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Coup de foudre à Urbino

Piero della Francesca, Portraits of Federico da Montefeltro and His Wife Battista Sforza, 1465-66
Piero della Francesca Portraits of Federico da Montefeltro and His Wife Battista Sforza Tempera on panel, 47 x 33 cm (each) 1465-66

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Voici le diptyque d’Urbino de Pierro della Francesca. Il s’agit d’un double portrait en médaille, aujourd’hui conservé au musée des Offices à Florence en Italie (sans doute un des plus beaux musées au monde, d’ailleurs, mais passons). Vu comme ça, ce tableau peut paraître bien classique ; il s’agit d’un homme et d’une femme qui, de toute évidence, n’ont jamais obtenu le premier prix de beauté (et vous ne croyez pas si bien dire !), rien de plus. Et, très franchement, c’est exactement ce que je me suis dit lorsque ce tableau m’a été présenté en cours il y a quelques années.

Alors, quoi ? Qu’est-ce qu’il a de particulier, ce tableau ?

Son histoire !
Et j’ai été totalement bouleversée par l’histoire de ce tableau, lorsqu’elle m’a été présentée en première année de Licence en Arts Plastiques. Mon professeur avait alors l’art et la manière de raconter les histoires. Et avec celle-ci, il a fait mouche sur moi.
En effet, ce tableau possède une histoire tout à fait particulière et, pourtant, à cause de son apparente banalité, bien des visiteurs des Offices de Florence passe devant lui sans lui prêter la moindre attention (et pour cause, pour les connaisseurs – et les autres aussi, d’ailleurs – parce que ce musée regorge de tableaux à voir et de véritables petites merveilles picturales).

Nous pouvons y voir le Duc et la Duchesse d’Urbino. Urbino (Urbin, en français) est une commune de la province de Pesaro et Urbin dans les Marches en Italie. Une très ancienne commune, s’il en est, car elle existait déjà au XVe siècle (Quattrocento). A l’époque où a été peint ce tableau, les deux protagonistes de ce tableau régnaient donc sur ce duché italien.

Le Duc (Federico da Montefeltro) était une sorte de mercenaire de l’époque. Il avait sous ses ordres une grande armée qu’il mettait au service du plus offrant. C’est ce qui lui a valu ce physique un peu ingrat, qui nous amène à la première petite histoire propre à ce tableau : il faut savoir que l’on avait pour habitude de placer l’homme à gauche et la femme à droite, dans ce type de portrait. Or on constate ici que le Duc a été sciemment placé à droite. Pourquoi ? Parce que son œil droit (caché sur cette peinture) avait été énucléé lors d’un combat. Pour l’anecdote, il semblerait aussi que le peintre l’ait coiffé d’un chapeau pour cacher sa calvitie quelque peu avancée (on n’avait pas encore inventé Photoshop mais on avait déjà le goût de la chose, vous voyez)…

Quant à la Duchesse (Battista Sforza), elle était fille de banquier. C’est à 14 ans qu’elle épousa le Duc alors qu’il avait déjà 38 ans. On mariait les jeunes filles très tôt à l’époque car il y avait peu de chance qu’elles survivent bien longtemps. Elles mouraient le plus souvent en couche. Seulement, malgré son jeune âge, son éducation avait fait d’elle une fille d’une rare intelligence ; elle gérait, en effet, toute l’économie du duché (bon, et puis, elle lisait le latin, composait de la poésie,… une fille toute à fait normale pour l’époque, prenez-en de la graine mesdemoiselles ! :p).

Nous en sommes donc là : voilà une jeune fille de 14 ans vouée à pondre quelques mômes et à mourir pour les beaux yeux de son guerrier de mari (ou le bel oeil, plus exactement, puisque nous avons vu que le monsieur en avait déjà perdu un…) de 24 ans son ainé… Une belle histoire en perspective ? C’était un peu mal barré, me direz-vous.
Honnêtement, on y croit pas une seconde, n’est-ce pas ? Je veux dire, un film sur le sujet ne pourrait être que français (ouf, on va encore me taper dessus). Genre drame sur la vie de l’un et de l’autre. On devine déjà les conquêtes du grand méchant Duc et le dévouement absolu de la Duchesse à Dieu, acceptant son rôle et son sort sans même se poser de question…
Et bien non. En réalité, nous serions plutôt en face d’un drame, certes, mais bien un drame romantique. Le genre à la mode, en ce moment. L’amour impossible. L’amour éternel. Les vampires en moins mais on pourrait quand même parler de Twilight de l’époque (bon, en moins glamour, je vous l’accorde, RPatz et sa copine ont quand même des tronches plus agréables à regarder, hein, bon, mais pour l’époque, disais-je… et pour une histoire vraie, surtout !) ou encore, puisqu’on en est là, d’un amour à la Roméo et Juliette, qui va au-delà de la mort !

Et oui, et oui, et oui… Comment se douter qu’un tel tableau cache un drame Shakespearien ? Et pourtant…

En 1472, donc, la Duchesse tombe malade. Le Duc est alors parti au combat et on lui demande de rentrer au plus vite car elle ne survivra plus bien longtemps. Il s’exécute mais, malheureusement, arrive trop tard… (musique dramatique à l’américaine, faites un petit effort d’imagination, c’est tragique, vous pouvez même verser votre petite larme). Et son chagrin est très grand. Et oui, il aimait beaucoup sa femme. Il va donc passer une commande de portrait au peintre Pierro della Francesca. Il va commander ce portrait en médaille qu’il installera dans son studiolo (nom italien donné à un petit cabinet de travail). Un portrait un peu particulier car, contrairement à ce qui est aujourd’hui le cas, il ne sera pas encadré mais présenté à la manière d’un livre (je dis ça car il dispose aujourd’hui, au musée des Offices où il est en exposition, d’un cadre doré assez tape-à-l’oeil qui fausse complètement la forme initiale de l’objet et que vous pouvez d’ailleurs voir ci-dessus)… Ainsi, une fois refermé, les deux portraits se touchaient, s’embrassaient. Une façon symbolique de sceller leur amour, leur union d’autant plus que dépliées aussi, les peintures leur permettent de se regarder à jamais.

Le Duc ne se remariera jamais. Ce qui était très peu courant pour l’époque. Pas même pour donner une nouvelle mère à son fils.

Plus glauque : le Duc a ici été peint de son vivant mais ce n’est pas le cas de la Duchesse, qui était déjà décédée. Ainsi, on ne peut que constater la pâleur excessive de son visage (et ce même si le maquillage de l’époque voulait que le visage des femmes soit poudré à outrance). Le Duc fait face au cadavre de sa femme. Une femme a qui on a fait revêtir une coiffure de mariage (et oui, il y avait des coiffures spécifiques pour chaque occasion ou presque, à l’époque, mais je reviendrai peut-être là-dessus une autre fois).

Voilà. Dernière anecdote : à l’arrière de ces deux panneaux, on peut voir deux autres peintures (voir ci-dessous), représentant encore le Duc et la Duchesse, sur deux chars de triomphe allant à la rencontre l’un de l’autre. Ils sont entourés d’allégories diverses (par exemple, la Justice et d’autres). C’est sur ces peintures que l’on peut le mieux constater à quel point la Duchesse a bel et bien l’air morte. Son teint est livide et elle peut sembler effrayante. Son char est d’ailleurs tiré par des animaux fantastiques, contrairement à celui de son époux. Quant au Duc… il est présenté, cette fois, fièrement vêtu de son armure et son profil est celui de son œil énucléé. Et c’est souvent cette partie du tableau et ce genre de détails qui attirent le plus de spectateurs.

Bref…
Joyeuse Saint Valentin :)

Portraits of Federico da Montefeltro and His Wife Battista Sforza (reverse sides)

Piero della Francesca
Portraits of Federico da Montefeltro and His Wife Battista Sforza
(reverse side)
Tempera on panel, 47 x 33 cm (each)
1465-1466

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Le Louvre Lens et sa galerie du temps

Léonard de Vinci, La Vierge, l'Enfant Jésus et sainte Anne 1503 - 1519, Huile sur bois, 168 x 130 cm Musée du Louvre, Paris
Léonard de Vinci, La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne
1503 – 1519, Huile sur bois, 168 x 130 cm
Musée du Louvre, Paris

Comme vous le savez peut-être, le Louvre vient de s’exporter à Lens, tout près de chez moi. Autant vous dire que je suis joie et bonheur, d’autant plus que de nombreux chefs-d’œuvre ont été transportés dans ce nouveau musée, pour l’occasion (notamment, le tableau représentant Saint-Anne, Marie et Jésus de Léonard de Vinci, qui m’a toujours fasciné, ou encore La Liberté guidant le peuple de d’Eugène Delacroix, ainsi que des œuvres datant de l’Egypte Ancienne dont je suis une grande admiratrice depuis ma plus tendre enfance).

François Boucher, Le Nid, dit aussi Le Présent du berger Huile sur toile, 110 x 158 cm, Louvre-Lens
François Boucher, Le Nid, dit aussi Le Présent du berger
Huile sur toile, 110 x 158 cm,
Louvre-Lens
Statuette, dite "l’Adorant de Larsa", représentant le roi Hammurabi de Babylone en prière devant le dieu Amurru  Origine : Larsa, Mésopotamie (Irak actuel) Vers 1760 avant J.C.
Statuette, dite « l’Adorant de Larsa », représentant le roi Hammurabi de Babylone en prière devant le dieu Amurru
Origine : Larsa, Mésopotamie (Irak actuel)
Vers 1760 avant J.C.

Mais le Louvre-Lens s’ouvre surtout sur une particularité à nul autre pareil et c’est ce qui est d’autant plus intéressant, pour moi, dans ce nouveau musée. La façon dont il a été conçu est novatrice et elle risque d’en dérouter plus d’un car les œuvres ne sont pas présentées de la même façon que dans les autres musées des Beaux Arts.
Je vous dis cela car j’ai eu l’occasion de discuter avec des visiteurs de ce musée et il est intéressant de constater que tous avaient été troublés par cette disposition et la plupart ne l’avait pas comprise ! Parmi ces visiteurs, il y avait pourtant des étudiants en Arts ou en Histoire qui avaient l’habitude de visiter des musées assez différents les uns des autres.

C’est pourquoi j’ai envie de vous présenter un peu le fonctionnement et l’intérêt de la présentation des œuvres au Louvre-Lens !

La Galerie du Temps

Le Louvre-Lens fonctionne autour d’une grande galerie principale, surnommée « La galerie du temps ». A travers elle, on chemine entre les œuvres de toutes les époques et l’on peut constater quelle a été l’évolution de l’Art et, avec elle, celle de l’Humanité à travers le temps.

Raphaël, Portrait de Dona Isabel de Requesens, vice-reine de Naples (1509-1522), dit autrefois Portrait de Jeanne d’Aragon Vers 1518, Peinture à l'huile, 95 x 120 cm Louvre-Lens
Raphaël, Portrait de Dona Isabel de Requesens, vice-reine de Naples (1509-1522), dit autrefois Portrait de Jeanne d’Aragon
Vers 1518, Peinture à l’huile, 95 x 120 cm
Louvre-Lens

Raconter notre Histoire à tous

La déesse Bastet sous sa forme de chatte Origine : Egypte Vers 650-350 avant J.C.
La déesse Bastet sous sa forme de chatte
Origine : Egypte
Vers 650-350 avant J.C.

Quel est l’intérêt de la Galerie du Temps ?
On commence le voyage avec des œuvres de l’époque sumérienne. Autant vous dire que, depuis, les conditions de vie (sociales, politiques, théologiques, philosophiques…) ont considérablement évolué ! Or, au Louvre (celui de Paris) comme dans la plupart des autres musées des Beaux Arts, les œuvres sont habituellement séparées, classées par périodes, par mouvements artistiques, voire par pays d’origine. Cela ne permet pas de constater efficacement l’évolution globale qu’a connu l’Humanité.

Elle est pourtant bien visible dans une galerie comme celle imaginée au Louvre-Lens. Cela nous permet notamment de mieux comprendre le monde dans lequel nous évoluons aujourd’hui et de constater à quel point notre histoire est commune.

Lambert Sustris, Vénus et l'Amour, Vers 1550 Huile sur toile, 132 x 184 cm Louvre-Lens
Lambert Sustris, Vénus et l’Amour, Vers 1550
Huile sur toile, 132 x 184 cm
Louvre-Lens

Bref. Voilà une très bonne idée qui, j’espère, saura toucher un large public autant que moi !

Voici quelques photographies de cette fameuse galerie :


Sources :
Site Officiel du Louvre-Lens

Jason de Caires Taylor : L’Atlantide sculptée

Aujourd’hui, j’aimerais vous parler des oeuvres de Jason de Caires Taylor.

    Jason deCaires Taylor entouré de ses sculptures avant qu'elles ne soient immergées.
Jason deCaires Taylor entouré de ses sculptures avant qu’elles ne soient immergées.

Cet artiste anglais réalise des sculptures qui sont ensuite immergées  dans ce qu’il appelle parfois des parcs à sculptures sous-marines (underwater sculpture park).
Il fonde le premier de ces parcs en 2006, dans les Antilles. Un parc que National Geographic répertorie parmi les 25 merveilles du monde actuel.
Sa dernière création, surnommée MUSA (Museo de Arte Subacuatico ou, en français, Musée d’Art Sous-marin ou Subaquatique), est un musée monumental regroupant plus de 500 de ses sculptures. Il se situe au large des côtés de Cancun au Mexique et le magazine Forbes le décrit comme l’une des destinations de voyages les plus uniques au monde.

Ces créations sont d’abord conçues sur la terre ferme, bien évidemment, puis elles sont placées sous l’eau afin de devenir de véritables sanctuaires de la vie marine.

Il faut dire que Taylor est non seulement un artiste (il est diplômé de l’Insitut des Arts de Londres, spécialité sculpture) mais il a également été instructeur de plongée sous-marine. Ce second métier lui a valu d’être primé pour ses photographies sous-marines.
C’est d’ailleurs essentiellement grâce à des photos sous-marines que nous pouvons découvrir ses sculptures immergées aujourd’hui.

Comme on peut le constater sur certaines de ses photographies, le corail, notamment, se développe avec plaisir sur ces statues.
Aussi, l’image est très belle ; elle nous montre une réconciliation symbolique entre l’homme et la mer ; entre l’homme et la nature. Ca n’est plus l’homme qui exploite la mer, ici, c’est la mer qui utilise l’homme, de façon naturelle, pour continuer à exister et à se développer.

The Silent Evolution Profondeur 8m, MUSA Collection, Cancun/Isla Mujeres, Mexico.
The Silent Evolution
Profondeur 8m,
MUSA Collection, Cancun/Isla Mujeres, Mexico.

La ronde de statues me semble particulièrement parlante et forte. En effet, n’oublions pas que l’eau a été notre première mère ; c’est dans l’eau que les premières formes de vies primitives de notre planète se sont développées. Immerger des statues de cette façon, c’est un peu revenir aux sources ; cette fois, c’est la mer – ou, plus exactement, tout son écosystème – qui peut se nourrir en « s’agrippant » à ces corps sculptés et y vivre.

Le travail de cet artiste est à la fois très poétique et très efficace. Et il a le mérite de marquer les esprits. De fait, n’est-il pas étrange, voire perturbant, de voir ces corps immergés dans l’eau ? L’image est marquante, troublante. Ces corps sont tellement différents les uns des autres, qu’on pourrait croire que l’artiste a statufié de véritable humains avant de les plonger dans l’eau.

Corps pétrifiés de victimes de l'irruption du Vésuve à Pompei (79 ap. J.C.).
Corps pétrifiés de victimes de l’irruption du Vésuve à Pompei (79 ap. J.C.).

La première fois que j’ai vu les œuvres de cet artiste, j’ai aussitôt pensé au drame de Pompei et aux habitants de la ville, littéralement pétrifiés par les chutes de pierres ponces et les nuées ardentes provoquées par l’irruption du Vésuve. La ressemblance est intrigante.

Corps pétrifié d'une victime de l'irruption du Vésuve à Pompei (79 ap. J.C.).
Corps pétrifié d’une victime de l’irruption du Vésuve à Pompei (79 ap. J.C.).
Corps pétrifié d'une victime de l'irruption du Vésuve à Pompei (79 ap. J.C.), ainsi que différents objets de l'époque, également statufiés.
Corps pétrifié d’une victime de l’irruption du Vésuve à Pompei (79 ap. J.C.), ainsi que différents objets de l’époque, également statufiés.

Mais l’oeuvre de Jason deCaires Taylor n’est pas non plus sans rappeler le mythe de l’Atlantide. Ses sculptures donnent l’impression qu’une ancienne civilisation a été engloutie après avoir été statufiée. Ses restes formeraient aujourd’hui un abri pour l’écosystème aquatique.

A partir de là, il devient possible d’imaginer que ces oeuvres sont l’allégorie de l’histoire de la vie (LE CYCLE EEETERNEEEEL… hum.) : la boucle est bouclée quand les formes de vie aquatiques se mettent à envahir les corps immergés pour vivre et se développer. Théoriquement, sur le très long terme, ces formes de vie pourraient évoluer, grandir, se transformer et devenir, à leur tour, des sortes d’êtres vivants plus complexes, comme ceux que nous sommes aujourd’hui. Mourant à leur tour, elles pourraient devenir les garde-manger des futurs formes de vie primitives, et ainsi de suite.

Holy Man Profondeur 5m,  MUSA Collection, Punta Nizuc, Mexico.
Holy Man
Profondeur 5m,
MUSA Collection, Punta Nizuc, Mexico.

Une fois immergée, les sculptures sont peu à peu envahies par la vie sous-marine, qui s’y développe comme elle le souhaite. Parfois, l’artiste lui donne un petit coup de main, en creusant ses œuvres d’une certaine manière, comme avec son Holy Man.

Au final, ses œuvres se colorent de coraux verts, roses, violets. Autour d’elles, des poissons multicolores passent également. L’ensemble grouille d’une vie nouvelle qui, elle, est naturellement belle et artistique.

D’ailleurs, Jason deCaires Taylor a aussi réalisé sa version de La Cène (The Last Supper). Je le signale car j’ai réalisé un article sur les différentes représentations de la Cène ;)

Bref, je crois que c’est une œuvre qu’il faut montrer et expliquer aux enfants car c’est sûrement eux qui auront le devoir d’inverser nos terribles habitudes de vie, un jour. Une œuvre comme celle-ci pourrait bien les inspirer en ce sens.


Site web de l’artiste : http://www.underwatersculpture.com/