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[Work in Progress] Dessin : La Fée Électricité

Informations

Titre : La Fée Électricité
Médium : Peinture acrylique sur papier Canson
Dimensions : 21 x 29,7 cm
Date : 2015


Ce dessin montre à quel point mes idées peuvent évoluer radicalement au cours de leur réalisation ! Du premier croquis à la réalisation finale, ce dessin a beaucoup changé. Il ne ressemble plus vraiment à ce qu’il était au tout départ : ce qui n’était qu’une idée lointaine s’est concrétisée au fur et à mesure du travail que j’ai réalisé. Et ça n’est pas pour me déplaire car je suis assez satisfaite du résultat que finalement j’ai obtenu (pour une fois).

Initialement, ma Fée Électricité avait un visage. Et elle n’avait d’ailleurs rien d’une « Fée Électricité » ! Mon but premier était de lui faire porter une sorte de scaphandre (elle devait, en tout cas, avoir la tête dans une sorte de bulle ou de bocal). Je visais donc plutôt un thème aquatique.
Thème que je n’ai d’ailleurs pas complètement abandonné : ma Fée semble avoir un poisson comme animal de compagnie et sa robe lui donne l’air de flotter. Et ce sont bien des bulles qui gravitent autour de ses étranges ailes.

Toutefois, avec sa tête d’ampoule, je ne me voyais pas la surnommer autrement ! Et je trouve, au final, que cela ne fait qu’accentuer son étrangeté.

Au final, j’ai choisi de la laisser sans visage. J’aurais effectivement pu réaliser ce qui était prévu au départ (c’est-à-dire, représenter ses cheveux semblant flotter autour de son visage, dissimulés en partie ou complètement sous cette masse informe). Mais une fois parvenue à ce point, j’ai décidé de m’arrêter là car le résultat me paraissait plus intéressant, plus mystérieux, plus surréaliste. Et puis, avec la multiplication des bulles autour de son casque, qui a la même forme, elle m’a donné l’air d’être une hydre : pas vraiment humaine, donc, et un peu monstrueuse dans son genre. Je l’ai donc laissée ainsi.


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[Work in progress] Peinture : La Corne d’Abondance

Informations :

Titre : La Corne d’Abondance
Medium : Peinture acrylique sur toile
Dimensions : 70 cm x 50 cm
Date : 2013

Pour voir le résultat final, rendez-vous sur cette page.


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Héliogabale : Enfant-roi, empereur de la décadence

Il y a des tableaux que l’on regarde avec un oeil neuf dès lors qu’on connaît l’histoire qui les a inspirés. Je vous avais déjà parlé du diptyque d’Urbino de Pierro della Francesca mais le tableau de Lawrence Alma-Tadema, intitulé Les roses d’Héliogabale est également de ceux-là. La première fois que je l’ai vu, je l’ai trouvé magnifique ; tous ces pétales de roses, le réalisme avec lequel la scène avait été peinte, les couleurs, le regard des personnages, le décor, la composition… Plus je le regardais, plus quelque chose me décontenançait. J’ai fini par découvrir de quoi il s’agissait en me renseignant sur le sujet que présentait le tableau : Héliogabale, l’empereur observant la scène, allongé bien en évidence au second plan.

Âmes sensibles s’abstenir. (vous ne pourrez pas dire que je ne vous ai pas prévenus)


Sommaire de l’article

Qui était Héliogabale ?
Héliogabale : véritablement décadent ou injustement jugé ?
Les roses d’Héliogabale : comment lire ce tableau ?
Les roses d’Héliogabale : fiction ou réalité ?


Lawrence Alma-Tadema, Les roses d’Héliogabale, 1888, 132x214cm, Collection privée, Mexico
Lawrence Alma-Tadema, Les roses d’Héliogabale, 1888, 132x214cm, Collection privée, Mexico

Qui était Héliogabale ?

Héliogabale ou Élagabal, détail issu de la peinture de Lawrence Alma-Tadema.
Héliogabale ou Élagabal, détail issu de la peinture de Lawrence Alma-Tadema.

Un nom solaire pour un homme obscur.

Héliogabale, Élagabal ou Marcus Aurelius Antoninus (son nom de règne) OU ENCORE Varius Avitus Bassianus (de son VRAI nom, parce qu’on faisait dans la simplicité à l’époque ><) fut empereur de 218 à 222 ap. J.C., date à laquelle il fut assassiné (à seulement 19 ans, après être devenu empereur à seulement 14 ans). A treize ans déjà, il était grand-prêtre du dieu Élagabal (d’où son nom). Un dieu solaire adoré à Émèse en Syrie romaine, région d’origine du jeune empereur. Il tentera d’ailleurs d’imposer sa religion à Rome durant son règne. D’ailleurs, dans la peinture de Lawrence Alma-Tadema, l’empereur porte une tunique dorée et un diadème, symboles solaires. Des attributs davantage liés à sa religion qu’à son rang de souverain romain. Il faut dire aussi qu’il nourrit également une véritable passion pour l’or et les pierres précieuses, comme en atteste le professeur Robert Turcan, spécialiste d’archéologie et de l’antiquité, qui raconte ceci dans son livre Héliogabale et le Sacre du soleil :

guillemet« Avant même d’accéder à l’Empire, l’enfant – nous le savons par l’Histoire Auguste – appréciait déjà les étoffes lourdement tissues d’or. (…) Héliogabale a des réchauds d’argent, des chaudrons, des lits en argent massif, aussi bien pour manger que pour dormir. Mais comme déjà l’argent sert à plaquer les voitures, les siennes seront plaquées d’or et incrustées de pierreries.
D’or aussi sera le récipient où il se déleste des excès de table. Il urine dans des vases en onyx ou dans ceux qu’on appelle “murrhins” et qui passent alors pour les plus précieux de la vaisselle impériale. (…) Héliogabale fait saupoudrer d’or et d’argent une galerie de son palais, regrettant de ne pouvoir y semer de l’ambre. Il porte un vêtement dont chaque fil est d’or. C’est le métal impérial par excellence et l’apanage du dieu solaire.
(…) Mais l’empereur a une prédilection pour les joyaux. Dans sa garde-robe étincelle une lourde tunique “perse” faite de pierreries. Quand l’empereur la porte, il se dit épuisé par ‘le poids du plaisir’. Les pierreries brillent sur sa tête auréolée d’un diadème ; elles brillent sur ses pieds : ses chaussures en peau fine sont constellées de gemmes gravées. On sait qu’il affectionne aussi les bracelets et les colliers. Il veut voir des bijoux partout. Dans les plats, il fait mêler aux légumes et autres aliments des pièces d’or, des marcassites, des grains d’ambre ou des perles à foison. »

Robert Turcan, Héliogabale et le Sacre du soleil, 1985, Albin Michel, Paris, p.180.

Un règne court. Fulgurant, même. Mais quel règne, pour un si jeune homme !

Buste d'Héliogabale, Musée du Capitole, Rome, Italie.
Buste d’Héliogabale, Musée du Capitole, Rome, Italie.

Voici l’illustre inconnu qui  inspira ce tableau au peintre britannique Lawrence Alma-Tadema. En effet, aviez-vous déjà entendu le nom d’Héliogabale ? Pour ma part, je ne le connaissais pas du tout. Et pour cause : il fut condamné à la damnatio memoriæ (littéralement : « damnation de la mémoire »). Une condamnation post-mortem consistant à effacer l’existence d’une personne ; une condamnation à l’oubli (d’autres empereurs romains ont été condamnés de la même façon mais leur règne et leur nom sont restés célèbres : Néron, Caligula ou encore Marc Antoine en font partie). Héliogabale a eu moins de chance. Il faut dire que son règne a été court et qu’il n’est revenu dans les mémoires des artistes du XIXème siècle que comme symbole de décadence.

Héliogabale : véritablement décadent ou injustement jugé ?

Les sources varient au sujet d’Héliogabale et la damnatio memoriæ n’a pas aidé. Il est difficile d’affirmer que l’empereur était vraiment aussi cruel et fou qu’ont bien voulu le laisser entendre certains chroniqueurs de l’époque.

En effet, le souverain n’est pas très apprécié. Plusieurs raisons à cela : sa relation avec sa mère (je vous en reparle plus bas) mais aussi les scandales qui ponctuent son règne. On lui reproche notamment d’avoir enlevé et épousé la grande Vestale Aquilia Severa (une vestale est une prêtresse de la Rome antique dédiée à Vesta). Ce mariage de l’empereur bafouait toutes les traditions romaines, car les vestales devaient rester vierges sous peine d’être emmurées vivantes. Le mariage sera pourtant de courte durée car Héliogabale est homosexuel. Il « épousera » d’ailleurs certains de ses compagnons, choquant de même coup ses contemporains et historiens romains. On dit aussi que la fin de son règne sera marqué par des orgies homosexuelles publiques. Ou encore que, durant certaines fêtes qu’il organisât, certains de ses convives se réveillèrent dans une cage avec des lions ou des ours (apprivoisés, donc inoffensifs… mais quand même).

C’est d’ailleurs d’un petit jeu de ce genre dont traite la toile de Lawrence Alma-Tadema…

Les roses d’Héliogabale : comment lire ce tableau ?

A première vue, la scène dans laquelle Lawrence Alma-Tadema l’a ici représenté nous montre la volupté dans laquelle évoluait le souverain romain. On devine qu’il s’agit d’une fête et que les personnages sont plutôt riches. L’ensemble a de quoi charmer le spectateur tant il est beau, réaliste, détaillé.

D’abord, dans quel contexte cette oeuvre a-t-elle été réalisée ? Lawrence Alma-Tadema n’est pas un peintre particulièrement connu, en particulier en France. Peintre britannique, d’origine néerlandaise, on l’associe à l’Aesthetic Movement (l’Esthétisme en France). Un mouvement artistique qui s’est développé sous le règne de la reine Victoria, des années 1860 à 1900, et qui hérite du mouvement Préraphaélite (dont je suis une grande admiratrice, d’ailleurs, même si ça ne plaît pas à tout le monde).
L’Aesthetic Movement se développe en réaction au Naturalisme (ou Réalisme). Il consacre « l’art pour l’art », la recherche de la beauté pour elle-même. Les artistes de ce mouvement mettent souvent la femme au centre de leurs œuvres. Elle en devient le motif principal et récurrent. Les scènes peintes s’inspirent de l’Antiquité (en particulier dans le cas de Lawrence Alma-Tadema, qui en a fait sa spécialité) ou du Moyen-Age (les Préraphaélites ayant entamé cette mouvance dès les années 1850). Si des peintres comme Lawrence Alma-Tadema cherchent à coller à une certaine réalité archéologique, les scènes peintes sont souvent idéalisées, embellies, sublimées.

Contrairement à des peintres Néoclassiques comme Jacques-Louis David, qui a également peint de nombreuses scènes inspirées de l’Antiquité (on peut penser au Serment des Horaces ou à La Mort de Socrate, par exemple), Lawrence Alma-Tadema ne choisit pas de grands sujets historiques ou mythologiques mais des scènes de la vie quotidienne ou des épisodes secondaires de l’Histoire. Il faut dire que la bourgeoisie britannique fantasme alors sur cette lointaine époque antique dont on aime croire qu’il s’agissait d’un âge d’or, d’une époque de luxe et de volupté. L’imagerie que produit alors Lawrence Alma-Tadema séduit le public car elle est colorée, ensoleillée, pleine de fleurs et de palais merveilleux, de fête, de bains et de banquets.

guillemet« Lawrence Alma-Tadema, alors au sommet de sa prolifique carrière, s’était spécialisé dans la représentation d’une Antiquité fantasmée habitée par de riches oisifs occupant leur temps entre les intrigues amoureuses, les fêtes, les arts et les distractions de toutes sortes. Les Roses d’Héliogabale (…) répondait parfaitement à l’attrait d’une société, pourtant conservatrice, pour une Antiquité décadente et débauchée. Si l’art d’Alma-Tadema était commercial et populaire, il n’excluait pas dans certaines oeuvres l’expression d’une critique de la bourgeoisie de son temps au travers des excès de la Rome antique, ainsi qu’il le suggérait en affirmant : “Les vieux Romains étaient faits de la même chair et du même sang que nous, ils étaient mus par les mêmes passions et les mêmes émotions.” »

Florelle Guillaume, « Analyse d’oeuvre, Les Roses d’Héliogabale de Lawrence Alma-Tadema », in Beaux-Arts Magazine, Octobre 2013.

Nous sommes loin de l’Angleterre de la Révolution Industrielle, dont la Capitale est sombre, tentaculaire et polluée, dans laquelle erre Jack l’Éventreur. Il suffit de voir les gravures que Gustave Doré fait de Londres, à cette époque, pour saisir la différence.

Mais revenons-en a nos moutons : Les Roses d’Héliogabale.

Au premier coup d’oeil, ce tableau est tout simplement sublime. Tous les pétales de roses qui tourbillonnent dans la scène participent à cet état de fait mais ils ne sont pas les seuls. L’artiste a représenté l’ensemble avec un grand souci de réalisme et, en même temps, l’on perçoit l’idéalisation de la scène dont le moindre détail (des costumes des personnages à la simple petite décoration) a été pensé. Tout cela brouille notre perception : il s’agit d’une mise en scène, tout est faux, mais tout semble vrai, réaliste, vraisemblable. Cela participe à nous faire entrer dans l’histoire et, peu à peu, à ressentir le caractère tragique de ce qui s’y passe.

Car derrière son apparence triviale, innocente, cette scène est terrible. Je ne vous en dis pas plus pour l’instant, nous allons découvrir peu à peu pourquoi tout au long de cet article.

Dans ce tableau, la ligne d'horizon est haute.
Dans ce tableau, la ligne d’horizon est haute.

La ligne d’horizon ne coupe pas le tableau en deux parties égales mais se situe un peu plus haut. Cela a pour conséquence de nous forcer (théoriquement) à lever les yeux pour observer l’empereur et ses convives se trouvant sur l’estrade. De ce fait, nous pouvons aussi avoir l’impression que nous nous trouvons dans « la fosse », avec les autres personnages, peu à peu recouverts par les roses.

On constate également que la ligne d’horizon, une fois tracée comme je l’ai fait ci-dessus, sépare clairement les deux groupes de personnages. L’empereur et ses invités sont au spectacle tandis que les autres le subissent.

Le jeu des regards nous pousse à voir le tableau dans son ensemble.
Le jeu des regards nous pousse à voir le tableau dans son ensemble.

Un jeu de regards entre les différents protagonistes nous permet de passer d’un personnage à l’autre et nous pousse à observer la scène dans son ensemble (voir les flèches que j’ai tracées sur l’image ci-dessus). Ce jeu de regards nous permet également de nous arrêter sur des personnages clefs, dont les expressions nous dévoilent peu à peu l’horrible intrigue (je les ai entourés d’un carré rouge). Je vous les détaille :

Avec son air tranquille, cette femme ne semble pas du tout s'inquiéter de la vague de pétales de fleurs qui vient s'écraser sur elle et ses voisins. Elle semble se redresser tranquillement.

Avec son air tranquille, cette femme ne semble pas du tout s’inquiéter de la vague de pétales de fleurs qui vient s’écraser sur elle et ses voisins. Elle semble se redresser tranquillement.

Cet homme semble plonger dans les roses pour s'amuser. A moins que ce ne soit le poids des pétales de roses qui le pousse à se rallonger...

Cet homme semble plonger dans les roses pour s’amuser. A moins que ce ne soit le poids des pétales de roses qui le pousse à se rallonger…

Cette femme semble inconsciente du danger qui la guette. Elle sourit légèrement et ses yeux fixent un point en dehors du tableau. Elle est ailleurs, déjà perdue.

Cette femme semble inconsciente du danger qui la guette. Elle sourit légèrement et ses yeux fixent un point en dehors du tableau. Elle est ailleurs, déjà perdue.

Cet homme regarde l'Empereur. Même s'il nous tourne presque entièrement le dos, on peut voir qu'il tient une poignée de raisins recouverts de pétales de roses, dans un geste qui semble interroger l'Empereur. Il semble vouloir lui dire que cela commence quand même à faire beaucoup de fleurs...

Cet homme regarde l’empereur. Même s’il nous tourne presque entièrement le dos, on peut voir qu’il tient une poignée de raisins recouverts de pétales de roses, dans un geste qui semble interroger l’empereur. Il semble vouloir lui dire que cela commence quand même à faire beaucoup de fleurs

Cette femme semble s'amuser. Pourtant, on peut supposer qu'elle commence à trouver les fleurs encombrantes car elle se protège à l'aide d'un large éventail de plumes. Dans le même temps, elle regarde la femme inquiète, un peu plus loin. On peut se demander si elle ne commence pas à comprendre ce qui se passe.

Cette femme semble s’amuser. Pourtant, on peut supposer qu’elle commence à trouver les fleurs encombrantes car elle se protège à l’aide d’un large éventail de plumes. Dans le même temps, elle regarde la femme inquiète, un peu plus loin. On peut se demander si elle ne commence pas à comprendre ce qui se passe.

Cette femme a l'air inquiet. Elle nous fixe, comme si elle avait aussi peur pour nous. Sa bouche est très légèrement entrouverte, comme si elle voulait nous mettre en garde.

Cette femme a l’air inquiet. Elle nous fixe, comme si elle avait aussi peur pour nous. Sa bouche est très légèrement entrouverte, comme si elle voulait nous mettre en garde.

J’attire un instant votre regard sur la grenade (le fruit, pas une bombe… non mais je précise, on ne sait jamais avec vigipirate et la CIA qui nous observe… #parano) qu’elle tient dans la main : elle est d’un réalisme surprenant. De même que sa robe, sur laquelle on distingue clairement un imprimé prenant la forme d’un félin, vraisemblablement un léopard. Lawrence Alma-Tadema a pensé son tableau jusque dans ses moindres détails. On peut en voir partout dans le tableau. Notamment au niveau des couches sur lesquelles sont installés l’empereur et ses invités, dont les pieds nous sont montrés comme magnifiquement sculptés.

Le tableau de Lawrence Alma-Tadema regorge de détails d'un réalisme étonnant.
Le tableau de Lawrence Alma-Tadema regorge de détails d’un réalisme étonnant.

Un autre détail a d’ailleurs son importance, dans cette toile : la statue de Dionysos (ou Bacchus), située à l’arrière-plan, sur fond de collines lointaines. Lawrence Alma-Tadema s’est inspiré d’une véritable sculpture en marbre, le Dionysos du Palazzo Altemps de Rome, datant du 2ème siècle de notre ère. Ce marbre nous montre Dionysos accompagné d’une panthère et d’un Satyre. C’est un détail qui montre que l’artiste s’intéressait bien à l’archéologie et aux civilisations antiques. Mais on peut également y voir une référence à l’homosexualité de l’empereur. En effet, Dionysos était l’amant d’un Satyre nommé Ampélos (ou Ampélus) et il était souvent représenté à ses côtés.

guillemet« Alma-Tadema était coutumier de ce type d’allusions grivoises glissées discrètement dans le décor afin de ne pas choquer l’Angleterre puritaine du XIXe siècle. »

Florelle Guillaume, « Analyse d’oeuvre, Les Roses d’Héliogabale de Lawrence Alma-Tadema », in Beaux-Arts Magazine, Octobre 2013.

Détail de la statue de Dionysos dans le tableau de Lawrence Alma-Tadema.
Détail de la statue de Dionysos dans le tableau de Lawrence Alma-Tadema.
A gauche : Dionysos, une panthère et un Satyre (ou Ludovisi Dionysos), Palazzo Altemps, Rome, Italie. A droite : Bacchus et Ampelus, Galerie des Offices, Florence, Italie.
A gauche : Dionysos, une panthère et un Satyre (ou Ludovisi Dionysos), Palazzo Altemps, Rome, Italie.
A droite : Bacchus et Ampelus, Galerie des Offices, Florence, Italie.

Cet homme fixe l'Empereur avec insistance. A-t-il compris ce qui se trame ? Il semble accusateur.

Portrait de Lawrence Alma-Tadema.
Portrait de Lawrence Alma-Tadema.

Cet homme fixe l’empereur avec insistance. A-t-il compris ce qui se trame ? Il semble accusateur. Il faut dire qu’il peut s’agir d’un autoportrait de l’artiste, Lawrence Alma-Tadema, qui se serait volontairement placé dans son tableau (avec une coiffure qui a de quoi marquer les esprits !… Ok, ça n’a rien à voir, mais il fallait quand même que j’attire votre attention là-dessus parce qu’elle me fascine, cette coiffure). Si tel est le cas, il est logique qu’il sache ce qui se passe dans la scène. Notons qu’il est d’ailleurs le seul homme blond et barbu de la scène. Sa différence physique avec les autres personnages masculins peut confirmer qu’il n’est pas issu de la même époque que les autres, qu’il est anachronique, puisqu’il s’agirait de l’artiste lui-même. Enfin, la comparaison entre ce personnage et une véritable photographie de Lawrence Alma-Tadema vient asseoir leur ressemblance (tout est dans la barbe, déjà so hipster… Avec un peu de chance, en postant ça, je vais lancer une mode à partir de la coiffure du personnage :D).

Cette femme est la plus âgée du tableau. On peut penser qu'il s'agit de la mère de l'Empereur. On dit qu'il a été très proche, au point de ne prendre aucune décision sans elle. Quoiqu'il en soit, elle sourit et ne semble pas prête à vouloir arrêter la petite fête de son souverain.

Cette femme est la plus âgée du tableau. On peut penser qu’il s’agit de la mère de l’empereur. On dit qu’il en était très proche, au point de ne prendre aucune décision sans elle : « Il fut tellement dévoué à Semiamira sa mère, qu’il ne fit rien dans la République sans la consulter. » (Source: Aelius Lampridius, Histoire Auguste ; Vie d’Antonin Héliogabale). Cette relation mère-fils, parce qu’il en résultât qu’elle siège au Sénat, eut pour effet de précipiter la chute d’Héliogabale.

guillemet« Lors de la première assemblée du sénat, il fit demander sa mère. À son arrivée elle fut appelée à prendre place à côté des consuls, elle prit part à la signature, c’est-à-dire qu’elle fut témoin de la rédaction du sénatus-consulte : de tous les empereurs il est le seul sous le règne duquel une femme, avec le titre de clarissime, eut accès au sénat pour tenir la place d’un homme. »

Source: Aelius Lampridius, Histoire Auguste ; Vie d’Antonin Héliogabale.

Quoiqu’il en soit, la femme sourit et ne semble pas prête à vouloir arrêter la petite fête de son souverain.

Le regard gourmand de cet homme a de quoi nous inquiéter. Il prend clairement plaisir à regarder la scène. De plus, en levant ainsi sa coupe, il semble dire aux autres personnages "A votre santé !", ce qui est plus qu'ironique.

Le regard gourmand de cet homme a de quoi nous inquiéter. Il prend clairement plaisir à regarder la scène. De plus, en levant ainsi sa coupe, il semble dire aux autres personnages « A votre santé ! », ce qui est plus qu’ironique.

Cette femme, contrairement à ses voisines, regarde les pétales de roses qui s'élèvent. On peut se demander si elle a compris ce qui se passe ou pas. Elle semble jeune et innocente, ce qui est d'autant plus tragique.

Cette femme, contrairement à ses voisines, regarde les pétales de roses qui s’élèvent. On peut se demander si elle a compris ce qui se passe ou non. Elle semble jeune et innocente, ce qui est d’autant plus tragique.

Ce groupe de femmes semble savoir ce qui se passe et s'en amusent.

Ce groupe de femmes semble savoir ce qui se passe et s’en amusent. Elles sont au spectacle. On voit clairement qu’elles rient et qu’elles parlent, probablement pour rire des victimes en contrebas.

L'Empereur regarde la scène avec à la fois beaucoup de condescendance et un plaisir à peine dissimulé.

L’empereur Héliogabale regarde la scène avec à la fois beaucoup de condescendance et un plaisir teinté d’ennui. Comme si même ses pires excentricités ne parvenaient plus à le distraire.

Aviez-vous remarqué cette femme à l'arrière-plan ? C'est une musicienne. Elle joue de la double flûte. Nous sommes bien à une fête, cela ne fait aucun doute.Aviez-vous remarqué cette femme à l’arrière-plan ? C’est une musicienne, drapé dans une peau de léopard. Elle joue de la double flûte. Nous sommes bien à une fête, cela ne fait aucun doute.

Vous allez me dire, c’est bien beau tout ça mais que se passe-t-il exactement ? Et bien exactement ce que vous osez à peine croire : les invités de la soirée vont être ensevelis et s’étouffer sous la masse de roses. Voilà ce que nous raconte ce tableau de Lawrence Alma-Tadema. Et en nous plaçant à hauteur de ces invités (à l’aide de la perspective que je vous montrais plus haut), l’artiste nous fait tout-à-coup réaliser – mais trop tard – que nous aurions été piégés nous aussi.

Mais le pire est de penser que cela n’est peut-être pas une fiction. Car si l’on peut penser que cela est invraisemblable, des historiens ont pourtant bel et bien raconté que l’empereur Héliogabale s’adonnait bien à ce genre de pratiques. Et à croire ces récits, il ne fut pas le seul.

Les roses d’Héliogabale : fiction ou réalité ?

L’histoire des roses d’Héliogabale est-elle vraie ou est-elle le fruit de l’imagination de Lawrence Alma-Tadema ? Encore une fois, il est difficile de démêler le vrai du faux. On sait notamment qu’Héliogabale, comme d’autres empereurs romains, portait une attention démesurée aux banquets. Le professeur Robert Turcan explique encore que l’empereur organisait des festins absolument mirifiques. Certains pouvaient compter « jusqu’à vingt-deux services » et il arrivait même que les plats soient jetés par les fenêtres ou saupoudrés et accompagnés d’objets précieux dans l’unique but de prouver l’immense fortune possédée par le souverain. De la poudre aux yeux car il n’hésitait pas, par exemple, à mentir sur le prix dépensé pour ces folies culinaires, l’augmentant sciemment, en disant que « ça excite l’appétit ». L’auteur ajoute aussi une anecdote qui va dans le sens de l’œuvre peinte par Lawrence Alma-Tadema :

guillemet« Comme Néron, il a des salles à manger à plafonds coulissants d’où brusquement s’effondre une masse de fleurs, violettes et autres espèces, qui asphyxient les malheureux convives, incapables d’émerger du tas en rampant… »

Robert Turcan, Héliogabale et le Sacre du soleil, 1985, Albin Michel, Paris, p.182.

Pas de roses, dans cette histoire, ou pas seulement, mais une masse de fleurs qui vient s’écraser sur les invités pour les asphyxier. C’est bel et bien ce que dépeint Lawrence Alma-Tadema. A priori, l’histoire serait donc vraie. En tout cas, elle fait partie de la légende de l’empereur Héliogabale.

Il faut dire que les roses et les fleurs en général furent particulièrement appréciées par l’empereur. Elles furent même, semble-t-il, assez indispensables à son bien-être. A ce sujet, Robert Turcan raconte que cela était surtout lié à la sensibilité de son odorat :

guillemet« Il est singulièrement et significativement sensible aux senteurs, “toujours assis parmi les fleurs et les parfums de prix” (Histoire Auguste). Ses salles à manger, ses portiques, ses lits de table sont jonchés de roses. On y trouve d’ailleurs aussi des lis, des jacinthes, des violettes ou des narcisses. Un jour qu’il a convié à déjeuner des personnalités éminentes du Sénat romain, le lit semi-circulaire est saupoudré de safran : “Le foin est à la mesure de votre dignité !” se plait-il à leur dire.
Ses piscines sont parfumées d’onguents, de safran, préparées au vin rosat ou bourrées de roses. Il y fait même verser du vin aromatisé à l’absinthe pour boire l’eau de son bain… Le nard embaume dans les lampes à huile du Palatin ou du palais Sessorien, pour que la lumière en soit de plaisante odeur. L’hiver, pour chauffer ses appartements, il fait brûler à foison des aromates de l’Inde. Il humecte ses couvertures d’essences de raisins sauvages qui enchantent ses rêves… On prétend qu’un jour il offrit au cirque des compétitions navales dans un bassin rempli de vin ! »

Robert Turcan, Héliogabale et le Sacre du soleil, 1985, Albin Michel, Paris, p.182.

 Si Lawrence Alma-Tadema choisit, quant à lui, de ne représenter que des roses c’est, dit-on, parce qu’il aimait particulièrement ces fleurs. On raconte d’ailleurs que pour l’élaboration de cette toile, l’artiste fit véritablement venir toutes ces roses de la Côte d’Azur. Or, l’on dénombre pas moins de 2000 pétales dans cette peinture !

guillemet« De plus, les roses étaient particulièrement prisées dans l’Angleterre victorienne pour leur beauté, mais aussi dans l’Antiquité où elles étaient associées à la symbolique amoureuse et aux extravagances des empereurs. A la fois épineuse et délicate, la rose confère au luxueux supplice d’Héliogabale un raffinement morbide. »

Florelle Guillaume, « Analyse d’oeuvre, Les Roses d’Héliogabale de Lawrence Alma-Tadema », in Beaux-Arts Magazine, Octobre 2013.

Vues en détail sur les roses peintes par Lawrence Alma-Tadema.
Vues en détail sur les roses peintes par Lawrence Alma-Tadema.

Malgré sa beauté, cette scène est donc terrible. Elle nous plonge dans les faux-semblants au cœur desquels vivait le jeune empereur Héliogabale. Un enfant-roi, adulé depuis son plus jeune âge, et auquel on ne refusait pas même les jeux les plus horribles pour peu qu’ils le divertissent. Il semble tout de même que cela ne fonctionnait pas aussi bien que prévu car le souverain semble à peine profiter du macabre spectacle. Mais comment satisfaire un enfant qui déjà a tout ce que certains adultes n’auront jamais au cours d’une vie entière ? Peut-on vraiment le blâmer ? N’est-ce pas plutôt la faute de ceux qui ont ainsi placé entre ses mains un pouvoir trop grand pour lui ? On comprend mieux, en tout cas, pourquoi il devint une icône du mouvement décadent à la fin du XIXème siècle. Et comme Lawrence Alma-Tadema semblait tenir à ce tableau, au point d’y introduire son autoportrait, on peut penser qu’il s’agissait, pour lui, également d’une satire déguisée visant sa propre époque. Ainsi, de la décadence de l’Empire romain à celle dont les artistes fin de siècle pensait qu’elle frappait alors leur temps, il n’y avait ici plus qu’un pas.


Cet article vous a-t-il plu ? Ou non ? Cette toile a-t-elle réussi à vous prendre au piège d’Héliogabale ? Dites-moi tout en commentaire ;)


Sources :
Exposition « Désirs & Volupté à l’époque victorienne », du 13 septembre 2013 au 20 janvier 2014, Musée Jacquemart-André, Paris.
Pralineries – Désirs et volupté à l’époque victorienne
France Inter – Désirs et volupté à l’époque victorienne
Cultur’elle – Désirs et volupté à l’époque victorienne, au musée Jacquemart-André

Un Jardin d’Eden au Japon : Floating Flower Garden

L’œuvre dont je vais vous parler aujourd’hui est actuellement exposée au Miraikan de Tokyo (Musée des Sciences et de l’Innovation) mais elle fait parler d’elle par-delà les frontières.

Il s’agit d’une installation du collectif TeamLab, un groupe d’artistes japonais connu pour concevoir des œuvres utilisant les technologies. Or, l’œuvre dont il sera question ici est un savant mélange d’art et de science.


Sommaire de l’article

Les jardins suspendus de Babylone, version XXIe siècle
Art + Technologie + Nature : Un jardin hydroponique
Suspendre des fleurs : Pourquoi ? Pour quel effet ?
Plus exactement, les fermes verticales, qu’est-ce que c’est ?
Des fleurs… pour nos tombes ?
Pourra-t-on vivre à jamais dans nos jardins suspendus ?
En savoir un peu plus sur TeamLab


Les jardins suspendus de Babylone, version XXIe siècle

Intitulée Floating Flower Garden (« Jardin de Fleurs Flottantes »), l’œuvre est une installation immersive : il s’agit d’une salle remplie de pas moins de 2300 fleurs. Le spectateur entre dans la pièce et, peu à peu, les fleurs s’écartent sur son passage, comme si elles se mettaient à flotter autour de lui. Une fois qu’il est passé, elles redescendent. Ainsi, le spectateur se retrouve comme dans une bulle fleurie. Un jardin d’Eden. Magique !

Mais la technologie utilisée dans cette oeuvre ne se résume pas seulement au système « intelligent » qui détecte les mouvements du spectateur pour faire monter ou descendre les végétaux. Ce qui est surtout intéressant, en fait, c’est que ces fleurs sont bien vivantes : elles continuent de pousser, de grandir grâce à un procédé mis en place par TeamLab.

Même si TeamLab a gardé ce procédé secret, on peut penser qu’il s’agit d’un procédé d’hydroponie. Oula ! Ne fuyez pas, je vous explique : c’est un système permettant de faire pousser des plantes en dehors de la terre. Un système qui, dit-on, était déjà utilisé à Babylone, au sein des mythiques Jardins Suspendus ! Et un système qui est peu à peu en train de refaire surface et de se faire connaître du grand public depuis que l’idée de créer des fermes verticales, en plein cœur des villes, fleurit un peu partout sur la planète (vous trouverez plus de détails sur les fermes verticales plus bas dans cet article).

Art + Technologie + Nature : Un jardin hydroponique

« Flowers and I are of the same root, the Garden and I are one »Les fleurs et moi avons les mêmes racines, le jardin et moi sommes un. ») annonce la vidéo qui permet de se rendre compte de ce que donne vraiment cette installation (voir ci-dessus). Autrement dit, le visiteur est appelé à venir se confondre avec la nature, à ne faire plus qu’un avec elle. Le message porté est clairement écologique : nous possédons des racines communes avec les fleurs parce que nous partageons la même terre, parce que nous naissons sur la même terre et parce que nous ne pouvons naître que sur cette terre. En ne protégeant pas les fleurs (et la nature, plus largement), c’est aussi notre propre vie que nous mettons en danger. Ou, en tout cas, celle de nos enfants.

Le message est éculé mais il n’y a pas de mal à le rappeler encore une fois. D’autant plus que l’installation du collectif TeamLab semble faire l’unanimité sur au moins un critère : elle est superbe. Photo tirée de la vidéo présentant l'installation Floating Flower Garden ("Jardin de Fleurs Flottantes") de TeamLab. Photo tirée de la vidéo présentant l'installation Floating Flower Garden ("Jardin de Fleurs Flottantes") de TeamLab. Photo tirée de la vidéo présentant l'installation Floating Flower Garden ("Jardin de Fleurs Flottantes") de TeamLab. Photo tirée de la vidéo présentant l'installation Floating Flower Garden ("Jardin de Fleurs Flottantes") de TeamLab. Photo tirée de la vidéo présentant l'installation Floating Flower Garden ("Jardin de Fleurs Flottantes") de TeamLab.

Suspendre des fleurs : Pourquoi ? Pour quel effet ?

On peut, en effet, se demander d’où nous vient cette envie de suspendre des plantes.

Comme je le disais, cette œuvre de TeamLab peut faire penser aux plus célèbres jardins suspendus du monde : ceux de Babylone. Nous avons tous déjà entendu parler de ces jardins fabuleux. Pourtant, on ignore encore aujourd’hui s’il s’agissait d’un mythe ou d’une réalité…

Pour la petite histoire : Le Roi Nabuchodonosor II (assez célèbre puisqu’il apparaît notamment dans l’Ancien Testament, rien que ça, je vous passe les détails), aurait fait ériger ces jardins pour rappeler à son épouse les montagnes verdoyantes de son lointain pays. Romantique à souhait, non ? Le problème, c’est que les archéologues n’ont pas encore retrouvé les vestiges de cette construction. Nous n’avons donc pas de preuve indéniable de son existence (ce qui n’est pas le cas pour d’autres Merveilles du monde Antique comme la Bibliothèque d’Alexandrie, par exemple, dont nous savons qu’elle a véritablement existé).

En fait, tout ce dont nous disposons, ce sont des documents antiques racontant des témoignages encore plus anciens dont nous n’avons, là, par contre, aucune trace écrite… Pour le dire plus simplement : Bidule a raconté que Machin avait vu ça et que c’était génial ! Vous me suivez ?

Et c’est finalement au philosophe Philon d’Alexandrie que nous devons la description des jardins restée la plus célèbre : « Le jardin qu’on appelle suspendu, parce qu’il est planté au-dessus du sol, est cultivé en l’air ; et les racines des arbres font comme un toit, tout en haut, au-dessus de la terre ». (Source : Georges Roux, Architecture et poésie dans le monde grec, Maison de l’Orient Méditerranéen,‎ 1989, p. 301)

A la fin du film d'animation Le Château dans le ciel de Hayao Miyazaki, le château n'est finalement plus qu'un immense arbre volant.
A la fin du film d’animation Le Château dans le ciel de Hayao Miyazaki, le château n’est finalement plus qu’un immense arbre volant.

Ca ne vous rappelle rien ? Personnellement, des racines qui feraient comme un toit au-dessus de ma tête, ça me rappelle sacrément l’oeuvre de TeamLab, juste au-dessus. (bon, ok, Philon parle d’arbres, et je vous parle de fleurs, mais y’a de l’idée !)

Bon, même s’il est assez peu probable que le Roi Nabuchodonosor II ait réussi à trouver des architectes/ingénieurs/magiciens pour faire voler des arbres façon Château dans le Ciel, la légende reste belle et elle a surtout beaucoup marqué les esprits. Il est tout de même plus probable que ces jardins étaient des terrasses, tout « simplement » (pas si simplement que ça, en fait, mais plus simplement que s’ils avaient dû faire voler des arbres, disons). Notons quand même que Babylone était une ville fantastique pour l’époque. Il suffit de voir la magnifique Porte d’Ishtar (ci-dessous), également construite sous le règne de Nabuchodonosor II, pour en juger. Si les jardins suspendus ont véritablement existé, il suffit de voir la splendeur de cette porte pour imaginer à quel point ils devaient être sublimes !

La porte d'Ishtar au musée de Pergame (Berlin) Construite en 580 av. J.C. à Babylone. La porte d'Ishtar est une des huit portes de la cité intérieure de Babylone. Cette porte est dédiée à la déesse Ishtar.
La porte d’Ishtar au musée de Pergame (Berlin)
Construite en 580 av. J.C. à Babylone.
La porte d’Ishtar est une des huit portes de la cité intérieure de Babylone. Cette porte est dédiée à la déesse Ishtar.

Vous allez me dire, c’est bien beau tout ça, mais pourquoi cherche-t-on à faire flotter des plantes, alors ?

Faire sortir les plantes de la terre et réussir à les faire pousser, à les maintenir en vie malgré tout, c’est un peu jouer au dieu tout-puissant. Parce que c’est parvenir à dépasser les lois de la nature et à en créer de nouvelles pour son propre intérêt.

En fait, si Nabuchodonosor II avait fait construire ses jardins suspendus pour son épouse, nous avons aujourd’hui l’envie de construire des fermes verticales dans un but beaucoup plus prosaïque : nous ne pourrons pas toujours nourrir les habitants des villes, de plus en plus nombreux, avec nos champs et notre agriculture actuels. Tout simplement parce que nous manquerons de place et de ressources nécessaires. L’idée des fermes verticales serait donc de faire pousser les champs en hauteur et non plus à l’horizontal. De fait, il faudrait donc faire sortir de terre les végétaux que nous voudrions y faire pousser. Et revoilà nos rêves de jardins suspendus !

Plus exactement, les fermes verticales, qu’est-ce que c’est ?

Représentation en 3D pour le projet "Paris Smart City 2050".
Représentation en 3D pour le projet « Paris Smart City 2050 ».
Exemples de fermes verticales imaginées par l’architecte Vincent Callebaut pour Paris (Porte d’Aubervilliers).

Ce sont des fermes dans des gratte-ciel ; des champs en plein cœur de la ville !

Le jardin suspendu n’est pas seulement beau, il est aussi très pratique : la terre pèse lourd tandis que le procédé hydroponique qui permet la création de tels « jardins » (ou de fermes entières) et dont je vous parlais plus avant, permet de s’en passer totalement. On gagne donc en place.

Ferme verticale imaginée par l'architecte Blake Kurasek, 2008.
Ferme verticale imaginée par l’architecte Blake Kurasek, 2008.

Une place qui nous manque de plus en plus ! Car si la population mondiale augmente d’année en année, la place au sol, elle, reste la même. Il faut donc de plus en plus penser notre monde à la verticale : quand on ne peut plus s’étendre sur la terre, il faut envisager de grimper vers les cieux qui, eux, ont l’avantage d’être potentiellement infinis. Cela vaut pour les habitations (les immeubles en tout genre, les buildings, les gratte-ciel) mais cela risque de valoir pour de plus en plus d’autres choses. Notamment pour l’agriculture : c’est l’idée des fermes verticales.

Les fermes verticales ont aussi pour vocation de rendre les aliments de demain plus sains. L’hydroponie permet aussi cela puisqu’elle permet de donner aux plantes ce dont elles ont besoin pour vivre et pour se développer au mieux sans avoir recours à tous nos pesticides et autres produits chimiques d’aujourd’hui.
Notons d’ailleurs que si les plantes poussent en intérieur, il devient possible de faire en sorte que les nuisibles n’y aient pas accès. Les pesticides deviennent donc inutiles.

Ferme verticale imaginée par l'architecte Blake Kurasek, 2008. Aperçu de ce qui pourrait être cultivé à l'intérieur, sur les différents niveaux.
Ferme verticale imaginée par l’architecte Blake Kurasek, 2008.
Aperçu de ce qui pourrait être cultivé à l’intérieur, sur les différents niveaux.

De plus, au procédé hydroponique s’ajoutent des études poussées sur la lumière. Car les plantes auront toujours également besoin de lumière pour vivre. Avec les recherches menées notamment sur les LED (qui consomment peu et durent longtemps), il devrait devenir possible de faire pousser toutes sortes de plantes, aussi exotiques soient-elles, partout dans le monde. Y compris dans des régions où il était jusqu’alors impossible de les faire pousser.
Résultat ? Moins d’importation et donc moins de pollution due au transport des marchandises ; moins de pertes, de gâchis liés au temps de conservation des aliments ; et aussi moins de produits chimiques censés, justement, allonger le temps de conservation des aliments. Et, au final, si tout va bien, un coût plus bas pour le consommateur puisque tout sera conçu sur place, à deux pas de chez lui.

Voilà, pour résumer, le projet fou des fermes verticales. Reste à voir si le futur en fera une réalité ou si elles resteront de pures utopies architecturales !

Des fleurs… pour nos tombes ?

Avec un résultat à la fois proche et bien différent, l’artiste Rebecca Louise Law est également connue pour ses installations de « fleurs suspendues ». Elle n’utilise pas de technologie dans ses œuvres mais elle parvient aussi à nous faire vibrer grâce aux couleurs et aux formes des bouquets qui viennent habiller les plafonds des différents endroits qu’elle investit (musées, églises ou salle de théâtre, par exemple). Après tout, quoi de plus naturellement artistique qu’une fleur ?

Toutefois, ses fleurs coupées ne sont pas sans rappeler les fleurs que l’on vient déposer sur les tombes. Or, le mythe Babylonien est certes, merveilleux, mais il n’en est pas moins trouble : la cité glorieuse a aujourd’hui complètement disparu, elle n’a pas su éviter son déclin malgré ses trésors, sa technologie, son savoir. Si nous devons donc nous inspirer de cette ville, à n’en pas douter, nous devons aussi nous souvenir qu’elle ne fut pas immortelle. Les oeuvres de Rebecca Louise Law peuvent aussi donner l’impression que les fleurs nous tombent dessus ; une averse de fleurs nous tombent sur la tête, tombe sur notre monde. Quel sens donner à cela ? Doit-on y voir un espoir ou, au contraire, le signe de notre fin ? « Les feuilles mortes se ramassent à la pelle », disait le poète.
Installation de Rebecca Louise Law Installation de Rebecca Louise Law Installation de Rebecca Louise Law Installation de Rebecca Louise Law Installation de Rebecca Louise Law

Pourra-t-on vivre à jamais dans nos jardins suspendus ?

Gulliver découvrant Laputa, la ville volante. Gravure de J.J. Grandville, vers 1856.
Gulliver découvrant Laputa, la ville volante.
Gravure de J.J. Grandville, vers 1856.

Essayons d’être plus clair.

Comme nous l’avons vu, la description des jardins suspendus de Babylone par Philon d’Alexandrie peut rappeller le Château dans le Ciel de Hayao Miyazaki. Ce dernier s’est lui-même inspiré de la cité volante de Laputa, inventée dans Les Voyages de Gulliver par Jonathan Swift (1721) pour imaginer ce château-arbre volant.

Or, l’histoire que Hayao Miyazaki raconte autour de cette ville volante réinvente le mythe d’Icare : à vouloir s’approcher trop près du Soleil, on finit par se brûler les ailes. Autrement dit, si nous parvenons à nous élever de plus en plus (au sens propre comme au figuré), n’oublions pas de prendre garde car, en cas de problème, la chute sera d’autant plus rude.

A moins qu’il n’y ait plus jamais de chute possible ? C’est  ce qui arrive aux habitants fictifs de Laputa : ils ne se considèrent plus vraiment comme des êtres humains puisqu’ils vivaient au-dessus de la terre : ils oublient que l’homme ne peut pas vivre à jamais séparé de la « terre nourricière ». « Les fleurs et moi avons les mêmes racines, le jardin et moi sommes un » disait la vidéo de TeamLab : si une fleur doit pousser dans la terre, nous aussi, d’une certaine façon.

Dans le Château dans le Ciel, on sait que les habitants finissent par disparaître. On ne sait pas s’ils sont tous morts ou s’ils ont un jour tous décidé de regagner la terre ferme. Ils n’étaient en tout cas plus capables de vivre sur cette île volante. Il faut dire qu’elle était devenue plus dangereuse pour eux (et pour les habitants d’en-dessous) que véritablement bénéfique.

Il s’agit de ne pas confondre besoin (nous devons construire des fermes verticales car nous allons manquer de place au sol) et envie, voire vanité (créons des fermes verticales car on peut le faire et c’est cool !).

Du coup, on peut en effet se demander si, à long terme, l’hydroponie sera viable. Pourra-t-on faire à jamais pousser des plantes dans des tours ? Seront-elles d’aussi bonne qualité que celles poussant dans la terre ferme ?

Pieds de bok choy (chou chinois) empilés verticalement sur 30 pieds de haut (un peu moins d'un mètre) dans une ferme urbaine de Singapour. Les légumes tournent sur un support en forme de A afin de leur assurer un éclairage uniforme.
Pieds de bok choy (chou chinois) empilés verticalement sur 30 pieds de haut (un peu moins d’un mètre) dans une ferme urbaine de Singapour.
Les légumes tournent sur un support en forme de A afin de leur assurer un éclairage uniforme.

A l’heure actuelle, les tours verticales restent de lointains rêves d’architectes. En effet, de tels bâtiments seraient actuellement trop coûteux à réaliser et à maintenir à flot (d’après The Economist). Pourtant, l’écologiste Dickson Despommier, qui est à l’origine et développe l’idée des fermes verticales depuis une décennie, n’en démord pas : pour lui, ces fermes vont devenir, dans les prochaines années, de plus en plus indispensables. En particulier dans des îles-villes comme Singapour, où la densité de population est telle et le manque de place tellement problématique, que l’importation est une absolue nécessité. Pour espérer devenir plus indépendant, des chercheurs de Singapour sont d’ailleurs déjà en train de développer des procédés de culture verticale, sur l’idée de Dickson Despommier. Nous sommes encore loin des tours entières mais ces plantes poussent déjà sur quelques mètres de hauteur !

En savoir un peu plus sur TeamLab

Voilà tout se qui se cachait, selon moi, derrière l’œuvre du collectif TeamLab. Je vous invite vivement à aller farfouiller sur leur site car la plupart de leurs installations sont vraiment belles ! Je vous partage, ci-dessous, quelques photographies qui en sont issues mais toutes les vidéos sont disponibles sur leur site. Vous verrez que leurs œuvres concernent souvent la nature, avec une poésie toute japonaise et des couleurs pop vraiment plaisantes et attrayantes. On y retrouve autant l’influence d’Hokusai que de Ghibli et de l’art manga en général. Leurs oeuvres sont des jardins de synthèse où, pourtant, tout est fait pour vous faire oublier la machine et vous transporter dans un monde plus beau ; dans un rêve.

Une des phrases qui accompagne leur oeuvre Flowers and People résume d’ailleurs assez bien cet article : « Flowers and People, Cannot be Controlled but Live Together » (« Les Fleurs et les Gens ne peuvent pas être contrôlés mais peuvent vivre ensemble. ») A méditer !


Cet article vous a plu ? Ou ne vous a pas plu du tout ? Vous avez quelque chose à ajouter, à corriger ? Tout simplement quelque chose à dire, un avis ? N’hésitez pas : les commentaires sont là pour ça ! :)

Et n’oubliez pas, « il faut cultiver notre jardin » disait Voltaire !

Sources :
Site officiel de TeamLab
Site officiel de Blake Kurasek
Urban Attitude, « Les fermes verticales, la révolution agroalimentaire est en marche », Octobre 2013

Bibliothèque universelle : pour le meilleur et pour le pire

Wouah.
J’étais pas très optimiste sur l’avenir de l’Humanité quand j’ai twitté ça. J’en ai même fait une faute bien moche. Mais pour quelle raison, me direz-vous ? Je vous raconte (si, si, j’insiste).

Je faisais une pause en attendant qu’une partie de ma peinture sèche pour repasser une couche supplémentaire (déjà là, on sent poindre l’histoire palpitante, avouez). Comme je le fais dans ces moments d’un intense intérêt, je surfais aléatoirement, allant d’un de mes onglets à un autre (j’ai toujours une infinité d’onglets ouverts, parfois pour des raisons tout à fait pertinentes… souvent parce que j’ai oublié de les fermer). Et voilà que je tombe sur un site, comme on en voit de plus en plus apparaître, regroupant tout un tas de captures d’écran issues de Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux. Le but ? Afficher la misère humaine qui se déchaîne allégrement sur ces plateformes. Les « Cassos du web » comme on les appelle parfois. Les « Kévin ». Les « boulets ».
Tellement de sites de ce genre fleurissent (je ne vous ferai pas l’affront de mettre des liens ici… ça pourrait les attirer) qu’on peut se demander si 90% des internautes ne sont pas de véritables trous d’b… abrut.. zut, flûte, comment le dire poliment ? Des cons. Des gros cons. Des gros cons finis (ou pas, parce que certains semblent continuer de creuser toujours plus profond).

C’est de cette constatation, et du fait qu’il était tard (ce qui engendre chez moi une mélancolie chronique toute particulière, me poussant généralement à twitter ou facebooker des choses pour le moins pessimistes, voire insultantes afin de me défouler), qu’est né ce tweet.

En fait, je me demandais de quoi auraient l’air les cours d’Histoire dans les siècles à venir. Imaginez, loin, très loin dans le futur, comment nos ancêtres qualifieront-ils notre époque ?

Partons du constat suivant : la Renaissance porte son nom parce qu’elle vient après le Moyen-Age. On considère qu’il y a « renaissance » après des siècles d’une sorte de parenthèse qu’on ne trouve pas très glorieuse : un âge « moyen », un âge « bof bof » quoi (ce qui se discute, comme je le disais dans un second tweet, car j’aime beaucoup le Moyen-Age et je ne suis pas la seule). D’ailleurs, je pense que si nous devions renommer ces périodes historiques aujourd’hui, beaucoup de gens plaideraient en faveur du Moyen-Age, pour qu’on le nomme autrement.

N’empêche, si on en reste à cette idée d’époque nommée « Moyen-Age » parce qu’elle ne nous semblait pas très folichonne, voire même carrément arriérée, obscurantiste, voire dégradante (ou dégradée, par rapport aux époques antérieures de l’Antiquité, réputées plus « riches » en découvertes, en savoirs, en progrès, etc.) qu’est-ce qui nous dit que nos ancêtres ne surnommeront pas notre époque « deuxième Moyen-Age » ? Après tout, nous sommes quand même l’âge qui a vu l’invention d’Internet et… voilà ce que nous en faisons : une grosse majorité d’internautes utilise cet outil pour faire de la merde, de la merde et de la merde vachement plus merdique que celle de son voisin.

Si vous ne trouvez pas ça « bof bof », vous…

Ne vous méprenez pas, hein, je suis la première à regarder des vidéos de merde (décidément, ce mot va se faire présent dans cet article, je le sens) sur Youtube. Je lis un nombre incalculable d’articles totalement inutiles, inintéressants, superflus (et encore, je fais partie des rares personnes qui lisent encore les articles et je rage sur les innombrables commentaires qui les suivent, systématiquement, et qui ne sont que des trolls à n’en plus finir, pleins d’une bêtise crasse). Je passe un temps fou sur Pinterest à collectionner des images virtuelles pour les coller dans mes albums virtuels. Et, en bonne fille qui se respecte, je me fous de la gueule de mes contacts Facebook en permanence, mais bien planquée derrière mon écran, afin de me convaincre (façon méthode Coué mais avec autant de classe que Cauet) que je réussis vachement mieux ma vie qu’eux et que je leur suis infiniment supérieure en tous points (c’te blague).

Bref, je suis en plein dans le moule. A la rigueur, ce qui me distingue un peu du reste des gens que je critique dans mon tweet, c’est que j’ai conscience qu’un truc va mal et ne tourne pas rond.

Parce que, soyons clair : Internet, qu’est-ce que c’est ? C’est une immeeeense bibliothèque infinie. Théoriquement, tout le savoir du monde est dans internet ou en passe de l’être. Et plus le temps va passer, plus ce savoir va s’accroitre (espérons) et, normalement, continuer à être placé dans l’Internet. Pour vous, moi, vos enfants, petits enfants, arrières-arrières-arrières petits enfants…

Bref. Nous sommes devant une sorte de bibliothèque infinie comme celle décrite par Jorge Luis Borges, par exemple.

la-bibliotheque-de-babel-470595Dans une nouvelle intitulée La Bibliothèque de Babel (1941), Jorge Luis Borges décrit une bibliothèque de taille gigantesque qui contiendrait tous les livres du monde : ceux qui ont déjà été écrits et ceux qui ne l’ont pas encore été.

Pour faire simple, l’histoire repose sur un procédé mathématique, ce qui fait que certains livres ne contiennent que des suites de caractères apparemment aléatoires. Pourtant, même si ça n’est qu’à un caractère près, aucun de ces livres n’est identique à l’autre. La Bibliothèque de Babel est donc, théoriquement, infinie et contient tous les livres déjà écrits ou qui pourront/pourraient l’être un jour (vous me suivez toujours ? Non, parce que si vous avez cligné des yeux en lisant ça, je suis sûre que je vous ai perdus).

Pour écrire cette nouvelle, Borges s’est inspiré du travail de Kurd Lasswitz et de son histoire intitulée La bibliothèque universelle (1904). Apparemment, l’idée d’une bibliothèque contenant tous les livres du monde leur plaisait donc bien. Qu’auraient-ils dit devant notre Internet ? Et surtout, devant l’utilisation que nous en faisons ? Probablement qu’il s’agissait là d’une des innombrables possibilités possibles, dans leur système mathématique soigneusement calculé… Enfin, ça, c’est pour la version optimiste. En fait, ils auraient sûrement pensé la même chose que beaucoup d’entre nous : « Putain, mais quelle bande de gros déchets sans cervelle. »

Jusqu’au 5 octobre 2014, le Colisée de Rome était justement le théâtre d’une exposition surnommée « La Bibliothèque infinie » et consacrée, comme l’indiquait son sous-titre aux « lieux du savoir dans le monde antique » (Source). Il faut dire que les civilisations antiques étaient très portées sur le progrès et les découvertes mais aussi sur la façon de collecter et regrouper tous ces savoirs. Ça n’est pas sans raison qu’une des Merveilles du Monde était alors la Bibliothèque d’Alexandrie. Pourtant disparue depuis des siècles, puisqu’on estime qu’elle fut détruite entre l’an -48 et l’an 642 (ce qui fait, tout de même, une sacré fourchette), elle reste aujourd’hui l’une des bibliothèques les plus célèbres au monde. A force d’avoir entendu des histoires à son sujet, nous pensons souvent que la Bibliothèque d’Alexandrie était forcément incroyable. Comment ne pas l’imaginer immensément grande ? Se dire que son architecture devait être magnifique ? Et, surtout, comment ne pas penser aux possibles trésors qu’elle renfermait et que nous avons perdus à tout jamais ? Plus qu’une bibliothèque, un mythe. Et pourtant, ni plus ni moins qu’une bibliothèque au final (ceci dit, comme à l’époque nos médiathèques de quartier étaient quand même nettement moins courantes, faut bien se l’avouer, ça devait en mettre vachement plus plein la vue). Bref, elle est devenue une sorte de bibliothèque infinie car elle s’est ancrée dans notre mémoire collective depuis des siècles et pour des centaines d’autres sans doute.

Pieter Brueghel l'Ancien, La Tour de Babel, Huile sur toile, 1,140mm x 1,550mm XVIe siècle (1563) Kunsthistorisches Museum Vienna (Autriche)
Pieter Brueghel l’Ancien, La Tour de Babel,
Huile sur toile, 1,140mm x 1,550mm
XVIe siècle (1563)
Kunsthistorisches Museum Vienna (Autriche)

Pause précision : En choisissant de nommer sa nouvelle La Bibliothèque de Babel, Borjes évoque directement l’histoire de la Tour de Babel.

Celle-ci fait l’objet de neufs versets dans la Bible. Elle raconte comment Dieu (ou Yahvé) aurait interrompu la construction d’une tour incroyablement haute.

Pour résumer simplement : après l’épisode du Déluge (je ne vous fais pas l’affront de vous le résumer, mais en gros : inondation monstrueuse, fin du monde, Arche de Noé…, vous voyez le topo ?), tous les hommes auraient décidé de s’installer dans la vallée de Shinéar (Irak actuelle). Là, ils auraient commencé à bâtir une ville et une tour si haute qu’elle devait toucher le ciel. Toutefois, la Bible raconte que Dieu interrompit la construction de cette tour avant qu’elle ne devienne le symbole de tous les possibles. Pour ce faire, il fit en sorte que les hommes, qui parlaient jusqu’alors tous la même langue, se mettent à parler plusieurs langues. Il les dispersa ensuite sur toute la surface de la Terre alors qu’ils vivaient tous dans la même vallée. Tous furent ainsi séparés les uns des autres, incapables de s’unir à nouveau car ils ne se comprenaient plus. (On pourrait dire que ce passage de la Bible illustre bien l’adage « Diviser pour mieux régner », mais ça n’est peut-être que mon humble avis…)

C’est ainsi, dit-on, que la multiplicité des langues et la dispersion des peuples sur la terre eurent lieu.

Pour les Chrétiens, l’épisode de la Tour de Babel est symbole d’hybris, c’est-à-dire d’un grand péché d’orgueil méritant le châtiment divin. En voulant toucher le ciel, les hommes se seraient élevés aussi haut que Dieu, ce qui, d’après les écrits bibliques, n’est pas envisageable (Dieu tout-puissant, tout ça, tout ça).

« Au XVIe siècle, le terme « Babel » devient un substantif qui désigne un lieu rempli de confusion. Aujourd’hui, il est un toujours utilisé dans ce sens, mais celui-ci s’est élargi vers une absence de communication, une construction démesurée, une entreprise vaine. »

Cette tour aurait véritablement existé, même s’il ne nous en reste que des ruines aujourd’hui. Ses restes se situeraient aujourd’hui dans la ville de Babylone en Irak. « De nombreux indices dans ce récit permettent de reconnaître Babylone, que les Hébreux ont vue durant leur longue captivité : Shinéar désigne la région de Sumer en Mésopotamie, et la tour est sans doute inspirée de la grande ziggurat de Babylone. Cette tour à étages à base carrée (observée et décrite par Hérodote, et dont les restes furent plus tard déblayés par Alexandre le Grand qui n’eut pas le temps de la reconstruire), était appelée l’Etemenanki,  »maison du fondement du ciel et de la terre ». Elle permettait au dieu babylonien Marduk de descendre parmi les hommes et au roi de s’élever jusqu’à la divinité. Les matériaux de constructions évoqués sont bien ceux qu’utilisaient les Mésopotamiens : dans cette plaine argileuse, ce sont les briques cuites qui servent à bâtir, et non la pierre. Le souverain de Babylone Nabuchodonosor II fit graver le souhait que la tour rivalise avec les cieux, et que son sanctuaire décoré de pierreries, au sommet, soit  »semblable aux signes inscrits au firmament ». »

Qu’elle ait véritablement existé ou non, la Tour de Babel tient aujourd’hui davantage du mythe et est inscrite dans notre inconscient collectif au même titre que la Bibliothèque d’Alexandrie, évoquée plus tôt dans cet article.

Source : Babel de la Bible à la littérature, CNDP-CRDP, Académie de Paris

En fait, il y a un truc avec les bibliothèques. Elles ont une sorte d’aura. Vous ne trouvez pas ? Bon, pas toutes. En particulier depuis qu’on essaye désespérément d’en faire des lieux soit-disant conviviaux comme si ça allait tout-à-coup redonner le goût de la lecture à tous les bambins du pays (MIRACLE §… Ah non, en fait). Pour ma part, j’aime les bibliothèques qui en mettent plein la vue ! Qui n’ont pas peur d’impressionner un peu les visiteurs qui osent s’y aventurer. Les vieilles pierres, les murs en bois, les parquets qui craquent et des rangées immenses et entières recouvertes de livres…! Ces bibliothèques-là, par exemple, ont une aura. Tandis que la médiathèque qui se trouve à côté de chez moi est… sympa (je l’aime bien, hein, elle est vraiment sympa mais elle n’a pas de charme particulier). Vous voyez ?

La Bibliothèque du 9e St-Rambert (Lyon) est pratique, à n'en pas douter. Elle a un look sympa, semble-t-il.
La Bibliothèque du 9e St-Rambert (Lyon) est pratique, à n’en pas douter. Elle a un look sympa, semble-t-il.
Cette Bibliothèque du Musée Condé (Domaine de Chantilly) est d'un genre totalement différent ! Deux siècles, environ, séparent sa construction et celle de la bibliothèque de Lyon (ci-dessus).
Cette Bibliothèque du Musée Condé (Domaine de Chantilly) est d’un genre totalement différent ! Deux siècles, environ, séparent sa construction et celle de la bibliothèque de Lyon (ci-dessus).
Cabinet Royal Portugais de Lecture (Biblioteca Real - Gabinete Portugues de Leitura), Rio de Janeiro, Brésil fondé en 1837 De style néogothique, elle contient plus de 350 000 livres anciens dont certains datent des XVe et XVIe siècles. (Classée 2e plus belle bibliothèque au monde par un site BuzzFeed)
Cabinet Royal Portugais de Lecture (Biblioteca Real – Gabinete Portugues de Leitura),
Rio de Janeiro, Brésil
fondé en 1837
De style néogothique, elle contient plus de 350 000 livres anciens dont certains datent des XVe et XVIe siècles.
(Classée 2e plus belle bibliothèque au monde par un site BuzzFeed)
Ce projet virtuel réalisé dans le cadre du concours International de la bibliotheque de Stockholm par l'Agence D3 architectes, a de faux airs de bibliothèque infinie. Non ?
Ce projet virtuel réalisé dans le cadre du concours International de la bibliotheque de Stockholm par l’Agence D3 architectes, a de faux airs de bibliothèque infinie. Non ?

Notre façon de construire nos bibliothèques, de les aménager, dépend de notre relation aux livres. C’est pourquoi ces lieux ont évolué avec le temps et qu’ils seront sûrement amenés à changer encore avec le développement des livres numériques, par exemple.

De nos jours, le livre est devenu un bien de consommation courante. Il n’y a pas encore si longtemps, il était plus rare de pouvoir posséder des livres (soit parce qu’on ne pouvait pas se les offrir, soit parce qu’on ne pouvait tout simplement pas les lire). C’est surtout au XIXe siècle que le livre s’est véritablement démocratisé. En France, nous pouvons notamment remercier pour cela Jules Verne et, surtout, son éditeur, Pierre-Jules Hetzel. Ce dernier est également l’éditeur de Victor Hugo et a travaillé avec Balzac, George Sand ou encore le dessinateur Grandville. Aujourd’hui, les couvertures des romans publiés par Hetzel sont encore célèbres et, sans le savoir, vous en avez peut-être déjà croisé des reproductions pour une raison ou une autre ! (Je consacrerai peut-être un article à ce phénomène, mais je vous invite à regarder quelques exemples ci-dessous, en attendant.)

En se consacrant à la publication de livres pour la jeunesse, à une époque où l’éducation ouvre peu à peu ses portes à un nombre grandissant de jeunes gens, Hetzel participe à faire en sorte que nous puissions tous, aujourd’hui, considérer les livres comme des objets du quotidien. Un simple fait qui a une importance incommensurable, si vous y réfléchissez deux minutes !

Pour en revenir à nos bibliothèques, sachez que le thème de la bibliothèque sans fin ou infinie a même su s’inscrire dans la culture pop. Preuve de son attrait. La série Doctor Who en a proposé sa propre version, par exemple.
Je garde, pour ma part, un excellent souvenir de ce double épisode de la série anglaise. Il m’a vraiment marqué.

Dans la quatrième saison (de la deuxième série, je précise pour les fans hardcore), le Docteur et son compagnon (Donna Noble) arrivent au 51e siècle sur une planète qui n’est qu’une immense bibliothèque. Partout. Toute la planète. Un peu comme si la Terre n’était qu’une bibliothèque à perte de vue. Vous voyez un peu le délire ? (Personnellement, j’adore l’idée **)

Capture d'écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)
Capture d’écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)

Tous les livres qui aient jamais été écrits sont répertoriés dans cette bibliothèque tout à fait hallucinante. « Ceux de Jeffrey Archer, Bridget Jones, Le Grand Livre rouge des Monthy Python, les dernières parutions, éditions spéciales » énumère en plaisantant David Tennant, dans son rôle de Docteur so british. Mais oui, théoriquement, ceux-là y sont. Entre autres.

Capture d'écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)
Capture d’écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008) : Vues extérieures de la bibliothèque (où l’on peut malgré tout voir des livres, tant tout l’espace de la planète semble avoir été aménagé pour les recevoir).
Capture d'écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)
Capture d’écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008) : Aperçu d’une partie de l’intérieur de la bibliothèque, avec ses étagères couvertes de livres sur plusieurs étages.

La bibliothèque est tellement grande qu’on s’y déplace en monorail suspendu (d’une certaine façon, so Steampunk, pour le coup, ce qui n’est pas pour me déplaire) ! Quant aux arrêts, ce sont les différentes sections de la bibliothèque (je vous laisse admirer mes superbes captures d’écran, d’un qualité d’image fabuleuse…).

Capture d'écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)
Capture d’écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008) : Aperçus du monorail qui zèbre la bibliothèque et doit permettre à ses usagers de pouvoir la parcourir en long, en large et en travers de façon rapide et efficace (encore que s’il s’agit vraiment d’une planète entière, recouverte d’une bibliothèque, on peut se demander si l’avion n’aurait pas été plus rapide… Ou alors ce monorail est très très rapide lui aussi. Nous sommes au 51e siècle après tout.)
Capture d'écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)
Capture d’écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008) : Aperçu d’un des arrêts du monorail, menant à la section « Xeno Biology Art » de la bibliothèque.

Est-ce que ce type d’installations gigantesques sera un jour créé ? Hautement improbable. Même si on peut penser que notre civilisation gardera encore un moment le besoin de transcrire son savoir de façon tangible (sur du papier, quoi), il y a fort à parier que nous finirons (malheureusement) par passer, tôt ou tard, au tout numérique, au tout virtuel.
Cela dit, en attendant que cela se produise, il nous faudra forcément agrandir nos bibliothèques. Toujours plus de livres, en de plus en plus d’exemplaires, pour lesquels il nous faudra toujours plus de place.
De là à recouvrir une planète entière… L’idée est romantique mais c’est à peu près tout. Et puis, sans vous vendre la mèche si vous n’avez pas vu ce très bon double-épisode, ça ne finit pas forcément très bien dans Doctor Who.

En cherchant des informations sur la bibliothèque infinie (et donc impossible à représenter) de Borges, il n’est pas rare de tomber sur les oeuvres de Maurits Cornelis Escher (M.C. Escher). Notamment sur une de ses gravures les plus célèbres, Relativité de 1953. Une lithographie que tout le monde a déjà vu au moins une fois dans sa vie tant elle est célèbre et qui est une merveille d’illusion d’optique comme cet artiste savait si bien les réaliser.

M.C. Escher, Relativité Gravure, Lithographie, 1953 294 x 282 cm
M.C. Escher, Relativité
Gravure, Lithographie, 1953
294 x 282 cm

Là encore, c’est un procédé finalement très mathématique qui est utilisé pour représenter l’espace. Et le résultat est aussi impossible à vivre réellement que la Bibliothèque de Babel de Borges.

En fait, avec la nouvelle de Borges, nous sommes dans quelque chose que notre esprit n’est pas capable de se représenter. Ou alors, pas sous une forme simple. Pourtant, Lorenzo Soccavo, chercheur indépendant en prospective du livre et de la lecture à Paris, n’hésite pas à comparer l’idée de cette bibliothèque à quelque chose de bien tangible de nos jours : les data-centers qui abritent notre cher Internet. Il écrit :

guillemet« La Bibliothèque de Babel n’est pas aujourd’hui sans nous rappeler les gigantesques data-centers des géants de l’électronique mondiale et de l’entertainment réunis, où chaque « livre » numérique est une infinie suite de 0 et de 1. »

Lorenzo Soccavo, « Des sources imaginaires de la prospective du livre », 1er juillet 2013 (Source)

En fait, ce ne sont plus seulement nos livres qu’Internet abrite mais tout ce que nous écrivons (sous une forme ou une autre, car les données restent finalement des écrits, même si elles forment finalement une vidéo ou une image au final, par exemple). Le pire comme le meilleur.

Dans Doctor Who, c'est plutôt cette chère River Song qui nous dirait "Spoilers !" avec un petit sourire énigmatique.
Dans Doctor Who, c’est plutôt cette chère River Song qui nous dirait « Spoilers ! » avec un petit sourire énigmatique.

Toutefois, contrairement à la Bibliothèque de Babel, nous ne trouvons pas encore sur Internet ce qui n’a pas encore été écrit mais pourrait l’être. Et heureusement. Parce que le meilleur comme le pire serait d’autant plus démultipliés et surtout parce que, comme le dirait le Docteur : SPOILERS !! Autrement dit, chaque chose en son temps et ne jouons pas les Nostradamus.

Paradoxalement, même si je vous parlais de bêtise humaine au début de cet article, qu’est-ce qui se cache derrière cette idée de la bibliothèque infinie ? L’envie de tout connaître, de tout savoir. C’est une soif d’apprendre absolument faramineuse. Et j’avoue que, pour ma part, j’ai déjà rêvé de posséder, ne serait-ce qu’un instant, tout le savoir du monde. De quoi cela aurait-il l’air ? Est-ce que ce serait humainement possible ? Probablement pas. Ca rendrait fou n’importe lequel d’entre nous, sans nul doute. Pourtant, à l’idée de pouvoir répondre à toutes les questions possibles et imaginables, j’en ai des frissons dans le dos, à la fois d’envie et de terreur.

Mon copain avait ce gif comme avatar sur un forum, il y a quelques années. Je l'ai toujours trouvé très parlant.
Mon copain avait ce gif comme avatar sur un forum, il y a quelques années (spéciale kassdédi à lui qui corrige tous mes articles dans l’ombre, je te mets trois coeurs <3<3<3). Je l’ai toujours trouvé très parlant sur notre relation amour-haine avec le web. (désolée pour les âmes sensibles, si cela existe encore)

« Grandeur et misère de l’homme » résumait parfaitement Blaise Pascal dans ses Pensées. Grandeur dans certains de ses rêves et aspirations. Misère, la plupart du temps, dans la plate réalisation de sa vie. Pourtant, si notre bibliothèque infinie qu’est Internet doit un jour tout contenir, elle se doit d’enregistrer à la fois ces deux aspects de nous. Aussi frustrant que cela puisse l’être au quotidien (avouez que certains internautes nous donnent parfois des envies de meurtre bien sanglant, bien sale, bien plein de viscères éclatés partout sur les murs).

Est-ce que nos futurs descendants, dans je ne sais combien de siècles, diront de nous que nous vivions un deuxième Moyen-Age ? Peut-être. Cela voudra dire qu’une deuxième Renaissance nous aura suivis. Dans ce cas, quand même, vivement qu’elle se pointe !


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