J’ai eu la chance de me rendre dans le 13ème arrondissement de Paris cette semaine (merci pour la découverte à mes accompagnateurs ! ♥) et je suis littéralement tombée amoureuse de deux gigantesques fresques ornant les façades de deux tours du quartier.
Stew, Héron Bleu / Pantónio, Tourbillon de sardines Fresque murale, Street art, 2014 Photo de Alain Delavie Tour Tivoli et Tour Sienne, Place Vénétie, Paris 13e (75)
Derrière ces deux œuvres se cachent deux artistes du street art : l’un s’appelle Stew. Il est français mais puise son inspiration au Pays du Soleil Levant (bon, nous sommes là dans le quartier chinois… ça se tient un peu quand même, non ?). Dans le 13ème, c’est une gigantesque grue(l’oiseau, hein ! Une sorte de héron, si vous préférez) qu’il a peint sur la tour Tivoli de la place Vénétie. Une oeuvre qui aura demandé pas moins de trois mois de travail ! Pour un résultat qui n’est pas sans rappeler les estampes japonaises et qui est de toute beauté.
L’autre artiste s’appelle Pantónio, il est portugais et avec ses 66 mètres de hauteur et ses 15 mètres de largeur, son « Tourbillon de sardines » est actuellement la plus haute fresque d’Europe. Elle se situe tout près de sa consœur, sur la tour Sienne, sur la même place Vénétie.
Quand on pense que certains imaginent encore que le street art, ça n’est que des tags moches… Il y a de quoi relativiser, là, non ?
Ces deux oeuvres ont été réalisées à l’initiative de la Galerie Itinerrance(oui, avec cette orthographe) installée dans le 13ème arrondissement depuis 2004, dans le cadre d’un évènement surnommé « Street art 13 ». Le but affiché est de faire de l’arrondissement « un musée à ciel ouvert ».
« Depuis quelques années, la Galerie Itinerrance s’affiche à l’extérieur. Elle propose à tous curieux et amateurs de street art, de découvrir le 13ème arrondissement de Paris à travers tout un parcours de fresques réalisées par des artistes d’envergure internationale. Cette ballade ludique, en collaboration avec la mairie du 13ème arrondissement, a pour objectif de réaliser un véritable musée à ciel ouvert et d’initier le public aux pratiques artistiques actuelles. Par la métamorphose de ce quartier à l’aide des différentes interventions, elle apporte non seulement un rayonnement international et une dimension culturelle au 13ème , mais elle offre surtout un support et un lieu d’expression à tous ces artistes globetrotters. »
Vue extérieure de La Tour Paris 13 avant sa destruction le 8 avril 2014. Paris 13e (75)
Avant ça, la même galerie avait organisé un autre évènement, resté célèbre dans la Capitale : La Tour Paris 13. Déjà, il s’agissait de street art mais le tout était alors localisé dans un même immeuble. Ce dernier a aujourd’hui été détruit (c’était prévu et c’était d’ailleurs le but), laissant place à de nouveau logement sociaux. Il ne nous reste donc que des photographies du lieu qui avait alors été investi par pas moins de 108 artistes de 18 nationalités afin de recouvrir 36 appartements de 4 à 5 pièces sur 9 étages (ainsi que la façade). Le côté éphémère de l’exposition était voulu et assumé. Dans un premier temps, le projet fut d’ailleurs mené dans la plus grande discrétion par la Galerie Itinerrance avec le soutien de la Mairie du 13ème arrondissement. Le but était de faire du street art dans des conditions semblables à celles où il s’est développé : dans un lieu abandonné, voué à disparaître et/ou n’intéressant plus personne. N’oublions pas qu’avant de devenir « à la mode », le street art était une pratique beaucoup plus underground.
Notez que vous pouvez toujours retrouver la Tour Paris 13 au format numérique en allant le site www.tourparis13.fr où vous pourrez vous adonner à une visite virtuelle du lieu (ça n’est pas pareil mais c’est toujours mieux que rien !).
Sur ce, je vous laisse avec une petite galerie d’oeuvres (ci-dessous) que vous pourrez peut-être croiser, au détour du 13ème arrondissement, si vous décidez d’aller vous balader dans le secteur. La Galerie Itinerrance a d’ailleurs pensé à tout car elle propose même un plan du circuit à effectuer pour ne rien rater durant votre visite. Il y en a pour tous les goûts et il y a surtout de quoi vous en mettre plein les yeux et vous en faire voir de toutes les couleurs !
Pantónio, Tourbillon de sardines Fresque murale, Street art, 2014 Photo de Alain Delavie Tour Sienne, Place Vénétie, Paris 13e (75)
Pantónio, Tourbillon de sardines Fresque murale, Street art, 2014 Photo de Alain Delavie Tour Sienne, Place Vénétie, Paris 13e (75)
Stew, Héron Bleu Fresque murale, Street art, 2014 Photo de Alain Delavie Tour Tivoli, Place Vénétie, Paris 13e (75)
Stew, Héron Bleu Fresque murale, Street art, 2014 Photo de Alain Delavie Tour Tivoli, Place Vénétie, Paris 13e (75)
C215, Titre inconnu Street art, 2013 Angle boulevard Vincent Auriol et rue Nationale Paris 13e (75)
C215, Titre inconnu Street art, 2013 Angle boulevard Vincent Auriol et rue Nationale Paris 13e (75)
C215, Titre inconnu Street art, 2013 Angle boulevard Vincent Auriol et rue Nationale Paris 13e (75)
C215, Titre inconnu Street art, 2013 Angle boulevard Vincent Auriol et rue Nationale Paris 13e (75)
Dabro, Portrait de Farhat Hached, syndicaliste et résistant tunisien Street art, 2013 Paris 13e (75)
Ethos, Titre inconnu Street art, 2010 Mur d’enceinte du stade Carpentier, boulevard Masséna Paris 13e (75)
Ethos, Titre inconnu Street art, 2010 (photo prise en 2014) Mur d’enceinte du stade Carpentier, boulevard Masséna Paris 13e (75)
Inti, Titre inconnu Street art, 2011 École Lahire, rue Lahire Paris 13e (75)
Inti, Titre inconnu Street art, 2011 École Lahire, rue Lahire Paris 13e (75)
Inti, Titre inconnu Street art, 2011 École Lahire, rue Lahire Paris 13e (75)
Inti, Titre inconnu Street art, 2012 129 avenue d’Italie Paris 13e (75)
Inti, Titre inconnu Street art, 2012 129 avenue d’Italie Paris 13e (75)
Inti, Titre inconnu Street art, 2012 129 avenue d’Italie Paris 13e (75)
Jana & Js, Titre inconnu Street art, 2011 110 rue Jeanne d’Arc Paris 13e (75)
Jana & Js, Titre inconnu Street art, 2011 110 rue Jeanne d’Arc Paris 13e (75)
Jana & Js, Titre inconnu Street art, 2011 110 rue Jeanne d’Arc Paris 13e (75)
Jana & Js, Titre inconnu Street art, 2011 110 rue Jeanne d’Arc Paris 13e (75)
M-City, Titre inconnu Street art, 2010 122 boulevard de l’Hôpital Paris 13e (75)
M-City, Titre inconnu Street art, 2010 122 boulevard de l’Hôpital Paris 13e (75)
OBEY, Titre inconnu Street art, 2012 Angle Vincent Auriol/Jeanne D’Arc Paris 13e (75)
OBEY, Titre inconnu Street art, 2012 Angle Vincent Auriol/Jeanne D’Arc Paris 13e (75)
Rero, Titre inconnu Street art, 2011 81 rue Chevaleret Paris 13e (75)
Rero, Titre inconnu Street art, 2011 81 rue Chevaleret Paris 13e (75)
Sainer, Titre inconnu Fresque murale, Street art, 2013 13 avenue de la Porte d’Italie Paris 13e (75)
Sainer, Titre inconnu Fresque murale, Street art, 2013 13 avenue de la Porte d’Italie Paris 13e (75)
Seth & Kislow, Titre inconnu Street art, 2013 29 rue des Cordelières Paris 13e (75)
Seth & Kislow, Titre inconnu Street art, 2013 29 rue des Cordelières Paris 13e (75)
Seth & Kislow, Titre inconnu Street art, 2013 29 rue des Cordelières Paris 13e (75)
Seth & Kislow, Titre inconnu Street art, 2013 29 rue des Cordelières Paris 13e (75)
Seth, Titre inconnu Street art, 2013 2 rue Emile Deslandres Paris 13e (75)
Seth, Titre inconnu Street art, 2013 2 rue Emile Deslandres Paris 13e (75)
Seth, Titre inconnu Street art, 2013 2 rue Emile Deslandres Paris 13e (75)
Alapinta, Pacha mama Street art, 2011 50 rue Jeanne d’Arc Paris 13e (75)
Alapinta, Pacha mama Street art, 2011 50 rue Jeanne d’Arc Paris 13e (75)
Alapinta, Pacha mama Street art, 2011 50 rue Jeanne d’Arc Paris 13e (75)
Seth & Babs, Titre inconnu Street art, 2013 76 rue Bobillot Paris 13e (75)
Seth & Babs, Titre inconnu Street art, 2013 76 rue Bobillot Paris 13e (75)
Seth & Babs, Titre inconnu Street art, 2013 76 rue Bobillot Paris 13e (75)
C215, Titre inconnu Street art, 2011 Ecole Dorée, boulevard Vincent Auriol Paris 13e (75)
C215, Titre inconnu Street art, 2011 Ecole Dorée, boulevard Vincent Auriol Paris 13e (75)
Enfin, sachez que si vous voulez découvrir davantage de créations dans les rues de Paris, il existe une application pour téléphones et tablettes : My Paris Street Art. Elle vous indiquera les différents endroits de la Capitale où admirer une oeuvre d’art de rue. Le plus ? Tout utilisateur peut ajouter une oeuvre qu’il aurait déniché dans Paris et qui n’aurait pas déjà été ajoutée à l’application. Bref, un chouette projet collaboratif qui, peu à peu, génère un parcours qui permet de visiter la ville autrement.
L’application est disponible sur iOS et Android. Sachez qu’il existe également un site web, tout simplement : www.paris-streetart.com
Cet article vous a plu (ou pas) ? Vous pouvez laisser un commentaire ci-dessous pour me dire pourquoi ! Par exemple, d’après les photos que j’ai postées, laquelle de ces œuvres préférez-vous ?
Comme beaucoup d’étudiants en Art, j’ai eu l’incommensurable plaisir de travailler sur le thème du détournement(#ironie) de nombreuses fois. Cette pratique artistique est une des plus usitées à l’heure actuelle : tous les médias l’utilisent et une simple recherche sur la toile vous montrera à quel point faire preuve d’originalité en ce domaine relève du fantasme pur. En particulier parce que la pub s’est littéralement jetée sur le filon et que la pub est absolument partout et sans arrêt autour de nous…
Le détournement, qu’est-ce que c’est exactement ? Il s’agit d’un procédé artistique qui consiste à s’approprier une œuvre ou un objet et à l’utiliser pour un usage ou une représentation différents de l’usage ou la représentation d’origine. (Source: Glossaire des Arts Plastiques proposé par l’Académie de la Réunion, bien fourni, bien pratique).
Les exemples sont nombreux mais nous allons nous attarder sur un des exemples les plus récurrents de l’Histoire de l’Art avant d’en citer quelques autres : la Cène.
Vous connaissez forcément La Cène de Léonard de Vinci. Ne serait-ce que parce que vous avez lu le Da Vinci Code. S’il y a bien un tableau à la mode, en ce moment (et tout le temps, en fait, allez savoir pourquoi ! Le génie, sans doute), c’est bien celui-là. Détourné à toutes les sauces, on ne voit que lui sans même s’en rendre compte. Il faut dire que depuis sa réalisation (entre 1494 et 1498), ce tableau n’a eu de cesse d’être repris par les artistes parce que cette fresque, de nombreuses églises en ont très vite rêvé et les commandes de copiesont donc afflué.
Pause précision : Pour ceux qui l’ignoreraient, La Cène de Léonard de Vinci est bien une fresque, c’est-à-dire une peinture murale, et pas une toile ou une peinture sur bois comme cela est aussi courant. La dite fresque est d’ailleurs dans un assez triste état, à l’heure actuelle, comme en témoigne la photo ci-dessous. Car, non, la qualité désastreuse que vous pouvez observer là ne vient pas du cliché mais bel et bien de l’état réel de ce chef-d’œuvre de l’Histoire de l’Art qui, peu à peu, disparaît inexorablement (et ce, depuis sa création même !).
La Cène – Léonard de Vinci Fresque réalisée entre 1494 et 1498 4,60 × 8,80 mètres Eglise Santa Maria delle Grazie de Milan (Italie)Vue extérieure du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan, dans le réfectoire duquel se trouve la fameuse fresque de Léonard de Vinci.
Le succès de la toile est tel que certains peintres réalisent alors des « presque-copies » de l’œuvre. Très vite, de nombreux peintres imposent aussi des visions à la fois très différentes et proches de cet instant clef de la Bible peint par le maître italien.
C’est pourquoi on peut dire que la Cène de Léonard de Vinci semble s’être immédiatement imposée comme la représentation la plus emblématiquede cette scène biblique. Au point d’entrer presque instantanément après son achèvement dans l’imaginaire collectif(celui des artistes, en tout cas).
Il existe donc, déjà peu de temps après sa création, des dizaines de versionsde la Cène, plus ou moins ressemblantes à l’originale de Léonard de Vinci. En voici quelques exemples :
La Cène, Marco d’Oggiono Copie, 1506 Copie de la Cène de Léonard de Vinci, vers 1506-1509, Musée national de la Renaissance, Château d’Ecouen en Région Parisienne, (France)
« Déposé par le musée du Louvre, ce tableau est l’une des toutes premières copies de la fameuse Cène de Léonard de Vinci, commandée à Milan dès 1506 à Marco d’Oggiono, l’un de ses meilleurs élèves, quelques années après l’achèvement de l’original par le maître au couvent de Sainte-Marie-des-Grâces à Milan (1498).
(…) Tandis que la peinture murale s’est dégradée de manière prématurée, Marco d’Oggiono a reproduit fidèlement toutes les caractéristiques de l’œuvre et de l’art de Léonard : une composition étudiée ; l’expression forte des visages et des physionomies, le mouvement des corps par les positions très variées des apôtres, les couleurs chatoyantes et enfin la multitude de détails apportés par l’artiste sur la table de banquet aujourd’hui presque intégralement disparu de l’originale sont autant de caractéristiques remarquables de cette œuvre d’exception. »
« Si elle en simplifie la perspective architecturale savamment calculée et la mise en lumière subtilement distribuée, on y retrouve cependant l’extraordinaire construction du premier plan, avec au-dessus de la longue table horizontale la répartition des apôtres en quatre groupes, de part et d’autre du Christ. »
Le repas chez Levi (ou Le banquet chez Levi) – Paolo Caliari, dit Paul Véronèse 1573 Huile sur toile, 555 × 1 310 cm Gallerie dell’Accademia de Venise (Italie)
La version de Véronèse est l’une de celles que je préfère. Parce que, tout d’abord, elle a fait l’objet d’un procès, au moment de son élaboration. Tout de suite, on peut voir que la Cène, censée être l’objet principal de cette immense composition (plus de 13 mètres !), se trouve au deuxième plan, au fond bien qu’au centre, derrière d’épaisses colonnades. Véronèse a pris des libertés quant à l’histoire contée par la Bible puisque le riche décor dans lequel se passe la Cène n’a rien à voir avec l’auberge en Palestine décrite par le texte original (cela étant, le décor de Léonard de Vinci n’a pas non plus vraiment l’être d’être celui d’une auberge, mais ses raisons étaient différentes). On croirait presque regarder une immense scène de théâtre, grouillante d’intrigues diverses.
Véronèse n’acceptera pas de modifier son tableau malgré une condamnation du Saint-Office censée l’y contraindre. A la place, il acceptera seulement de lui donner un titre différent : La Cène devenant Le repas (ou le banquet) chez Levi (nom hébreux de Saint Matthieu), du nom d’un passage de l’Evangile selon Luc.
La Cène (copie) Italie, XVIe siècle, 133 x 77 cm, Transposé sur toile, Musée de l’Ermitage, St Petrsbourg (Russie)
Des sortes de « d’objets souvenirs » de l’époque, de plus petites copies de La Cène, plus facilement transportables, apparaissent également. Le Musée de l’Ermitage possède une de ces petites copies qui, je trouve, ressemble beaucoup à l’original de Léonard de Vinci. Il en existe cependant d’autres qui, elles, ressemblent davantage à d’autres copies comme celle de Marco d’Oggiono, l’élève de Vinci dont je vous ai parlé plus haut. Des copies qui copient des copies… Tout ça devient compliqué !
Quoi qu’il en soit, une seule de ces représentations est très clairement présente dans les esprits et c’est celle de Léonard de Vinci. C’est pourquoi, de nos jours, c’est elle qui est détournée sans cesse (logique, qui irait détourner une image que personne ne serait en mesure de reconnaître ? Aucun intérêt.. Aucune logique surtout, car on ne comprendrait pas qu’il y a détournement.).
Faisons quand même un rapide distinctionentre copie, versionet détournement: un détournement n’est pas une copie ou une autre version d’une autre. C’est une œuvre à part entière qui réutilise les codes d’une œuvre qui l’a précédée. Un artiste peut réaliser le détournement d’une œuvre pour plusieurs raisons : lui rendre hommage ou la parodier. Il peut aussi considérer que l’œuvre qu’il détourne lui permettra de faire passer un message. Dans le cas de la Cène, il peut s’agir d’évoquer le passage de la Bible représentée par l’oeuvre de De Vinci. De cette manière, on peut rapidement identifier : un repas, des gens autour d’une table, un personnage central important, un traitre… Comme tous ces éléments sont présents dans la Cène de De Vinci, on va naturellement les « chercher » dans les détournements de cette fresque. Cela permet de faire des parallèles.
Après avoir vu pas mal de copies et de versions de la Cène, passons donc aux véritables détournements de celle-ci.
La Dernière Cène (ou Le Sacrement de la dernière cène), Salvador Dali 1955, Huile sur toile 168,3 × 270 cm Galerie nationale d’art de Washington (Etats-Unis)
Dans sa période mystique, hanté par le développement du nucléaire, Salvador Dali peint un détournement de la Cène. Le tableau est très étrange et pose beaucoup de questions dont les réponses résident bien souvent dans sa symbolique, comme cela est le cas dans la plupart des œuvres de l’artiste espagnol. Mais il est surtout très moderne. Le décor est tel qu’il donne l’impression de se dérouler dans une sorte de futur très lointain, de ceux que la science-fiction peut décrire. Quant au Christ à moitié translucide (on distingue la barque de l’arrière plan à travers son corps), je trouve qu’il a tout d’un hologrammeà la Star Trek. En fait, l’ensemble ne me paraît pas si éloigné du détournement façon Star Wars que nous verrons plus après dans cet article.
Inutile, d’ailleurs, d’être nécessairement occidental et/ou d’un pays historiquement chrétien pour avoir été marqué par l’aura de La Cène de Vinci. Ainsi, l’artiste chinois Zeng Fanzhi a, lui, détourné cette toile de façon clairement politique : dans son tableau, le Christ et ses apôtres sont de jeunes recrues du Parti Communiste Chinoiset ce sont des morceaux de pastèques qui se trouvent sur la table du célèbre repas biblique.
Il faut d’ailleurs savoir qu’en 2013, ce tableau établit « un record aux enchères Sotheby’s à Hong Kong en trouvant acquéreur (qui a souhaité rester anonyme) pour 23,8 millions de $ – soit le tableau le plus cher de l’histoire par un artiste asiatique contemporain vendu aux enchères. » (Source) Puis, jusqu’en février 2014, l’artiste a droit à sa première rétrospective en France au Musée d’Art Moderne de Paris.
La Cène, Zeng Fanzhi 2001, 4m x 2,2m
Vous montrer tous les détournements de cette fresque que j’ai pu trouver serait trop long alors voici celles qui ont retenu mon attention :
Affiche de Marithé et François Girbaud, interdite en 2005.
Véronèse n’est pas le seul artiste a avoir déclencher des réactions hostiles avec sa version de la Cène (comme quoi, il y a des choses immuables, en ce bas monde). Cette publicitédes créateurs de modeMarithé et François Girbaud a été interdite et condamnée par la Conférence des Evêques de France. Elle aurait, semble-t-il, porté atteinte à la foi des catholiques. On peut s’interroger sur les raisons de cette plainte : est-ce parce qu’il s’agit d’une publicité ? Une publicité de mode, qui plus est ? Est-ce parce qu’il s’agit uniquement de femmes aux places normalement réservées au Christ et à ses apôtres ? Ou est-ce parce qu’un homme apparaît dénudé ?
Ici, comme vous pouvez le voir, les apôtres ne sont plus des hommes mais des femmes. Des femmes bien actuelles qui respectent la gestuelle des personnages du tableau de Léonard de Vinci. Le couple de stylistes ne fait pourtant rien de bien novateur en soi puisque des photographes, bien avant eux, auront l’idée de remplacer les apôtres par des jeunes à casquette ou des dragqueens. En faire des femmes est donc loin d’être l’idée la plus farfelue ou la plus choquante. D’autant que les symboles glissés çà et là dans la photographie montrent que le fond a été fouillé ; le triple-pied (à gauche), symbole de la Sainte Trinité, le pain sur la table, la colombe (à droite) symbole de paix… Au final, on a du mal à comprendre ce qui a pu provoquer une telle réaction de la part de l’Eglise. Le juge en charge de l’affaire aurait déclaré à l’époque que cette affiche représentait « un acte d’intrusion agressive et gratuite dans le tréfonds des croyances intimes ». Rien que ça !
A mon sens, l’artiste peintre et caricaturiste Michel Achard tape plus fort dans le style « intrusion agressive et gratuite dans les tréfonds des croyances intimes ». Avec sa version Rock’n’Roll de la Cèneoù Jésus et ses apôtres deviennent des stars du rock difformes et assez monstrueuses. On reconnaît, entre autres, Iggy Pop, Mick Jagger (en Christ, d’ailleurs), un Elvis Presley à la looongue tête ou encore Freddy Mercury en extraterrestre de Mars Attack (oui, oui, le film de Tim Burton). Bref, c’est Rock’n’Roll, c’est Pop, c’est bien !
Michel Achard – La Cène version Rock’n’Roll
Et puis, dans le genre, est-ce qu’il n’est pas plus « choquant » de voir les personnages de la Cène devenir des rats, pour les besoins d’une publicité pour un raticide ? (Encore que, graphiquement, c’est pas mal fait, je trouve. Pas sûre que ça donne très envie de tuer ces pauvres rats, par contre.)
Les rats, publicité pour le raticide Mortein (agence Euro RSCG de Santiago du Chili)
Mais tout n’est pas que campagne publicité choc, rassurez-vous ! Le cinéma aussi est inspiré par la Cène de Vinci (à moins que ça ne soit le contraire ?) Il s’agit alors d’oeuvres doublement détournées(après les copies de copies de tout à l’heure…) : la fresque originelle est détournée mais le film (ses personnages, son univers…) est également détourné afin de coller à la peinture.
Eric Deschamps, Star Wars Last Supper, 2005
Prenons comme premier exemple un travail d’Eric Deschamps portant sur la saga Star Wars, et loin d’être dénué d’intérêt. En effet, les films de George Lucas ne cessent de multiplier les références religieuses (sans trop m’étendre, toutes les histoires sur la Force, par exemple, sont quand même vachement connotées) et il paraît presque logique de faire le parallèle avec le tableau de Léonard de Vinci ; quand deux piliers de notre culture (certains diront que Star Wars n’a rien à voir avec la culture et ni même avec l’art, mais je ne suis pas du genre à crier « Au diable la sous-culture ! » puisque je ne crois pas en cette dite « sous-culture ») se rencontrent, quand leurs codes se mélangent… ça fonctionne quand même diablement bien.
Pour information, Eric Deschamps a notamment travaillé pour Blizzard Entertainment (entre autres développeurs de World of Warcraft) et Activision (développeurs, eux, de la série de jeux Call of Duty). Autant vous dire que le monsieur connaît bien la culture geek(et est probablement un geek lui-même) et la culture pop. Cela démontre surtout à quel point la peinture de Léonard de Vinci est devenue incroyablement populaire, dépassant largement de seul cadre de l’Art et de son Histoire.
La Cene version The Big Lebowski
La Cène a même droit à sa version The Big Lebowski. De là à dire qu’il y a un message derrière tout cela… Je vous laisse seuls juges. Mais je sais que certains ont trouver leur Bible en ce film alors je leur kassdédi l’apparition de cette création dans mon article ;)
Côté cinéma, la Cène apparaît également dans les films 99 francs ou encore Watchmen(mes films préférés… #ironie²) et même comme affiche de The Expandables 2… Allez, je vous la mets pour le plaisir :
La Cene version The Expendables 2
Mais les séries télévisées, en particulier américaines, ne sont pas en reste, loin de là ! Chacun veut sa Cène. C’est presque un passage obligé. Ah ça ! Ils l’aiment, ce tableau ! Battle Star Gallactica, Lost, Dr House mais aussi les Simpsons ou encore South Park… God bless America ! Jugez plutôt :
La Cene version Dr House (2008)
Je trouve que c’est avec la série Dr House que le détournement fonctionne le plus correctement d’un point de vue sémantique. Bah oui, dans le genre syndrome de dieu, le toubib le plus caustique de la télévision s’en sort quand même pas mal ! Pourtant, c’est aussi un des détournements que j’ai pu vous montrer où la Cène est la plus suggérée par rapport à l’originale, je trouve. Celle réalisée à partir de Battlestar Galactica me semble plus fidèle, dans l’idée.
La Cène version Battlestar Galactica. (2008)La Cène version Lost.
De plus, là encore comme pour le cinéma, ce sont aussi certains fans qui produisent des reproductions de la Cène aux couleurs de leur série préférée. Par exemple, l’artiste indonésienne Sheila avec sa version dessinée de Game of Thrones.
La Cène version Game of Thrones par Sheila, fan et artiste indonésienne
Voici comment une image du XVe siècle est devenue une image emblématique de notre civilisation. Encore une fois, ce cher De Vinci aura réussi à faire fort, jusqu’à inspirer les pubs du XXIème siècle…
D’ailleurs, la Cène n’est pas le seul de ses chefs-d’œuvre a être régulièrement détourné par les artistes ou les médias ; la Joconde, elle non plus, n’est pas en reste et pourrait avoir son propre article dédié, dans le même genre que celui-ci. De même que La Dame à l’Hermine. D’ailleurs, La Cène a été (et est toujours) tellement de fois détournée, revisitée, transformée qu’un site entier est nécessaire pour répertorier toutes ces créations dérivées. N’hésitez pas à aller y jeter un oeil, ne serait-ce que pour voir d’autres représentations : http://www.lacene.fr/
Enfin, je vous laisse sur cette série d’oeuvres diverses qui vous permettra de mieux comprendre qu’un détournement est également possible avec des objets et qu’il s’agit d’un procédé artistique utilisé non seulement par les arts plastiques mais aussi par les arts appliqués. Le but du détournement peut être multiple : modifier le sensde l’objet ou de l’image détournée, changer son usage premier (par exemple, en le rendant inutilisable ou en l’utilisant pour en faire autre chose que ce pour quoi il a été créé), changer son statut (d’objet du quotidien, le faire devenir œuvre d’art, par exemple), etc.
La Cene version Alice au Pays des Merveilles par Raven Gregory et Robert Gill
Dame à l’hermine de Léonard De Vinci, peinture sur bois, 1488-1490 et Lady’s Portrait With Dog de Mariano Vargas, photographie digitale, 2003
La Grande Odalisque, Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1814 et La Grande Odalisque, Stéphane Lallemand, photographie, 2007
Duchamp – L.H.O.O.Q – 1919
Dali – Autoportrait en Mona Lisa – 1954
Basquiat – Mona Lisa – 1983
Détournement de La Joconde par Banksy – 2001
Polaris, David Mach, installation, 6000 pneus de voiture, 1983
Ghost Drum Set de Claes Oldenburg 10 éléments en toile, bourrés de billes de polystyrène, cousus et peints (peinture vinylique), 80 x 183 x 183 cm, 1972
Rhino Chair de Maximo Riera
La fuite de robinet de Gilbert Legrand
Apex Predator – Red Shoes par Fantich & Young, babies plates avec des prothèses de dents implantées dans la semelle, 2014
Windex, Liza Lou, 1996, Perles de verre, Glass Pavillion, Toledo Museum of Art (TMA), Toledo Ohio
Liza Lou, Kitchen, 1991–1995. Reconstitution d’une cuisine et de tous ses éléments en perles de verre. Whitney Museum of American Art, New York (Etats-Unis)