurs vont aussi lui rendre visite après avoir vu mon « Palais de rêves » et retournent dans leur pays émerveillés en racontant à leurs amis que ce n’est pas un conte de fée, que c’est la vraie réalité. Il faut le voir pour le croire. C’est aussi pour l’Éternité que j’ai voulu venir me reposer au champ de l’Égalité. »

Extrait du cahier N° 3 du Facteur de décembre 1911, Hauterives – Drôme, écrit par son auteur Monsieur Ferdinand Cheval, Source : Site officiel du Palais idéal du Facteur Cheval

L’art brut : art des fous ou des esprits purs ?

Pour autant, le Facteur Cheval n’est pas considéré comme un artiste comme les autres. On parle d’Art brut pour qualifier les œuvres comme la sienne. Une expression qui couvre quantité de créations et, surtout, de créateurs différents. Par exemple, beaucoup de gens sont encore persuadés aujourd’hui que l’Art brut est le nom donné aux créations les plus extraordinaires (entendez bien, celles qui sortent le plus de l’ordinaire) des personnes atteintes de troubles psychologiques plus ou moins graves.

Le Facteur Cheval et sa brouette,
Le Facteur Cheval et sa brouette,
Bibliothèque municipale de Lyon

Mais le Facteur Cheval était-il fou ? Certes, il n’était pas artiste de profession et/ou de formation. Rien que pour cela, son travail est classé dans la catégorie « Art brut ». Ce qui n’enlève rien à la qualité de son œuvre. L’Art brut n’ayant pas vocation à être une catégorie artistique valant moins qu’une autre (en tout cas, à mes yeux).
Ses voisins semblent en tout cas avoir longtemps pensé que le pauvre homme était fou. Il faut dire que durant sa tournée de facteur, il accumulait des pierres qu’il retournait chercher, une fois sa journée terminée, à l’aide de sa très chère brouette qu’il appelle sa « fidèle compagne de peine » (mais nous avons bien un Fossoyeur qui parle à une pelle, de nos jours ! :p).
Mais ce qui fait vraiment du Facteur Cheval un artiste « brut », c’est tout simplement qu’il ne cherchait pas à réaliser une œuvre d’art ni à être artiste : il faisait ce qu’il ressentait l’envie de faire, sans se poser davantage de questions existentielles, transcendantes, métaphysiques, ou tout ce que vous voulez. Il essaiera toutefois de faire connaître son travail de son vivant et ira même jusqu’à engager une « bonne » chargée des visites guidées en 1907.
Mais si son œuvre est une architecture, elle ne ressemble à aucune autre, elle ne correspond à aucun mouvement et ne répond à aucune règle architecturale ou sculpturale. Forcément, puisque Joseph Ferdinand Cheval n’est ni architecte, ni sculpteur ! C’est ce qui fait de lui un artiste « brut ».

Son travail va pourtant inspirer les artistes de son temps et ceux qui vont suivre. En particulier les surréalistes. En 1932, André Breton rendra un hommage au Facteur Cheval à travers un  poème intitulé : « Le Revolver à cheveux blancs ».

En 1969, André Malraux, alors Ministre de la Culture, fait classer le Palais idéal aux Monuments Historiques, au titre de l’art naïf. Un « vrai » art, cette fois, pourrait-on dire car il s’agit d’un mouvement artistique auquel appartient notamment le Douanier Rousseau. Voilà le facteur devenu artiste. Quant à son Palais, il a accueilli 150 800 visiteurs venus du monde entier rien qu’en 2013.

Vous comprendrez donc que, même si c’est bien souvent une critique que l’on m’adresse lorsque l’on me dit que mes créations sont « naïves », je le prenne plutôt bien. A bon entendeur !


Cet article vous a plu ? Ou pas ? Vous pouvez tout me dire dans les commentaires ci-dessous ! N’hésitez pas ! ✌


Sources :
Site Officiel du Palais Idéal du Facteur Cheval
Page Facebook Officielle du Palais Idéal
Le Jardin des Arts
Wikipédia : Le Palais idéal
Wikipédia : Ferdinand Cheval