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Bibliothèque universelle : pour le meilleur et pour le pire

Wouah.
J’étais pas très optimiste sur l’avenir de l’Humanité quand j’ai twitté ça. J’en ai même fait une faute bien moche. Mais pour quelle raison, me direz-vous ? Je vous raconte (si, si, j’insiste).

Je faisais une pause en attendant qu’une partie de ma peinture sèche pour repasser une couche supplémentaire (déjà là, on sent poindre l’histoire palpitante, avouez). Comme je le fais dans ces moments d’un intense intérêt, je surfais aléatoirement, allant d’un de mes onglets à un autre (j’ai toujours une infinité d’onglets ouverts, parfois pour des raisons tout à fait pertinentes… souvent parce que j’ai oublié de les fermer). Et voilà que je tombe sur un site, comme on en voit de plus en plus apparaître, regroupant tout un tas de captures d’écran issues de Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux. Le but ? Afficher la misère humaine qui se déchaîne allégrement sur ces plateformes. Les « Cassos du web » comme on les appelle parfois. Les « Kévin ». Les « boulets ».
Tellement de sites de ce genre fleurissent (je ne vous ferai pas l’affront de mettre des liens ici… ça pourrait les attirer) qu’on peut se demander si 90% des internautes ne sont pas de véritables trous d’b… abrut.. zut, flûte, comment le dire poliment ? Des cons. Des gros cons. Des gros cons finis (ou pas, parce que certains semblent continuer de creuser toujours plus profond).

C’est de cette constatation, et du fait qu’il était tard (ce qui engendre chez moi une mélancolie chronique toute particulière, me poussant généralement à twitter ou facebooker des choses pour le moins pessimistes, voire insultantes afin de me défouler), qu’est né ce tweet.

En fait, je me demandais de quoi auraient l’air les cours d’Histoire dans les siècles à venir. Imaginez, loin, très loin dans le futur, comment nos ancêtres qualifieront-ils notre époque ?

Partons du constat suivant : la Renaissance porte son nom parce qu’elle vient après le Moyen-Age. On considère qu’il y a « renaissance » après des siècles d’une sorte de parenthèse qu’on ne trouve pas très glorieuse : un âge « moyen », un âge « bof bof » quoi (ce qui se discute, comme je le disais dans un second tweet, car j’aime beaucoup le Moyen-Age et je ne suis pas la seule). D’ailleurs, je pense que si nous devions renommer ces périodes historiques aujourd’hui, beaucoup de gens plaideraient en faveur du Moyen-Age, pour qu’on le nomme autrement.

N’empêche, si on en reste à cette idée d’époque nommée « Moyen-Age » parce qu’elle ne nous semblait pas très folichonne, voire même carrément arriérée, obscurantiste, voire dégradante (ou dégradée, par rapport aux époques antérieures de l’Antiquité, réputées plus « riches » en découvertes, en savoirs, en progrès, etc.) qu’est-ce qui nous dit que nos ancêtres ne surnommeront pas notre époque « deuxième Moyen-Age » ? Après tout, nous sommes quand même l’âge qui a vu l’invention d’Internet et… voilà ce que nous en faisons : une grosse majorité d’internautes utilise cet outil pour faire de la merde, de la merde et de la merde vachement plus merdique que celle de son voisin.

Si vous ne trouvez pas ça « bof bof », vous…

Ne vous méprenez pas, hein, je suis la première à regarder des vidéos de merde (décidément, ce mot va se faire présent dans cet article, je le sens) sur Youtube. Je lis un nombre incalculable d’articles totalement inutiles, inintéressants, superflus (et encore, je fais partie des rares personnes qui lisent encore les articles et je rage sur les innombrables commentaires qui les suivent, systématiquement, et qui ne sont que des trolls à n’en plus finir, pleins d’une bêtise crasse). Je passe un temps fou sur Pinterest à collectionner des images virtuelles pour les coller dans mes albums virtuels. Et, en bonne fille qui se respecte, je me fous de la gueule de mes contacts Facebook en permanence, mais bien planquée derrière mon écran, afin de me convaincre (façon méthode Coué mais avec autant de classe que Cauet) que je réussis vachement mieux ma vie qu’eux et que je leur suis infiniment supérieure en tous points (c’te blague).

Bref, je suis en plein dans le moule. A la rigueur, ce qui me distingue un peu du reste des gens que je critique dans mon tweet, c’est que j’ai conscience qu’un truc va mal et ne tourne pas rond.

Parce que, soyons clair : Internet, qu’est-ce que c’est ? C’est une immeeeense bibliothèque infinie. Théoriquement, tout le savoir du monde est dans internet ou en passe de l’être. Et plus le temps va passer, plus ce savoir va s’accroitre (espérons) et, normalement, continuer à être placé dans l’Internet. Pour vous, moi, vos enfants, petits enfants, arrières-arrières-arrières petits enfants…

Bref. Nous sommes devant une sorte de bibliothèque infinie comme celle décrite par Jorge Luis Borges, par exemple.

la-bibliotheque-de-babel-470595Dans une nouvelle intitulée La Bibliothèque de Babel (1941), Jorge Luis Borges décrit une bibliothèque de taille gigantesque qui contiendrait tous les livres du monde : ceux qui ont déjà été écrits et ceux qui ne l’ont pas encore été.

Pour faire simple, l’histoire repose sur un procédé mathématique, ce qui fait que certains livres ne contiennent que des suites de caractères apparemment aléatoires. Pourtant, même si ça n’est qu’à un caractère près, aucun de ces livres n’est identique à l’autre. La Bibliothèque de Babel est donc, théoriquement, infinie et contient tous les livres déjà écrits ou qui pourront/pourraient l’être un jour (vous me suivez toujours ? Non, parce que si vous avez cligné des yeux en lisant ça, je suis sûre que je vous ai perdus).

Pour écrire cette nouvelle, Borges s’est inspiré du travail de Kurd Lasswitz et de son histoire intitulée La bibliothèque universelle (1904). Apparemment, l’idée d’une bibliothèque contenant tous les livres du monde leur plaisait donc bien. Qu’auraient-ils dit devant notre Internet ? Et surtout, devant l’utilisation que nous en faisons ? Probablement qu’il s’agissait là d’une des innombrables possibilités possibles, dans leur système mathématique soigneusement calculé… Enfin, ça, c’est pour la version optimiste. En fait, ils auraient sûrement pensé la même chose que beaucoup d’entre nous : « Putain, mais quelle bande de gros déchets sans cervelle. »

Jusqu’au 5 octobre 2014, le Colisée de Rome était justement le théâtre d’une exposition surnommée « La Bibliothèque infinie » et consacrée, comme l’indiquait son sous-titre aux « lieux du savoir dans le monde antique » (Source). Il faut dire que les civilisations antiques étaient très portées sur le progrès et les découvertes mais aussi sur la façon de collecter et regrouper tous ces savoirs. Ça n’est pas sans raison qu’une des Merveilles du Monde était alors la Bibliothèque d’Alexandrie. Pourtant disparue depuis des siècles, puisqu’on estime qu’elle fut détruite entre l’an -48 et l’an 642 (ce qui fait, tout de même, une sacré fourchette), elle reste aujourd’hui l’une des bibliothèques les plus célèbres au monde. A force d’avoir entendu des histoires à son sujet, nous pensons souvent que la Bibliothèque d’Alexandrie était forcément incroyable. Comment ne pas l’imaginer immensément grande ? Se dire que son architecture devait être magnifique ? Et, surtout, comment ne pas penser aux possibles trésors qu’elle renfermait et que nous avons perdus à tout jamais ? Plus qu’une bibliothèque, un mythe. Et pourtant, ni plus ni moins qu’une bibliothèque au final (ceci dit, comme à l’époque nos médiathèques de quartier étaient quand même nettement moins courantes, faut bien se l’avouer, ça devait en mettre vachement plus plein la vue). Bref, elle est devenue une sorte de bibliothèque infinie car elle s’est ancrée dans notre mémoire collective depuis des siècles et pour des centaines d’autres sans doute.

Pieter Brueghel l'Ancien, La Tour de Babel, Huile sur toile, 1,140mm x 1,550mm XVIe siècle (1563) Kunsthistorisches Museum Vienna (Autriche)
Pieter Brueghel l’Ancien, La Tour de Babel,
Huile sur toile, 1,140mm x 1,550mm
XVIe siècle (1563)
Kunsthistorisches Museum Vienna (Autriche)

Pause précision : En choisissant de nommer sa nouvelle La Bibliothèque de Babel, Borjes évoque directement l’histoire de la Tour de Babel.

Celle-ci fait l’objet de neufs versets dans la Bible. Elle raconte comment Dieu (ou Yahvé) aurait interrompu la construction d’une tour incroyablement haute.

Pour résumer simplement : après l’épisode du Déluge (je ne vous fais pas l’affront de vous le résumer, mais en gros : inondation monstrueuse, fin du monde, Arche de Noé…, vous voyez le topo ?), tous les hommes auraient décidé de s’installer dans la vallée de Shinéar (Irak actuelle). Là, ils auraient commencé à bâtir une ville et une tour si haute qu’elle devait toucher le ciel. Toutefois, la Bible raconte que Dieu interrompit la construction de cette tour avant qu’elle ne devienne le symbole de tous les possibles. Pour ce faire, il fit en sorte que les hommes, qui parlaient jusqu’alors tous la même langue, se mettent à parler plusieurs langues. Il les dispersa ensuite sur toute la surface de la Terre alors qu’ils vivaient tous dans la même vallée. Tous furent ainsi séparés les uns des autres, incapables de s’unir à nouveau car ils ne se comprenaient plus. (On pourrait dire que ce passage de la Bible illustre bien l’adage « Diviser pour mieux régner », mais ça n’est peut-être que mon humble avis…)

C’est ainsi, dit-on, que la multiplicité des langues et la dispersion des peuples sur la terre eurent lieu.

Pour les Chrétiens, l’épisode de la Tour de Babel est symbole d’hybris, c’est-à-dire d’un grand péché d’orgueil méritant le châtiment divin. En voulant toucher le ciel, les hommes se seraient élevés aussi haut que Dieu, ce qui, d’après les écrits bibliques, n’est pas envisageable (Dieu tout-puissant, tout ça, tout ça).

« Au XVIe siècle, le terme « Babel » devient un substantif qui désigne un lieu rempli de confusion. Aujourd’hui, il est un toujours utilisé dans ce sens, mais celui-ci s’est élargi vers une absence de communication, une construction démesurée, une entreprise vaine. »

Cette tour aurait véritablement existé, même s’il ne nous en reste que des ruines aujourd’hui. Ses restes se situeraient aujourd’hui dans la ville de Babylone en Irak. « De nombreux indices dans ce récit permettent de reconnaître Babylone, que les Hébreux ont vue durant leur longue captivité : Shinéar désigne la région de Sumer en Mésopotamie, et la tour est sans doute inspirée de la grande ziggurat de Babylone. Cette tour à étages à base carrée (observée et décrite par Hérodote, et dont les restes furent plus tard déblayés par Alexandre le Grand qui n’eut pas le temps de la reconstruire), était appelée l’Etemenanki,  »maison du fondement du ciel et de la terre ». Elle permettait au dieu babylonien Marduk de descendre parmi les hommes et au roi de s’élever jusqu’à la divinité. Les matériaux de constructions évoqués sont bien ceux qu’utilisaient les Mésopotamiens : dans cette plaine argileuse, ce sont les briques cuites qui servent à bâtir, et non la pierre. Le souverain de Babylone Nabuchodonosor II fit graver le souhait que la tour rivalise avec les cieux, et que son sanctuaire décoré de pierreries, au sommet, soit  »semblable aux signes inscrits au firmament ». »

Qu’elle ait véritablement existé ou non, la Tour de Babel tient aujourd’hui davantage du mythe et est inscrite dans notre inconscient collectif au même titre que la Bibliothèque d’Alexandrie, évoquée plus tôt dans cet article.

Source : Babel de la Bible à la littérature, CNDP-CRDP, Académie de Paris

En fait, il y a un truc avec les bibliothèques. Elles ont une sorte d’aura. Vous ne trouvez pas ? Bon, pas toutes. En particulier depuis qu’on essaye désespérément d’en faire des lieux soit-disant conviviaux comme si ça allait tout-à-coup redonner le goût de la lecture à tous les bambins du pays (MIRACLE §… Ah non, en fait). Pour ma part, j’aime les bibliothèques qui en mettent plein la vue ! Qui n’ont pas peur d’impressionner un peu les visiteurs qui osent s’y aventurer. Les vieilles pierres, les murs en bois, les parquets qui craquent et des rangées immenses et entières recouvertes de livres…! Ces bibliothèques-là, par exemple, ont une aura. Tandis que la médiathèque qui se trouve à côté de chez moi est… sympa (je l’aime bien, hein, elle est vraiment sympa mais elle n’a pas de charme particulier). Vous voyez ?

La Bibliothèque du 9e St-Rambert (Lyon) est pratique, à n'en pas douter. Elle a un look sympa, semble-t-il.
La Bibliothèque du 9e St-Rambert (Lyon) est pratique, à n’en pas douter. Elle a un look sympa, semble-t-il.
Cette Bibliothèque du Musée Condé (Domaine de Chantilly) est d'un genre totalement différent ! Deux siècles, environ, séparent sa construction et celle de la bibliothèque de Lyon (ci-dessus).
Cette Bibliothèque du Musée Condé (Domaine de Chantilly) est d’un genre totalement différent ! Deux siècles, environ, séparent sa construction et celle de la bibliothèque de Lyon (ci-dessus).
Cabinet Royal Portugais de Lecture (Biblioteca Real - Gabinete Portugues de Leitura), Rio de Janeiro, Brésil fondé en 1837 De style néogothique, elle contient plus de 350 000 livres anciens dont certains datent des XVe et XVIe siècles. (Classée 2e plus belle bibliothèque au monde par un site BuzzFeed)
Cabinet Royal Portugais de Lecture (Biblioteca Real – Gabinete Portugues de Leitura),
Rio de Janeiro, Brésil
fondé en 1837
De style néogothique, elle contient plus de 350 000 livres anciens dont certains datent des XVe et XVIe siècles.
(Classée 2e plus belle bibliothèque au monde par un site BuzzFeed)
Ce projet virtuel réalisé dans le cadre du concours International de la bibliotheque de Stockholm par l'Agence D3 architectes, a de faux airs de bibliothèque infinie. Non ?
Ce projet virtuel réalisé dans le cadre du concours International de la bibliotheque de Stockholm par l’Agence D3 architectes, a de faux airs de bibliothèque infinie. Non ?

Notre façon de construire nos bibliothèques, de les aménager, dépend de notre relation aux livres. C’est pourquoi ces lieux ont évolué avec le temps et qu’ils seront sûrement amenés à changer encore avec le développement des livres numériques, par exemple.

De nos jours, le livre est devenu un bien de consommation courante. Il n’y a pas encore si longtemps, il était plus rare de pouvoir posséder des livres (soit parce qu’on ne pouvait pas se les offrir, soit parce qu’on ne pouvait tout simplement pas les lire). C’est surtout au XIXe siècle que le livre s’est véritablement démocratisé. En France, nous pouvons notamment remercier pour cela Jules Verne et, surtout, son éditeur, Pierre-Jules Hetzel. Ce dernier est également l’éditeur de Victor Hugo et a travaillé avec Balzac, George Sand ou encore le dessinateur Grandville. Aujourd’hui, les couvertures des romans publiés par Hetzel sont encore célèbres et, sans le savoir, vous en avez peut-être déjà croisé des reproductions pour une raison ou une autre ! (Je consacrerai peut-être un article à ce phénomène, mais je vous invite à regarder quelques exemples ci-dessous, en attendant.)

En se consacrant à la publication de livres pour la jeunesse, à une époque où l’éducation ouvre peu à peu ses portes à un nombre grandissant de jeunes gens, Hetzel participe à faire en sorte que nous puissions tous, aujourd’hui, considérer les livres comme des objets du quotidien. Un simple fait qui a une importance incommensurable, si vous y réfléchissez deux minutes !

Pour en revenir à nos bibliothèques, sachez que le thème de la bibliothèque sans fin ou infinie a même su s’inscrire dans la culture pop. Preuve de son attrait. La série Doctor Who en a proposé sa propre version, par exemple.
Je garde, pour ma part, un excellent souvenir de ce double épisode de la série anglaise. Il m’a vraiment marqué.

Dans la quatrième saison (de la deuxième série, je précise pour les fans hardcore), le Docteur et son compagnon (Donna Noble) arrivent au 51e siècle sur une planète qui n’est qu’une immense bibliothèque. Partout. Toute la planète. Un peu comme si la Terre n’était qu’une bibliothèque à perte de vue. Vous voyez un peu le délire ? (Personnellement, j’adore l’idée **)

Capture d'écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)
Capture d’écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)

Tous les livres qui aient jamais été écrits sont répertoriés dans cette bibliothèque tout à fait hallucinante. « Ceux de Jeffrey Archer, Bridget Jones, Le Grand Livre rouge des Monthy Python, les dernières parutions, éditions spéciales » énumère en plaisantant David Tennant, dans son rôle de Docteur so british. Mais oui, théoriquement, ceux-là y sont. Entre autres.

Capture d'écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)
Capture d’écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008) : Vues extérieures de la bibliothèque (où l’on peut malgré tout voir des livres, tant tout l’espace de la planète semble avoir été aménagé pour les recevoir).
Capture d'écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)
Capture d’écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008) : Aperçu d’une partie de l’intérieur de la bibliothèque, avec ses étagères couvertes de livres sur plusieurs étages.

La bibliothèque est tellement grande qu’on s’y déplace en monorail suspendu (d’une certaine façon, so Steampunk, pour le coup, ce qui n’est pas pour me déplaire) ! Quant aux arrêts, ce sont les différentes sections de la bibliothèque (je vous laisse admirer mes superbes captures d’écran, d’un qualité d’image fabuleuse…).

Capture d'écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)
Capture d’écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008) : Aperçus du monorail qui zèbre la bibliothèque et doit permettre à ses usagers de pouvoir la parcourir en long, en large et en travers de façon rapide et efficace (encore que s’il s’agit vraiment d’une planète entière, recouverte d’une bibliothèque, on peut se demander si l’avion n’aurait pas été plus rapide… Ou alors ce monorail est très très rapide lui aussi. Nous sommes au 51e siècle après tout.)
Capture d'écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008)
Capture d’écran de La Bibliothèque des Ombres (Silence in the Library), Doctor Who, épisode 8 , saison 4 (2008) : Aperçu d’un des arrêts du monorail, menant à la section « Xeno Biology Art » de la bibliothèque.

Est-ce que ce type d’installations gigantesques sera un jour créé ? Hautement improbable. Même si on peut penser que notre civilisation gardera encore un moment le besoin de transcrire son savoir de façon tangible (sur du papier, quoi), il y a fort à parier que nous finirons (malheureusement) par passer, tôt ou tard, au tout numérique, au tout virtuel.
Cela dit, en attendant que cela se produise, il nous faudra forcément agrandir nos bibliothèques. Toujours plus de livres, en de plus en plus d’exemplaires, pour lesquels il nous faudra toujours plus de place.
De là à recouvrir une planète entière… L’idée est romantique mais c’est à peu près tout. Et puis, sans vous vendre la mèche si vous n’avez pas vu ce très bon double-épisode, ça ne finit pas forcément très bien dans Doctor Who.

En cherchant des informations sur la bibliothèque infinie (et donc impossible à représenter) de Borges, il n’est pas rare de tomber sur les oeuvres de Maurits Cornelis Escher (M.C. Escher). Notamment sur une de ses gravures les plus célèbres, Relativité de 1953. Une lithographie que tout le monde a déjà vu au moins une fois dans sa vie tant elle est célèbre et qui est une merveille d’illusion d’optique comme cet artiste savait si bien les réaliser.

M.C. Escher, Relativité Gravure, Lithographie, 1953 294 x 282 cm
M.C. Escher, Relativité
Gravure, Lithographie, 1953
294 x 282 cm

Là encore, c’est un procédé finalement très mathématique qui est utilisé pour représenter l’espace. Et le résultat est aussi impossible à vivre réellement que la Bibliothèque de Babel de Borges.

En fait, avec la nouvelle de Borges, nous sommes dans quelque chose que notre esprit n’est pas capable de se représenter. Ou alors, pas sous une forme simple. Pourtant, Lorenzo Soccavo, chercheur indépendant en prospective du livre et de la lecture à Paris, n’hésite pas à comparer l’idée de cette bibliothèque à quelque chose de bien tangible de nos jours : les data-centers qui abritent notre cher Internet. Il écrit :

guillemet« La Bibliothèque de Babel n’est pas aujourd’hui sans nous rappeler les gigantesques data-centers des géants de l’électronique mondiale et de l’entertainment réunis, où chaque « livre » numérique est une infinie suite de 0 et de 1. »

Lorenzo Soccavo, « Des sources imaginaires de la prospective du livre », 1er juillet 2013 (Source)

En fait, ce ne sont plus seulement nos livres qu’Internet abrite mais tout ce que nous écrivons (sous une forme ou une autre, car les données restent finalement des écrits, même si elles forment finalement une vidéo ou une image au final, par exemple). Le pire comme le meilleur.

Dans Doctor Who, c'est plutôt cette chère River Song qui nous dirait "Spoilers !" avec un petit sourire énigmatique.
Dans Doctor Who, c’est plutôt cette chère River Song qui nous dirait « Spoilers ! » avec un petit sourire énigmatique.

Toutefois, contrairement à la Bibliothèque de Babel, nous ne trouvons pas encore sur Internet ce qui n’a pas encore été écrit mais pourrait l’être. Et heureusement. Parce que le meilleur comme le pire serait d’autant plus démultipliés et surtout parce que, comme le dirait le Docteur : SPOILERS !! Autrement dit, chaque chose en son temps et ne jouons pas les Nostradamus.

Paradoxalement, même si je vous parlais de bêtise humaine au début de cet article, qu’est-ce qui se cache derrière cette idée de la bibliothèque infinie ? L’envie de tout connaître, de tout savoir. C’est une soif d’apprendre absolument faramineuse. Et j’avoue que, pour ma part, j’ai déjà rêvé de posséder, ne serait-ce qu’un instant, tout le savoir du monde. De quoi cela aurait-il l’air ? Est-ce que ce serait humainement possible ? Probablement pas. Ca rendrait fou n’importe lequel d’entre nous, sans nul doute. Pourtant, à l’idée de pouvoir répondre à toutes les questions possibles et imaginables, j’en ai des frissons dans le dos, à la fois d’envie et de terreur.

Mon copain avait ce gif comme avatar sur un forum, il y a quelques années. Je l'ai toujours trouvé très parlant.
Mon copain avait ce gif comme avatar sur un forum, il y a quelques années (spéciale kassdédi à lui qui corrige tous mes articles dans l’ombre, je te mets trois coeurs <3<3<3). Je l’ai toujours trouvé très parlant sur notre relation amour-haine avec le web. (désolée pour les âmes sensibles, si cela existe encore)

« Grandeur et misère de l’homme » résumait parfaitement Blaise Pascal dans ses Pensées. Grandeur dans certains de ses rêves et aspirations. Misère, la plupart du temps, dans la plate réalisation de sa vie. Pourtant, si notre bibliothèque infinie qu’est Internet doit un jour tout contenir, elle se doit d’enregistrer à la fois ces deux aspects de nous. Aussi frustrant que cela puisse l’être au quotidien (avouez que certains internautes nous donnent parfois des envies de meurtre bien sanglant, bien sale, bien plein de viscères éclatés partout sur les murs).

Est-ce que nos futurs descendants, dans je ne sais combien de siècles, diront de nous que nous vivions un deuxième Moyen-Age ? Peut-être. Cela voudra dire qu’une deuxième Renaissance nous aura suivis. Dans ce cas, quand même, vivement qu’elle se pointe !


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(qu’il vous ait plu ou non, que vous soyez d’accord ou pas, n’hésitez pas !)

La machine d’Anticythère

Avez-vous déjà entendu parler de la machine d’Anticythère ?

C’est une machine tout à fait fabuleuse qui a bien failli être perdue à jamais. Elle a été retrouvée, tout-à-fait par hasard, près de l’île grecque d’Anticythère, au début du XXe siècle.

L'Éphèbe d'Anticythère
L’Éphèbe d’Anticythère a également été retrouvé avec l’épave,
bronze, v. 340-330 av. J.-C.,
Musée national archéologique d’Athènes, Grèce

La machine avait sombré dans la mer après qu’une tempête a fait chavirer le bateau qui la transportait, en 87 av. J.C. environ.
En 1901, des pêcheurs d’éponges (on parle bien de ça, et non pas de ça) changent par hasard de cap alors qu’une autre tempête est prévue là où ils devaient initialement se rendre. Ils se retrouvent près de l’île d’Anticythère et, en plongeant, ils découvrent l’épave d’un navire romain. Il contient non seulement de nombreuses oeuvres d’art (en particulier des sculptures) mais aussi un curieux objet que les scientifiques mettront plus d’un siècle à décrypter…

Personne ne sait, alors, que vient d’être trouvé l’ancêtre de nos technologies modernes. Pourtant, on dit aujourd’hui que la machine d’Anticythère pourrait bien être l’ancêtre de nos ordinateurs (rien de moins !)

 

Photographie des fragments de la machine d'Anticythère
Photographie des fragments de la machine d’Anticythère,
Daterait de la fin du IIIe – moitié du IIe siècle av. J.C.,
20 x 20 cm environ,
Musée Archéologique National, Athènes, Grèce.

La machine d’Anticythère ne date pas de l’époque du naufrage du bateau sur lequel elle se trouvait quand il a sombré. Elle est bien plus ancienne. Elle date de l’époque Hellénistique (qu’on situe, grosso-modo, entre le moment de la mort d’Alexandre le Grand et le suicide de Cléopâtre, ce qui est tout à fait joyeux, et ce qui nous amène de 323 av. J.-C. à 30 av. J.C. environ). Un « détail », me direz-vous, mais qui explique peut-être pourquoi cette machine a bien failli être perdue à jamais.

En effet, la période Hellénistique précède la conquête romaine de la Grèce. Elle marque donc, d’une certaine façon, la fin de la civilisation grecque. Pourtant, elle est aussi la période durant laquelle l’hellénisme (d’où son nom) se développe le plus :  la langue grecque est très parlée, les échanges commerciaux sont nombreux, la culture, les us et coutumes grecs s’exportent très bien (et ils continueront de s’exporter, d’ailleurs, même après la conquête romaine puisque nous parlerons alors de période gréco-romaine). De cette façon, même si la période hellénistique est la dernière époque où la Grèce Antique est « indépendante », elle n’en reste pas moins dynamique et créatrice, du fait du bouillonnement qu’elle génère en son sein et autour d’elle.
Pas étonnant, donc, que la machine d’Anticythère ait été créée à cette époque.
Toutefois, la conquête romaine va malgré tout changer la donne, bouleversant l’ordre des choses.

Ainsi, quand coule la machine d’Anticythère, elle se trouve sur un navire romain, probablement en route vers l’Italie. Qui sait ce qui se serait produit si le bateau n’avait pas coulé ? Ou si la machine était restée en Grèce ? Peut-être aurait-elle été redécouverte plus tôt. Peut-être que sans la conquête romaine, elle n’aurait pas même eu à être redécouverte puisque les recherches ayant mené à sa réalisation aurait pu continuer. Peut-être que ces conquêtes ont chamboulé, d’une façon ou d’une autre, la vie du créateur de la machine. Peut-être !

Une telle machine aurait pu changer l’Histoire. Peut-être ! Ou peut-être pas.
(Vous la sentez, la grosse référence à peine dissimulée à mes recherches sur le steampunk ? Non parce qu’une machine à rouages qui aurait pu changer le cour de l’Histoire et faire advenir le futur plus tôt… C’est quand même carrément steampunk. Enfin, moi je dis ça…)

Pour l’enseignant-chercheur et essayiste Philippe Engelhard, la somme des savoirs que représentait la machine d’Anticythère n’a pas disparu sans raison. Une telle machine, ainsi que ses semblables (car il en existait d’autres, nous allons y venir peu après), aurait pu donner lieu à une première Révolution Industrielle, bien avant celle du XIXe siècle. Ce ne fut pas le cas car les conditions n’étaient, semble-t-il, pas réunies. Pour Engelhard, cela prouve que l’existence seule des technologies, même les plus sophistiquées, ne suffit pas à changer le monde. L’homme seul a ce pouvoir :

guillemet« Les « révolutions » technologiques n’auraient pas ou peu trouvé à s’exprimer sans « révolutions » économiques, culturelles, sociales ou politiques PREALABLES. Preuve parmi d’autres : la fameuse machine d’Anticythère (1er siècle avant J.C.) ainsi que ses devancières mentionnées par Cicéron. Les technologies utilisées dans cette machine étaient au moins aussi sophistiquées que celles mises en oeuvre par les horlogers du XVIIIe siècle européen – lesquels ont très probablement inspiré la confection des premières machines industrielles (thèse soutenue avec de très bons arguments par l’historien britannique David S. Landes, 1987). Cependant, sans une bourgeoisie industrieuse et économiquement puissante, capable d’anticiper comptablement les profits qu’elle allait pouvoir tirer des nouvelles machines, ces dernières ne seraient jamais devenues des outils de production courants (Max Weber, 1964). C’est bien pourquoi la machine d’Anticythère et ses pareilles n’ont pas engendré de « révolution industrielle » : il eut fallu une bourgeoisie préindustrielle pour en extraire des innovations et du profit – cette bourgeoisie n’existait pas. La « bourgeoisie » d’alors trouvait, à tort ou à raison, plus d’avantages dans le commerce et la finance (déjà !). Encore une preuve évidente, s’il en fallait une autre, que ce ne sont pas les machines qui ont fait la révolution industrielle ! »

Philippe Engelhard, L’Internet change-t-il vraiment nos sociétés ? Techniques, cultures et sociétés (Tome 2), Paris, L’Harmattan, 2012, p. 35-36 (Google Books)

Le problème, c’est qu’on ne sait même pas, avec exactitude, qui a créé cette machine. Des recherches ont montré que cette machine aurait pu être conçue par le célèbre savant Archimède (qui ne travailla pas que sur sa poussée #blague). Toutefois, cette thèse est débattue. D’autres noms sont avancés. Par exemple, cette machine aurait également pu être inventée à Alexandrie, l’une des villes les plus florissantes de l’époque Hellénistique, mêlant ainsi les connaissances acquises par les deux plus grandes civilisations d’alors : la Grèce et l’Egypte (ce qui, en pleine période hellénistique ne serait pas étonnant, si vous avez bien suivi depuis le début ;)).

En tout cas, cette création témoigne de la quantité de connaissances dont les hommes de l’époque disposaient déjà.

Le mécanisme d’Anticythère est unique en son genre. Toutefois, il a tout de l’aboutissement d’un travail de très longue haleine. On suppose donc que d’autres machines de ce type, plus ou moins semblables et évoluées, ont vu le jour avant lui. Jusqu’à ce jour, nous n’en avons malheureusement trouvé aucune trace. Si ce n’est dans quelques témoignages antiques, décrivant des objets similaires. Comme chez Cicéron qui, dans De la République, fait mention d’un « globe céleste » créé par Archimède et ayant été dérobé à Syracuse par l’armée romaine quand la cité était encore grecque :

guillemet« J’avais entendu souvent citer cette sphère, à cause de la grande renommée d’Archimède. L’aspect ne m’en parut pas fort remarquable. Il en existait une autre, d’une forme plus élégante et plus connue du vulgaire (comprendre, ici, du « peuple »), ouvrage du même Archimède, et placée par le même Marcellus à Rome, dans le temple de la Vertu. Mais, sitôt que Gallus eut commencé d’expliquer avec une haute science la composition de cette machine, je jugeai qu’il y avait eu dans le géomètre sicilien (Archimède était sicilien et vivait à Syracuse quand la ville fut attaquée et pillée par les romains) un génie supérieur à ce qui semblait la portée de l’humaine nature. Gallus nous disait, que cette autre sphère solide et compacte était d’invention fort ancienne. (…) Il ajoutait que cette transfiguration de la sphère, qui représente les mouvements de la lune, du soleil, et des cinq étoiles nommées errantes ou irrégulières (les « cinq étoiles » dont il est ici question sont les cinq planètes connues par les grecs à l’époque de la conception du globe car elles sont visibles à l’oeil nu : Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. Il faut d’ailleurs savoir que le mot « planète » nous vient du grec πλανήτης, planētēs, voulant dire errant), n’avait pu s’appliquer à ce premier globe d’une forme solide ; et que l’art merveilleux d’Archimède était d’avoir tellement combiné sa nouvelle sphère, que dans le jeu de mouvements disparates, une seule impulsion déterminait des résultats inégaux et variés. Et en effet, Gallus touchait-il cette sphère, on voyait, sur sa surface, la lune remplacer le soleil par un tour de cercle, autant de fois qu’elle le remplace dans les cieux par l’intervalle d’un jour, d’où il résultait que la disparition du soleil s’y trouvait marquée comme dans les cieux, et que la lune touchait le point où elle est obscurcie par l’ombre de la terre, à l’instant où le soleil reparaissait sur l’horizon, etc. (pour faire simple, on voyait défiler une journée en activant la sphère et le résultat semblait aussi naturel que… dans la nature.)« 

Cicéron, Angelo Mai (trad.), De la République, Paris, Didier et Cie, Libraires-Editeurs, 1858, p.22 (Google Books)

C’est ce texte, ainsi que certains éléments caractéristiques, trouvés à travers l’étude des différents textes présents sur la machine, qui laissent à penser qu’Archimède pourrait être le créateur de la machine d’Anticythère. Des éléments suggèrent, en effet, une origine sicilienne et Archimède vivait à Syracuse. Mais les chercheurs ne disposent pour l’instant d’aucune preuve irréfutable pour étayer cette hypothèse (et rien ne permet de dire qu’ils trouveront un jour la réponse à leurs questions).

En tout cas, la machine d’Anticythère, elle, n’est pas un globe comme dans le texte de Cicéron. Faite de bronze, c’est un ensemble de rouages (une trentaine !) dont on pense qu’ils étaient enfermés dans une boite de façon à rendre l’ensemble du mécanisme facilement utilisable et transportable.

Plusieurs chercheurs ont réalisé des modèles de ce à quoi pouvait ressembler la machine avant de se dégrader dans l’eau durant des siècles. La reproduction de Michael Wright semble être la plus proche de l’originale, tant pour son mécanisme que pour son esthétique et son souci du détail :

Reproduction de la machine d'Anticythère par Michael Wright
Reproduction de la machine d’Anticythère par Michael Wright
Reproduction de la machine d'Anticythère par Solla Price (1974)
Reproduction de la machine d’Anticythère par Solla Price (1974)
Reproduction de la machine d'Anticythère par Mogi Vicentini (2007)
Reproduction de la machine d’Anticythère par Mogi Vicentini (2007)

guillemet« Exceptionnel par sa complexité, le mécanisme d’Anticythère suscita l’intérêt de Derek J. de Solla Price, physicien anglais et historien des sciences à l’Université Yale (États-Unis). En 1951, il réalisa la première étude détaillée, grâce à des radiographies aux rayons X, et constata qu’il s’agissait d’un instrument très sophistiqué composé d’une trentaine de roues dentées, d’axes, de tambours, d’aiguilles mobiles et de trois cadrans gravés d’inscriptions (un « mode d’emploi » !) et de signes astronomiques. Il démontra ainsi que l’instrument permettait de calculer les différents cycles de la lune, du soleil et des planètes et le nomma « calendrier informatisé ».

Intrigué par la théorie sur la machine d’Anticythère, l’historien australien et spécialiste du développement des ordinateurs, Allan Geirge Bromley, s’attaqua à l’objet mystérieux dans les années 1980. Il réalisa des radiographies plus précises et corrigea certaines erreurs de son prédécesseur. Une décennie plus tard, les recherches menées par l’ingénieur britannique Michael Wright confirmèrent l’exactitude de la théorie Derek J. de Solla Price, qui ne s’était trompé que sur des détails. La machine d’Anticythère était bel et bien un instrument de calcul automatisé, qui méritait d’être considérée comme « un ordinateur antique». »

Lucia Maitreau et Ulrike Guerin, « Le mécanisme d’Anticythère, ancêtre de l’ordinateur » in Le Courrier de l’UNESCO, 10 avril 2012

Mais à quoi servait exactement cette machine ? Et, surtout, qui pouvait bien l’utiliser ? Dans quel but ?

La machine d’Anticythère était un calendrier complexe, sorte d’horloge astronomique portative, pourrait-on dire (ce qui n’est pas tout à fait exact car, contrairement à une véritable horloge astronomique, la machine était activée par une manivelle ou une clef), qui :

Indiquait les cycles lunaires : ils étaient très importants pour les hommes de cette époque car ils rythmaient la vie grecque. Ils permettaient aussi bien de savoir quand semer que quand organiser telle fête pour telle divinité. Sur la machine, la Lune était une boule bien visible qui tournait sur elle-même à un certain rythme pour indiquer ses phases (de blanche pour la pleine lune, elle devenait peu à peu noire).
Prédisait les éclipses lunaires et solaires : également très importantes pour les hommes de à cette époque car ces évènements pouvaient être des signes de mauvais augures.
Indiquait les signes du zodiaques.
Annonçait les grands jeux grecs (ceux d’Olympie, entres autres) car il s’agissait déjà d’évènements qui se produisaient à intervalles réguliers.

A l’avant de la machine, son inventeur avait même déjà eu l’idée de graver… un mode d’emploi !

Pour les chercheurs, plusieurs personnes étaient donc susceptibles d’utiliser un tel objet. A en juger par la place occupée par la prévision des éclipses et les superstitions qui les entouraient, il semble que l’objet pouvait, par exemple, servir à organiser une guerre, une fête ou tout autre évènement important, voire capital, dans les meilleures conditions possibles. Il s’agissait sans doute, pour les prêtres ou les personnages de haut rang (et non pas d’Alexandrie ! #blague #encore) qui utilisaient cet objet d’être en accord avec le ciel. Or, le ciel, c’était le divin – ses dieux et ses déesses aux célèbres colères, vengeances et autres joyeusetés. Aussi les grecs avaient-ils sans doute dans l’idée d’être toujours (ou autant que possible) en bons termes avec cette bande de joyeux drilles.

Outre les questions religieuses qui préoccupaient beaucoup les grecs, ceux-ci avaient surtout ressenti l’influence de la Lune sur leur vie. Il était donc important pour eux de calculer la récurrence de ses phases, ainsi que les mouvements des astres en général.

Rappelons également que, pour les grecs de cette époque, c’était la Terre qui était au centre de tout, et non pas le Soleil. Pour cette raison et pour une multitude d’autres, cet objet est une merveille car, aussi étonnant que cela puisse paraître, la machine d’Anticythère exécutait parfaitement les tâches pour lesquelles elle avait été conçue. Tout cela grâce à une observation minutieuse du ciel et sans disposer de tous les outils techniques et technologiques ultra-sophistiqués que nous avons aujourd’hui. Objets qui ne cessent de démontrer à quel point les grecs avaient déjà raison sur bien des points. Même si leur postulat de base était faux (et oui, l’héliocentrisme, les gars, désolée :/).

Scéhma descriptif de la machine d'Anticythère
Scéhma descriptif de la machine d’Anticythère
Sciences et Vie n°87 – Hors série, avril 2011

Pour les curieux qui ne seraient pas rassasiés d’informations sur cette machine, je vous laisse ci-dessous la vidéo du documentaire de Mike Beckham, La Fabuleuse Machine d’Anticythère. Un documentaire de 74 min et datant de 2012, diffusé initialement sur ARTE. Il se concentre sur les recherches du professeur et astronome Mike Edmunds et de son équipe pour percer les secrets de la machine. Vous y retrouverez également Michael Wright dont je vous parlais plus haut dans l’article.


Sources :
Le documentaire ci-dessus.
Wikipédia : La Machine d’Anticythère
TPE : Les moyens de calcul mécanique (oui, des TPE !)
Unesco